Après Bouteflika, El-Béchir ?

«Au suivant, au suivant» ; c’est le titre d’une chanson du célèbre artiste français Jacques Brel, parue en 1964. Au regard de l’évolution des situations politiques en Afrique ces dernières années, cette chanson semble plus que d’actualité. En effet, certains chefs d’Etat africains, qui ont battu les records de longévité au pouvoir, ont été «vomis» par leur peuple. Après Mamadou Tandja au Niger en 2010, Ben Ali de la Tunisie et Hosni Moubarak de l’Egypte en 2011, Blaise Compaoré du Burkina Faso en 2014, Robert Mugabe du Zimbabwe et Yahya Djammeh de la Gambie en 2017, Joseph Kabila de la RDC et Abdelaziz Bouteflika en 2019, le ciel s’est assombri sur Omar El-Béchir.

Et pour cause, le pouvoir soudanais est confronté en ce moment à un vaste mouvement de défiance à Khartoum. Consécutive à une hausse du prix du pain en décembre 2018, la contestation a pris une tournure inquiétante pour le régime, parce qu’elle s’est vite transformée en un mouvement réclamant le départ du président, qui tient le pays d’une main de fer depuis 1989. Dans la nuit de vendredi 22 à samedi 23 février 2019, El-Béchir a fini par limoger le gouvernement et décréter l’état d’urgence dans tout le pays, avec à la manœuvre le puissant Service national du renseignement et de la sécurité (NISS) qui a arrêté des centaines de manifestants, notamment des leaders de l’opposition et des journalistes. Alors qu’il espérait faire baisser la température en cassant le thermomètre, le président soudanais a été surpris depuis maintenant une semaine par la taille que prend la contestation.

Depuis plusieurs jours, des milliers de manifestants campent devant le quartier général de l’armée, appelant le chef de l’Etat à démissionner et demandant aux militaires de les rejoindre. Désormais, la pression sur le président Omar el-Béchir est forte et la mobilisation ne faiblit pas. Comme en Algérie, il y a quelques semaines, les manifestants sont vent debout contre l’homme fort du Soudan. En faisant ainsi la cour à l’armée, les manifestants veulent enlever au chef de l’Etat, l’un de ses soutiens les plus sûrs. Et contre toute attente, les forces de l’ordre, qui ont mené la répression jusqu’à présent, n’ont pas tenté de disperser les manifestants. A y voir de près, l’armée «s’adoucit» progressivement, ces derniers jours, avec des scènes de fraternisation entre certains soldats et manifestants. Cerise sur le gâteau, le chef de la police a demandé à ses forces, selon les médias, de ne pas intervenir contre les manifestants. Au plan international, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Norvège, via leur ambassade à Khartoum, ont fait part de leur inquiétude et appelé à un «transfert pacifique du pouvoir». C’est dire donc, que l’étau se resserre autour de El-Béchir qui est en train de perdre son «bras armé».

En Algérie, le chef de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, a demandé de déclarer le président Bouteflika «inapte», en application de l’article 102 de la Constitution. Cette sortie des bidasses a précipité la chute du président Abdelaziz Bouteflika et la suite est connue de tous. Il n’est donc pas exclu qu’avec l’évolution de la situation, le président soudanais se retrouve lui aussi orphelin de son armée et contraint à démissionner. Ce serait du pain béni pour la Cour pénale internationale (CPI) qui a émis contre lui, en 2009, des mandats d’arrêt internationaux pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide en lien avec les atrocités commises au Darfour.

Jean-Marie TOE

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