Tahirou Sanou, secrétaire permanent de l’ARCOP : « La régulation des marchés publics est l’art de gérer les contradictions des acteurs»

« Ces quatre dernières années, les réformes ont permis de réduire le nombre de mauvaises exécutions de marchés publics ».

Le secrétaire permanent de l’Autorité de régulation de la commande publique (ARCOP), Tahirou Sanou, explique les missions de la régulation de la commande publique, les contraintes rencontrées au quotidien dans l’exercice de ses missions. Sans langue de bois, il répond aux stéréotypes qui collent à l’organe de régulation.

Sidwaya (S) : Qu’est-ce que la régulation des marchés publics ?

Tahirou Sanou (T.S.) : Le marché public est le lieu de rencontre de deux volontés. Celle d’un demandeur, l’autorité contractante censée agir au nom de l’intérêt général et celle d’un offreur de bien ou service qui agit au nom de son intérêt propre. On se rend compte que le marché public met aux prises deux intérêts de nature contradictoires. Le marché public met également en concurrence plusieurs intérêts privés puisque ce sont plusieurs personnes qui viennent offrir leurs biens ou services. Pour ces raisons, la régulation des marchés publics, c’est l’art de gérer les contradictions des acteurs dans le système.

S : Une de vos missions est la délégation de service public, à quoi renvoie cette notion ?

T.S. : la délégation de services publics, à l’instar du marché public est aussi un accord de volontés entre une personne généralement appelée autorité délégante qui confie à une autre personne appelée délégataire, la gestion d’un service public. Généralement, cela se fait dans le cadre de l’exploitation d’une infrastructure donnée. Il faut noter qu’il y a plusieurs formes de délégations de services publics, de sorte que dans certains cas, le délégataire va exploiter l’infrastructure sans l’avoir réalisée, il s’agit d’un exemple d’affermage.

Dans d’autres cas, le délégataire va d’abord investir dans l’infrastructure avant de l’exploiter. Dans une délégation de service public, le prestataire se fait rémunérer sur la base des redevances perçues auprès des usagers, alors que dans un marché public, c’est l’autorité contractante qui le rémunère. On peut faire un rapprochement entre la notion de délégation de service public et celle de partenariat public/privé. La commande publique regroupe les trois formes d’acquisition de bien et de services que sont les marchés publics, la délégation de services et le partenariat public/privé dans notre pays.

S : L’ARCOP est censée garantir la transparence des procédures et l’égalité de traitement des candidats aux marchés publics. Comment faites-vous pour faire respecter ces principes ?

T. S. : Le dispositif de régulation repose sur 4 principes fondamentaux. En plus de l’égalité de traitement des candidats et de la transparence des procédures, la liberté d’accès à la commande publique puis l’efficacité et l’économie de la commande publique viennent compléter la liste des principes qui sont au cœur même de la commande publique. Sans eux, on ne saurait parler de commande publique. De par ses missions, l’ARCOP assure l’effectivité de ces principes à différents niveaux. D’abord dans la conception des textes mêmes, parce que la régulation consiste aussi à veiller à travers les normes qui régissent le secteur de la commande publique à l’établissement d’un équilibre et sa préservation entre les intérêts des parties prenantes.

Les textes adoptés doivent, de ce fait, garantir au maximum les différents principes. Nous essayons autant que faire se peut de donner un contenu précis à la règlementation dans le sens de l’effectivité de ces principes.
Mais, il peut arriver qu’un acteur des marchés publics agisse pour différentes raisons en méconnaissance de ces principes. Dans ce cas, le régulateur peut être saisi d’une plainte. Alors, il tranche entre les parties, conformément aux textes. Par exemple, au nom du principe d’égalité, on ne peut pas indiquer une marque dans un marché public dans un tel cas, le régulateur va rendre une décision en demandant à l’autorité contractante de reprendre le marché sans la mention de la marque.

S : qu’est-ce qui ressort des audits commandités et des enquêtes réalisées par l’ARCOP ?

T. S. : Les enquêtes et les audits sont deux choses bien distinctes. Ils font partie des missions du régulateur. Les enquêtes visent à situer les responsabilités en vue de poursuites disciplinaires à l’encontre des acteurs impliqués, alors que les audits permettent aux régulateurs de déceler les faiblesses du dispositif de réglementation en vue de proposer des mesures correctives.

Depuis sa mise en place, l’autorité a réalisé deux audits. Le 1er audit a concerné la gestion de 2008 et 2009 des marchés publics au Burkina Faso. Puis il y a eu l’audit sur la gestion de 2010 à 2012. Ces audits ont permis de formuler un certain nombre de recommandations, qui ont permis d’améliorer une grande partie de la réglementation à partir de 2017. Le rapport du comité chargé du suivi et de la mise en œuvre des recommandations montre un taux d’exécution de 80%.

S : Que pouvez-vous dire de la conformité du système national de passation des marchés publics avec les standards internationaux ?

T. S. : Globalement le système des marchés publics au Burkina est conforme avec les standards internationaux parce que tout d’abord, il est impulsé par les réformes communautaires, alors que l’UEMOA inscrit ses actions dans la dynamique des standards internationaux. Ensuite, les partenaires techniques et financiers, notamment la Banque mondiale et la BAD, qui rechignaient à accepter nos procédures de passation pour les financements qu’ils nous accordaient, les acceptent désormais lorsqu’il s’agit d’appels d’offres nationaux. Ce qui n’est pas le cas dans tous les pays.

S : Quelle est la procédure à suivre pour formuler une plainte auprès de l’ARCOP ?

T. S. : La plainte pour le régulateur, c’est lorsqu’un acteur privé estime qu’un acheteur public lui cause un tort et demande d’examiner. Elle se distingue de la dénonciation car elle vise à faire en sorte que l’autorité tranche. De sorte que chaque fois qu’un plaignant estime que la décision du régulateur viole une loi, il peut exercer un recours juridictionnel en attaquant la décision devant le juge.

Pour saisir l’ARCOP d’une plainte, il faut être un soumissionnaire ou appartenir à un corps de métier dont les intérêts sont menacés à travers un acte d’un acheteur public. Il s’agit par exemple d’un acteur qui, à la vue d’une publication d’un marché public, se rend compte qu’il y a un obstacle qui s’estime discriminé dans l’appréciation des offres. Le plaignant doit agir dans un délai de 48 heures à partir de la date de publication des faits que l’on souhaite contester. Ensuite il doit rédiger une demande adressée au secrétaire permanent de l’ARCOP.

Celle-ci doit avoir un objet bien précis, elle doit être motivée, c’est-à-dire que les éléments contestés ainsi que les arguments de faits et de droit qui fondent la plainte. La demande doit être assorti de la page de publication du dossier attaqué, soit des résultats contestés et de la copie de la quittance de paiement d’une part de la caution de recours (50 000 FCFA) et d’autre part des frais administratifs (250 000 FCFA). Un plaignant peut s’attacher les services d’un avocat. La présence des avocats peut contribuer à la clarification des débats par moment, parce que certains plaignants ne sont pas forcément spécialiste du domaine.

S : Quelle est l’ampleur des plaintes et des dénonciations qui vous parviennent ?

T. S. : Si on doit faire une comparaison avec ce qui se passe dans les autres pays, on peut parler d’une exception burkinabè en termes de nombre élevé des plaintes. Ces quatre dernières années, l’Autorité enregistre au minimum 700 plaintes par an. En 2019 par exemple, nous avons reçu 900 plaintes. Par contre si on doit rapporter le nombre de plaintes à celui des procédures dans l’année, les plaintes représentent moins de 10% des marchés passés.

Toutefois, nous avons des efforts à faire pour réduire le nombre de plaintes fondées qui sont de l’ordre de 30 à 40%. Nous travaillons à le réduire car ce taux de plaintes fondées n’est pas souhaitable.
Quant aux dénonciations, elles sont moins nombreuses que les plaintes. En 2019 par exemple, nous avons statué sur 51 affaires en matières disciplinaire, car les dénonciations visent à sanctionner un acteur en matière disciplinaire.

S : Quelles sont les sanctions prévues en matière disciplinaire par la règlementation ?

T. S. : Il y a deux niveaux de sanctions. D’abord à l’encontre des agents publics, il y a le relèvement de fonction, l’interdiction d’exercer une fonction similaire sur une période donnée ou l’interdiction de participer directement ou indirectement à la commande publique que le régulateur peut recommander à l’autorité habilitée à prendre ces sanctions.
Le second niveau concerne les acteurs du secteur privé, avec des sanctions d’ordre extrapatrimonial tels que l’avertissement, la confiscation de la garantie, l’exclusion de la commande publique sur une période de 1 à 5 ans et des sanctions pécuniaires.

Leur valeur varie entre 1 et 2% du montant de l’offre financière ou du marché pour lequel le fournisseur a été défaillant. Pour les récidivistes, la loi prévoit que le taux de l’amende soit porté à 5%. Les entreprises qui écopent d’une sanction pécuniaires sont répertoriées comme défaillantes pour une période déterminée, elles ne peuvent donc plus participer à la commande publique dans le cadre des procédures restreintes.

S : Certaines entreprises sanctionnées réussissent à renaître sous une autre appellation en vue de continuer dans leurs pratiques peu recommandables. Quel commentaire faites-vous de cette situation ?

T. S. : Vous avez raison, les mauvaises pratiques ont la peau dure mais il faut souligner que les choses s’améliorent. Au début, les sanctions ne concernaient que les entreprises prises la main dans le sac sans viser leurs gérants. Mais actuellement, la sanction d’exclusion concerne aussi bien l’entreprise que la personne qui la gère. Il y a toujours des esprits malins qui, se sachant exclus, se servent de prête-noms et créent de nouvelles entreprises au nom de leurs conjoints ou leurs enfants. Il s’agit d’une fraude à la loi, qui doit être sanctionnée sévèrement.

S : Existe-t-il une différence entre l’utilisation de prête-nom et la sous-traitance ?

T. S. : Oui ! La sous-traitance est permise. Elle est même encouragée car certaines entreprises de par leurs capacités financières ou même professionnelles qui ne sont pas à mesure de participer seules et d’obtenir un marché, Elle ne peut pas se faire à l’encontre de la volonté de l’autorité contractante. Par contre, l’utilisation de prête-nom, on est sanctionné parce que c’est une fraude.

S : L’ARCOP n’arrive pas à se démarquer de la perception selon laquelle elle est accusée être du côté des fournisseurs. Qu’en dites-vous ?

T. S. : En matière de marchés publics caractérisés par l’opposition entre les intérêts des autorités contractantes et ceux des fournisseurs, il y a un équilibre à rechercher pour le régulateur. Il n’a pas intérêt à être du côté d’un type d’acteurs mais il doit être juste.

S : Un autre reproche fait à votre structure est l’inconstance des décisions du régulateur pour des faits de même nature. Que répondez-vous à cette critique ?

T. S. : Il s’agit d’un commentaire facile. Chaque plainte soumise à l’ARCOP pose toujours une particularité au-delà de l’apparente ressemblance avec une autre, ne serait-ce que par le contexte. Du reste, dans un contexte donné, si le régulateur estime que les inconvénients de l’annulation d’une procédure pèsent plus que les avantages, nonobstant la lettre de la règlementation, il doit pouvoir sauver la procédure. Cela est nécessaire pour un régulateur, bien que ce ne soit pas expressément reconnu dans nos textes. Toutefois, cet exercice ne doit pas être source d’arbitraire ou donner lieu à de la discrimination. C’est pourquoi il doit rester dans la même optique dès lors qu’il change l’esprit de la réglementation.

S : La très controversée règle du moins disant a été revue. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

T. S. : En réalité, la perception de la règle du moins disant n’est pas en phase avec les textes. Depuis quelques années dans notre pays, ce ne sont pas les textes qui imposent aux acheteurs publics de choisir le moins disant. Bien au contraire, ils donnent la latitude d’adapter le mode d’évaluation en fonction de l’objet de son acquisition. Il y a l’évaluation simple et l’évaluation complexe des offres. Dans une évaluation simple, le prix est le seul critère d’attribution du marché. Selon l’article 100 de la réglementation, il s’agit d’une exception au regard de l’objet du marché.

Cela veut dire que l’évaluation complexe doit être de mise dès lors que les acquisitions sont importantes. Avec l’évaluation complexe, la réglementation donne la latitude à l’autorité contractante au-delà de la conformité technique, à considérer une pluralité de critères d’attribution tels que la qualité technique, la valeur technique, le délai d’exécution, le service après-vente, le respect de l’environnement, en plus du prix. La règlementation dit que les critères retenues doivent être objectives et en lien avec l’objet du marché.

Ils doivent être traduits en termes monétaires dont la combinaison va permettre de réduire le poids du prix. Si malgré cette indication claire dans la règlementation, les autorités contractantes préfèrent l’évaluation simple dès qu’elles montent un dossier d’appel à concurrence ou d’appel d’offres ouvert, est ce qu’on peut continuer à s’en prendre à la règlementation. Celui qui dit que c’est la réglementation qui impose la moins-disance, a un problème de compréhension des textes. Je peux comprendre que les gens reconnaissent manquer d’expertise pour faire l’évaluation complexe.

S : Entre les bâtiments qui s’effondrent, les équipements qui sont surfacturés, comment jugez-vous l’efficacité de la commande publique ?

T. S. : Effectivement, on ne devrait plus assister à de mauvaises exécutions des marchés publics qui se traduisent par des effondrements de bâtiments ou l’acquisition d’équipements dont le montant a été surfacturé. Mais, globalement la régulation est nécessaire. De plus, il faut reconnaître que beaucoup d’efforts ont été consentis ces quatre dernières années dans la gouvernance du secteur et minimiser les cas de mauvaises exécutions.

S : Entre les fournisseurs et les citoyens, à qui profite réellement la commande publique ?

T. S. : Les marchés publics profitent à tout le monde. Quand l’autorité contractante acquiert un bien ou un service, il est le plus souvent destiné à l’usage du citoyen. Les marchés publics profitent doublement au fournisseur car en plus d’en bénéficier en tant que citoyen, il a engrangé un avantage financier dans l’exécution du marché. Il a donc une grande responsabilité dans leur bonne exécution.

S : Quelles sont les réformes nécessaires pour que le secteur des marchés publics puisse véritablement garantir l’égalité des chances des entreprises et la qualité des ouvrages livrés ?

T. S. : La régulation est une quête permanente, pour cela j’estime qu’il y a trois niveaux de réformes à mener pour améliorer le secteur. Tout d’abord, il y a une nécessité absolue d’améliorer la professionnalisation des acteurs du secteur en vue d’améliorer l’efficacité du système. En effet beaucoup sont dans le secteur parce qu’ils savent lire le code des marchés publics, alors qu’il faut aller vers la création d’un corps de spécialistes du domaine de la commande publique à l’instar de celui des gestionnaires des ressources humaines par exemple.

C’est dans la stabilisation des directeurs des marchés publics, contrairement à la pratique actuelle. La dématérialisation du système est le 2e axe de réforme majeur important, car elle va définitivement garantir davantage l’égalité de chance aux fournisseurs et la transparence. Enfin, nous devons aussi davantage renforcer le dispositif de répression pour inculquer de gré ou de force les bons comportements aux acteurs.

S : A quoi répond la redevance de régulation des marchés publics et des délégations de service public dont le décret a été adopté lors d’un conseil des ministres en juin 2020 ?

T. S. : L’adoption du décret témoigne de la volonté du gouvernement de donner au régulateur, les moyens qu’il faut pour assurer ses fonctions en toute indépendance et autonomie financière vis-à-vis de l’exécutif. C’est le lieu, pour moi, de saluer ce soutien des plus hautes autorités du Burkina Faso. La redevance de régulation est une forme de contribution du secteur privé au fonctionnement du système de la commande publique.
L’opérationnalisation de la redevance devrait contribuer à la résolution définitive des difficultés d’ordre financier. Le décret retient un taux de 0,4% des marchés. Les concertations avec le secteur privé ont abouti à la décision que le prélèvement se fasse au paiement du titulaire du marché dont le montant atteint 1 million FCFA.

Entretien réalisé par
Nadège YE

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