Commune rurale de Boussouma : la diaspora trace les sillons du développement

Boussouma, commune rurale dans la région du Centre-Est force l’admiration. Elle est composée de 16 villages dont le village chef-lieu éponyme. Le niveau de développement sanitaire, économique, éducatif et architectural de cette bourgade tranche avec plusieurs autres communes rurales du pays. Cet essor remarquable est dû en grande partie par sa diaspora en Italie, en France, en Espagne, au Gabon, en Guinée Equatoriale, en Libye et en Algérie. Découverte d’une localité en transition urbaine !

Zakaria Saré : « grâce à l’Italie, j’ai pu avoir une base pour m’installer à mon propre compte au village ».

Boussouma. Ce jeudi 17 octobre 2024, il est 8 heures et quart, la voie qui relie la commune rurale à la ville la plus proche, Garango est déjà fréquentée par un petit monde. Des élèves, quelques retardataires se hâtent pour les classes. Des hommes et des femmes, certaines avec leurs bébés aux dos, à pieds ou sur des bicyclettes et motocyclettes se dirigent vers les champs. C’est la saison des récoltes. A l’entrée du village, un constat frappe à vue d’œil. Les maisons, jadis en banco, ont disparu pour faire place à celles en ciment. Ses types d’habitats et son niveau de développement tranchent avec plusieurs autres communes rurales du Burkina. A perte de vue, se dressent des constructions modernes, des maisons souvent en hauteur avec des décorations de type européen. L’architecture bien soignée, ces constructions sont l’œuvre de jeunes de la diaspora. Débuté dans les années 98, ce flux migratoire connait de nos jours un taux important avec pour destinations principales, l’Italie, la France, l’Espagne, dans les pays d’Afrique centrale comme le Gabon, la Guinée Equatoriale et ceux de l’Afrique du Nord tels que la Libye et l’Algérie. Les ressortissants de la commune à l’étranger se sont réunis en association avec pour objectif de s’entraider d’abord puis, par la suite, penser au développement de leur commune. Natif de Boussouma, Zakaria Saré, 44 ans, un immigré d’Italie a décidé de regagner la mère-patrie en 2020, pour des raisons de famille.

Le secrétaire général de l’ARDBI : « les membres de notre association, qui sont à jour de leur cotisation, sont au tour de 1030 personnes et se trouvent dans les différents pays européens ».

Aujourd’hui, M. Saré travaille à son propre compte où il mène plusieurs activités avec le soutien de ses deux épouses et huit enfants. Au regard de son parcours, M. Saré dit rendre grâce à Dieu.
« Ce que je suis aujourd’hui, c’est grâce à l’Italie », confie-t-il avec un brin de sourire. Puis de poursuivre qu’il évolue dans le commerce, l’agriculture et l’élevage. « J’ai une alimentation et un magasin de quincaillerie », précise-t-il. Cette année, il a aménagé un hectare et demi de terre pour la culture du maïs, du riz et des légumes. « J’ai installé un forage pour l’irrigation et j’emploie cinq femmes pour les travaux champêtres », explique-t-il. L’année dernière, le quadragénaire n’a exploité qu’un demi-hectare. « Après la vente des récoltes, j’ai obtenu 350 000 F CFA pour le riz, 325 000 F CFA pour les oignons et plus de 500 000 F CFA pour les choux », détaille-t-il. Selon M. Saré, son savoir-faire dans le commerce et l’agriculture découle de son expérience acquise en terre italienne. « Au début, j’ai travaillé dans les champs italiens avant d’être un agent de commerce pendant 9 ans », soutient-il. Dans le but de diversifier ses sources de revenus, Zakaria ambitionne se lancer dans l’élevage. A cet effet, il avoue avoir déjà construit une ferme pour l’élevage de volaille et des ovins.

Un centre médical qui soulage ses patients

A l’image de Zakaria Saré, ils sont nombreux les ressortissants de Boussouma ayant séjourné ou vivant toujours en Europe qui contribuent au développement de leur commune. En sus, l’épanouissement personnel des immigrés et de leurs familles, les secteurs sociaux tels que la santé et l’éducation connaissent un niveau de développement satisfaisant. « Boussouma a une très grande chance. Ses fils, partis à l’aventure au risque de leur vie, ont eu l’initiative de contribuer à son développement dans le secteur de la santé, de l’éducation et la promotion du genre », déclare le chef du village, Naaba Sigri. Et son assistant, Assadou Gaston Gouem d’abonder dans le même sens.

Le médecin chef du centre médical de Boussouma, Dr Wendé Souga : « le centre médical est une avancée notable pour les populations au regard de l’affluence du centre ».

« Ils ont fourni de grands efforts. Nos fils ont transformé le paysage de la commune devenu luisant à travers la construction de maisons en matériaux définitifs », se réjoui-t-il. Pour booster la commune, ses ressortissants vivant en Italie ont créé le 1er novembre 2008, l’Association des ressortissants du département de Boussouma en Italie (ARDBI). Yacouba Saré est le secrétaire général. Agé de 45 ans, père de 3 ans enfants, M. Saré vit en Europe depuis 1998 où il exerce le métier de logisticien. Il soutient que l’association a été créée au début pour venir en aide, en cas de besoin, à ses membres et leurs familles. Par la suite, elle a commencé à œuvrer dans le domaine de la coopération internationale. Grâce aux fonds propres dont les cotisations annuelles varient de 30 à 50 euros par membres et à l’aide de ses partenaires, l’association arrive à mobiliser des ressources pour le développement de Boussouma, atteste le secrétaire général. « Les membres à jour de leur cotisation sont autour de 1030 personnes et se trouvent aujourd’hui dans les différents pays européens tels que : Italie, Belgique, Malte, France, Royaume-Uni, Suisse, Allemagne, Hollande, Suède, Espagne, … », assure Yacouba Saré. Cette initiative a permis d’ériger, le Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) de la commune en un Centre médical (CM) en juin 2023. Le CSPS représente le premier niveau de soins du système de santé au Burkina. Il est, en théorie, composé d’un dispensaire, d’une maternité et d’un dépôt pharmaceutique, l’ensemble étant dirigé par un infirmier.

Selon le médecin chef du CM de Boussouma, Dr Wendé Souga, le ministère de la Santé dans sa politique de rapprocher les soins de la population, compte ériger les CSPS des communes rurales en CM. Grâce à la diaspora, explique-t-il, le CSPS de Boussouma a désormais ce statut. Pour en arriver à cette étape, l’ARDBI a assuré la réalisation des infrastructures y afférentes. Il s’agit de la construction d’un bâtiment central composé de quatre bureaux, d’une salle de soins, de sept salles d’hospitalisation et des toilettes. L’association a aussi construit un bâtiment de trois pièces pour le laboratoire. Présentement, le CM est constitué d’un dispensaire, d’une maternité, d’un laboratoire biomédical, d’un dépôt pharmaceutique et un service de vaccination. C’est une avancée notable pour les populations au regard de l’affluence du centre, affirme-t-il. « Le service des urgences, la maternité et le dispensaire fonctionnent 24 h sur 24. Pour les consultations hors urgences, elles se déroulent les lundi et jeudi et sont à ma charge. En plus, j’assure les visites des malades et les tâches administratives », précise-t-il. Selon le président de l’ARDBI, Sidik Guéné, la réalisation des infrastructures et les équipements ont couté plus de 170 millions F CFA.

L’éducation une priorité de la diaspora

La présidente de l’association Femmes actives de Boussouma, Bintou Bansé : « les tomates que nous produisons sont livrées dans les alimentations dans la capitale ».

Outre le secteur de la santé, les ressortissants de Boussouma interviennent dans le secteur de l’éducation. Aux dires de M. Guéné, leur association a construit une école de trois classes dans le village de Dango, d’un coût total de 38 millions F CFA. Le lycée départemental de Boussouma a aussi bénéficié d’une installation solaire d’une valeur de plus de 2 millions F CFA. Un acte salué à sa juste valeur par les responsables de l’établissement. Selon le censeur du lycée départemental de Boussouma, Wendpoulmdé Roland Kaboré, par manque d’électricité, l’établissement était dans l’obligation de louer une salle au centre-ville pour le secrétariat du lycée afin d’exploiter les machines (ordinateurs, imprimantes etc.). « Pour plus d’autonomie, nous avons entrepris des démarches auprès des ressortissants de la commune. ARDBI nous a répondu favorablement en électrifiant l’établissement à travers l’énergie solaire l’année dernière.

Le personnel a regagné le bâtiment administratif du lycée. C’est le lieu pour nous de remercier infiniment les donateurs », confie-t-il. M. Kaboré précise aussi que l’apport de la diaspora ne se limite pas à l’électrification des bâtiments. En collaboration avec l’Association des parents d’élèves (APE), la diaspora a contribué à la réalisation des salles de classe. « Nous disposons, au premier cycle de neuf classes et de six classes au second cycle avec les séries A et D. L’Etat avait construit trois salles de classes. Le reste a été construit grâce au soutien de la diaspora, de l’APE et d’autres partenaires comme Borne Fontaine », affirme-t-il. Dans leur stratégie de soutien aux actions de développement, les ressortissants de la commune à l’extérieur n’ont pas occulté le genre. Bintou Bansé, 59 ans, mère de trois enfants est la présidente de l’association Femmes actives de Boussouma, crée en 2011. Elle soutient qu’un fils du village, David Guem ,a réussi à nouer un partenariat avec une association italienne dénommée « Gian Gran Pino » pour des actions de développement.

En la faveur de cette coopération, poursuit-elle, sa structure a bénéficié de la construction d’un centre pour la fabrication de beurre de Karité, de savon et la transformation de tomate. « L’association a présentement 110 membres qui sont des femmes. Parmi elles, on dénombre 36 femmes intervenant dans la transformation de la tomate, 24 dans la confection du savon et 41 dans la fabrication du beurre de karité », a-t-elle détaillé. Mme Bansé relève avec satisfaction que les membres de l’association arrivent à subvenir à certaines charges de leur famille, comme les frais de scolarité des enfants et les dépenses de santé. « Nous nous réjouissons d’entendre que nos mères et nos épouses, restées au pays, entreprennent des activités génératrices de revenus et qu’elles arrivent à se prendre en charge », se réjoui, Sidik Guéné. Puis de laisser entendre que l’ARDBI a appuyé l’association des femmes tisseuses de Boussouma « Wikouminto » avec un fonds d’un montant de plus de 3 millions F CFA. Pour toutes ces actions, le préfet, Président de la délégation spéciale (PDS) de la commune de Boussouma, Cheick Alassane Kirakoya, félicite la diaspora pour les efforts consentis. Il précise que la contribution de l’association « KoubanKa » a permis la réalisation des ouvrages de franchissement.

Elle a aussi offert quatre motocyclettes aux Volontaires de défense pour la patrie (VDP) dans le cadre de la lutte pour la restauration de l’intégrité du territoire nationale. Dans la même lancée, l’autorité communale ajoute que les ressortissants de Boussouma vivant au Gabon et en Guinée équatoriale ont également apporté leur contribution pendant la journée de solidarité dédiée aux Forces de défense et sécurité (FDS). « Ce sont des dons en espèces et en nature, notamment des vivres et des vêtements pour les personnes démunies et les populations déplacées internes. C’est un acte patriotique qui mérite d’être salué », insiste-t-il. Pour tirer davantage profit de la contribution des ressortissants au développement de Boussouma, le PDS plaide pour qu’ils viennent en aide aux jeunes de la commune à travers la création de microentreprises et bien d’autres initiatives pour les inciter à rester sur leur terroir. « La population est très jeune et elle est orientée vers l’immigration. De nos jours, beaucoup de jeunes perdent leur vie en cherchant à migrer en Europe », regrette-t-il. Une position soutenue par le chef de Boussouma. « Nos jeunes sont des gros travailleurs. Le problème est que la commune manque de retenue d’eau pour la culture de contre-saison. Si la diaspora pouvait voir le volet de la maitrise d’eau, ce serait vraiment profitable pour la jeunesse », martèle Naaba Sigri.

Abdoulaye BALBONE


Alfonso Marrazi, un italien qui veut transmettre son savoirfaire à ses frères Burkinabè

Alfonso Marrazi, un retraité italien vit au Burkina depuis près de 10 ans. Pour avoir travaillé au Brésil qui a un climat similaire à celui du Burkina (4 à 5 mois de saison pluvieuse », M. Marrazi nourrit plusieurs ambitions pour le développement du pays des Hommes intègres en particulier dans la commune de Boussouma. Il a acquis près d’un demi-hectare dans cette localité. Dans ce domaine sécurisé, il a construit un bâtiment, installé un forage équipé de château d’eau et planté des neemiers (Azadirachta indica). Présentement, l’italien utilise les grains du neem pour la fabrication de savon liquide, de produits de lutte contre les moustiques et les termites. De ses dires, à partir des grains de neem, il est possible de fabriquer plusieurs produits comme les insecticides non toxiques pour l’homme, mais très efficaces pour les plantes. « Avec le climat demi sec du Burkina, on peut réaliser trois récoltes par an dans l’agriculture et deux récoltes par an pour les fruits. Ce qui n’est pas le cas en Italie », assure-t-il. C’est la raison pour laquelle, l’italien travaille sur un projet en vue de transmettre son expérience aux filles et fils de Boussouma.

A.B.


Parcours d’un immigré bissa

Zakaria Saré, 44 ans, natif de Boussouma avait toujours rêvé d’aller en aventure. Son rêve s’est réalisé, le 20 avril 2006. Il a pris la direction de l’Italie. Le périple n’a pas été un long fleuve tranquille. M. Saré a traversé Niamey, la capitale nigérienne ensuite Agadès et Arlit. La traversée du désert commença. Durant quatre jours, il a parcouru le désert algérien pour rejoindre la frontière libyenne. Là, aussi, il poursuivit sa marche durant cinq jours où il a déposé ses pénates à Sabha, une ville située à plus de 600 km au Sud de Tripoli. Après avoir bravé la faim et la soif et côtoyé la mort, une pause s’est imposée.

L’immigré n’a plus eu de moyen pour poursuivre son trajet. A Sabha, il y travaille et économise plus de 2000 dollars. Nantis de cette « fortune », M. Saré a pu alors entamer la traversée de la méditerranée : un parcours de combattant. Le fils de Boussouma a déboursé 1200 dollars au profit des passeurs pour atteindre les côtes italiennes. Il a posé enfin ses baluchons sur l’ile de Lampedusa en septembre 2007.

Il y a séjourné pendant trois mois dans un centre de surveillance avant d’obtenir un titre de séjour avec la mention « raison humanitaire ». Ce document en main, Zakaria Saré est désormais « libre » et va se lancer dans la quête d’un emploi. Il a multiplié les petits boulots et finit par obtenir un titre de séjour pour motif de travail. Grâce à ce sésame, il a pu enfin voyager sans crainte dans la péninsule où il a passé 13 ans.

A.B

 

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