Nous avons oublié de vous présenter nos vœux. Mais à quoi servirait un vœu de plus, surtout quand il est pieux et vieux comme le monde ? A quoi sert de formuler les mêmes vœux, juste pour sacrifier à une tradition de faire valoir ? Rassurez-vous, nous ne sommes pas athées.
De toute façon, même ceux qui croient en Dieu savent bien qu’il ne suffit pas de prier pour être exaucé. On ne prie pas pour prier ! Il faut avoir la foi, sinon toute prière est une récitation scolaire de récit sans suite. Quand on veut vraiment quelque chose, on ne se contente pas de débiter des suites de belles phrases pour plaire à l’égo.
Quand on tient vraiment à un objectif, on ne le brandit pas comme un résultat. On se donne les moyens de l’atteindre. On s’engage à y parvenir. Du reste, nous avons reçu vos vœux envoyés par SMS sous toutes les formes ; nous avons reçu vos belles cartes postales. Il y avait de la poésie en vers, pleine de rimes.
La prose y était si rose que nous avons succombé d’overdose. Mais pour vous dire vrai, nous ne croyons pas à vos vœux. Parce qu’ils sont trop béats pour passer par le méat ; trop beau pour être vrais. Parce qu’ils sont si petits et si légers qu’ils auront du mal à peser dans la balance de la réalité.
Parce qu’ils manquent de vérité et de sincérité qu’ils sonnent faux dans la symphonie des mensonges. Qu’il vienne du citoyen lambda ou de l’autorité, un vœu n’est rien d’autre que du vent, s’il manque du cran. Mais voyez comme ils aiment les vœux ! Il y en a qui vous donneront des céphalées en vous cognant la tête, pour des accolades crochues, mal fermées.
Mais puisque vous aimez les vœux, je vous souhaite le paradis sur terre. Je vous souhaite une santé de fer, la paix, la prospérité, le succès dans toutes vos entreprises. Je vous souhaite une année au goût de lune de miel arrosé de fantasmes et pleine de spasmes d’orgasmes sans marasme. Je vous souhaite le bonheur sans heurt, une vie heureuse et joyeuse. Voyez comme c’est beau !
En quelques mots, j’ai réussi à contenter la naïveté de l’innocent qui vit de rêves. En quelques lignes, j’ai réussi à faire balader l’indécis et perplexe illusionné de la caverne. Mais la vie n’est pas un épisode de télénovela. L’existence n’est pas faite que de contentement. Elle repose sur les engagements ; chaque idéal est un combat à mener. Chaque prière a besoin d’une foi certaine en action.
Et nous ne sommes pas sûrs que la providence exauce ceux qui croisent les bras pour attendre le coup de pouce salvateur. Il n’y a pas de coup de pouce magique d’un hasard bizarre. Il n’y a pas de bonne chance, s’il n’y a pas de bonne volonté d’aller à la rencontre de cette chance. On réussit d’abord dans sa tête avant de l’être dans les faits.
On flirte avec le succès dans son cœur avant de se l’approprier. On ne peut pas être dans les bonnes grâces de l’amour, si au fond de soi on cultive son jardin de haine. On ne peut pas avoir une santé de fer dans un pays où même les prématurés ne peuvent pas naître en paix. On ne peut pas avoir une santé de fer dans un système de santé rouillé et désuet. La santé à un coût, seuls ceux qui y mettent le prix peuvent l’avoir.
On ne parle pas de santé dans un pays où l’erreur médicale tue parfois plus que la maladie. On ne peut pas être en bonne santé dans un pays où les hôpitaux sont en panne, où les quelques spécialistes consultent sur rendez-vous de trois ou six mois. Si vous ne nous croyez pas piquer une belle crise nocturne… Avant même le premier chant du coq, vous passez de l’autre côté. Comme c’est dengue ! Comme c’est dingue !
Il y en a qui insistent dans leurs vœux sur la prospérité. Mais peut-on prospérer où les richesses sont détenues par une poignée de gens ? Peut-on prospérer où il n’y a rien à espérer à part les promesses lointaines d’usuriers donateurs sans parole d’honneur ? En vérité, il n’y a pas meilleur crédit que celui que l’on se donne à soi-même.
Il n’y a pas meilleur prêt que ce dont on est soi-même prêt à se faire. Parce que le vrai prêt s’évalue en sueur, en sang et en souffle. Mais à qui la faute, si nos vœux s’assemblent chaque année et se ressemblent l’année suivante ? Rien ne sert de fouiller dans les poubelles de l’histoire, pour exhumer les mobiles du crime. Rien ne sert de badigeonner les façades avec du verni déjà terni.
En fait, nous ne sommes toujours pas « assez entrés dans l’histoire ». Tant pis pour ceux qui détesteront cette paraphrase. Avec ou sans griffe, un pauvre est un pauvre, un mendiant reste un mendiant, un esclave reste un esclave. Mais malheur à l’esclave qui se complaît dans sa servitude. Il aura tort. On s’apitoiera sur son sort en lui jetant un mauvais sort : celui de rester esclave ! Pour paraphraser Lucky Dube: « Do you want to be a well-fed slave, or a hungry free man? » That’s the question!
Clément ZONGO
clmentzongo@yahoo.fr