Cour royale de Tiébélé : plus de 500 ans d’histoire qui continue de s’écrire

Dans la cité de Tiébélé, située à environ 175 kilomètres de Ouagadougou, dans la province du Nahouri, région du Centre-Sud, se trouve une cour royale originale. Vieille de plus de 500 ans, cet ensemble d’édifices a conservé son authenticité qui contraste avec l’effervescence de la ville et ses habitats modernes. A la découverte d’un joyau culturel séculaire.

Le président de la délégation spéciale de la commune de Tiébélé, Aimé Gué, note que la ville de Tiébélé doit sa notoriété en grande partie à l’existence de la cour royale.

Vendredi 20 octobre 2023. Il est presque 10h sur la grande artère de Tiébélé qui permet de rejoindre Pô, le chef-lieu de la province du Nahouri, par le nord à 30 kilomètres ou encore par le sud, à la même distance environ, Guelwongo, la dernière ville burkinabè frontalière du territoire ghanéen. A cette période de la journée, Tiébélé est déjà active de part et d’autre de la grande rue. Au bruit des gros camions et autres usagers de la route se mêle le ronronnement d’une unité de production d’eau minérale à proximité. Les commerces jouxtant l’artère sont animés de clients et marchands devisant devant une palette de produits artisanaux et industriels. Avec ses 67 villages administratifs, Tiébélé est la plus grande commune rurale de la province du Nahouri. La ville de Tiébélé, elle-même, présente des traits quasi similaires aux autres centres urbains des communes rurales du Burkina Faso : un centre-ville à forte concentration d’infrastructures administratives et commerciales, une diversité d’activités économiques, des espaces de loisirs et de distraction comme le stade et les restaurants-bars, des quartiers aménagés et desservis en eau, électricité et réseaux de communication, des habitations modernes en matériaux définitifs …

Un site atypique

Le guide, Abdou Bayeidiena, explique que tout a un sens dans la cour royale.

Mais au milieu de cette configuration à l’occidental, se dresse un joyau architectural traditionnel séculaire : la cour royale. Bâti sur un hectare et demi, c’est un ensemble d’édifices constitués de 126 cases et de murs regroupés en un bloc circulaire et perché sur une petite colline. En remontant la piste menant à la cour, sur une pancarte bordant la route, une inscription du ministère en charge de la culture alerte déjà du caractère singulier du palais. De ce lieu, la cime du grand figuier rouge pointant au-dessus d’une butte est le premier élément visible du site que le département ministériel désigne « d’intérêt touristique » sur son écriteau. Au pied de l’arbre qui se dresse majestueusement à côté de la porte d’entrée principale, sont entreposés des cailloux en granite. D’autres pierres similaires sont encore disposées non loin, près d’un tertre de terre désigné comme la sépulture de l’ancêtre. A droite de l’entrée du palais, une case rectangulaire sans mur sur le côté adjacent à la voie complète les curiosités à l’extérieur de la cour royale. En passant la porte, un vaste espace vide avec quelques monticules de terrain surmontés de morceaux de canaris précède les concessions. Ici, la terre, la paille et le bois sont les trois principaux matériaux utilisés pour ériger les murs et les habitats.

La cour entière forme un labyrinthe où la plupart des constructions sont revêtues de décorations et de couleurs, principalement du rouge, du noir et du blanc. Les cases, elles, construites en terre, sont de forme ronde, carrée, rectangulaire ou en 8 couché. Tout comme l’ensemble des éléments constitutifs de la cour, cette architecture particulière est un héritage culturel entretenu génération après génération, explique Abdou Bayeidiena, le guide qui conduit les visites du jour. Habitants de la cour royale, ces guides sont les principaux, voire les seuls interlocuteurs des visiteurs, selon une règle sur place. Mais c’est sans doute aussi parce qu’ils connaissent de bout en bout l’historique et les facettes de ce patrimoine dont la promotion fait partie de leur mission.

Une tradition séculaire

A la fois un lieu de vie de plus de 400 personnes réparties en 54 petites familles et un lieu de culte, la cour royale de Tiébélé retrace cinq siècles d’histoire des Kassena. « C’est la tombe du fondateur de la chefferie et de la cour royales de Tiébélé qui se trouve à l’entrée », indique le guide. Prince mossi déchu de Loumbila à quelques kilomètres de Ouagadougou, du nom de Patyringomie, il quitte sa localité pour s’établir dans la zone accidentée de Tiébélé où il s’associe à certains peuples autochtones pour s’imposer aux autres peuples hostiles, foi de Abdou Bayeidiena. Il pose ensuite les bases de la chefferie de Tiébélé et construit le palais royal. Plus tard, l’autorité de la chefferie de Tiébélé se consolide grâce aux princes successeurs qui réussissent progressivement à taire les divergences entre les groupes autochtones et à constituer le peuple kassena. Cela se passe au début du XVIe siècle, poursuit Abou Bayeidiena. Au fil du temps et durant 500 ans, les influences extérieures, dont la colonisation, poussent à l’adoption de nouveaux modes de vie, notamment occidentalisés, dans presque toute la province du Nahouri. Mais la cour royale, elle, conserve l’originalité léguée par ses fondateurs. Sans raccordement au réseau d’adduction en eau ni au réseau électrique, le palais reste un ilot d’expression de la tradition kassena. On y vit presqu’à l’ancienne, sous l’autorité de l’actuel chef, Sa Majesté Pouawè, 12e de la lignée.

Une histoire écrite en matériaux

Chacune des composantes de la cour renferme aussi une part d’histoire des Kassena. Le récit du guide, Abdou Bayeidiena, permet d’ailleurs de s’en rendre compte. Des détails qu’il donne, tout a un sens à l’intérieur comme à l’extérieur de la cour. Devant la porte d’entrée principale, le figuier est le symbole de la puissance de la famille royale. Les cailloux en granite sont des places assises, certaines réservées aux membres de la cour royale, d’autres aux notables et d’autres encore aux chefs des autres familles. La case rectangulaire sert de prétoire pour les jugements. La grande butte encore appelée pourou en langue locale kassena est le lieu où sont enterrés les placentas des nouveaux membres de la cour. « C’est aussi un lieu de culte où les Kassena qui vivent à cheval entre le Burkina Faso et le Ghana et même des personnes d’autres ethnies viennent demander de la protection ou de l’assistance », confie Abou Bayeidiena. Pour ce qui est de l’intérieur du palais, l’espace précédant les concessions avec des buttes surmontées de canaris est le cimetière animiste pour les défunts n’ayant pas embrassé d’autres religions de leur vivant. Quant à la forme des cases, elle répond aussi à une organisation sociale interne. Les cases rondes à toit de paille sont habitées par les célibataires et quelques fois par les guérisseurs, les féticheurs et les devins.

Les cases rectangulaires ou carrées sont les logements des couples. Celles en forme de 8 couché sont réservées aux grand-mères et aux enfants de bas âge. Les cases rectangulaires, carrées ou en 8 couché disposent de toitures en terrasse qui servent d’aire de séchage pour les femmes ou de dortoir aux heures chaudes de la nuit. Au-delà de l’esthétique, les décorations qui tapissent les façades des murs et des habitations sont des messages retraçant l’histoire des Kassena. Cet art pictural est exclusivement l’œuvre des femmes tandis que les hommes, eux, sont chargés de la construction. Les cases en 8 couché encore appelées cases-mères ont aussi cet aspect singulier : une porte d’entrée d’à peine un mètre de hauteur et de largeur. Sa dimension oblige à s’accroupir pour entrer, la tête en premier. Et juste après, se dresse un muret qu’il faut enjamber avant d’accéder au large espace de l’intérieur. Cette architecture particulière est un des traits défensifs qui caractérisent l’habitat traditionnel kassena. « Dans le temps, avec ça on se protège des animaux dangereux et des envahisseurs en les assommant aisément quand ils tentent de pénétrer dans la case ou en stoppant leurs flèches grâce au muret », raconte Abou Bayeidiena.

Une popularité au-delà de Tiébélé

Les femmes s’occupent des décorations murales chez les Kassena.

La cour royale est donc une pièce d’histoire des Kassena que les habitants de Tiébélé chérissent. Et ils ne s’en cachent pas lorsque le sujet est évoqué. « Elle est très importante pour nous, je peux même dire que c’est un trésor pour nous », se réjouit Kouhizoura Béatrice, une élève de la classe de 4e dans un lycée de Tiébélé. Aimé Gué, le président de la délégation spéciale de la commune de Tiébélé, lui, reconnait que la ville doit en partie sa notoriété au palais. Une popularité qui va même au-delà des frontières nationales, évoque Richard Akouabou, membre d’une association locale qui s’emploie à l’entretien et la sauvegarde de la cour royale. Jusqu’en 2016, avant la dégradation de la situation sécuritaire au niveau national, plus de 1 000 de visiteurs étaient accueillis annuellement sur le site, à ses dires. Il s’agit de nationaux mais aussi d’étrangers venant d’horizons divers pour contempler le riche patrimoine local et national. Sur la toile, plusieurs traces audiovisuelles et écrites font écho de ces visites.

Le site touristique a même fait l’objet d’un ouvrage intitulé « La cour royale de Tiébélé du Burkina Faso », co-rédigé, en 2017, par des auteurs burkinabè, français et belges aux profils divers dont des anthropologues, des archéologues, des architectes, des historiens, des historiens de l’art et des gestionnaires de patrimoine. Ce livre de portée scientifique qui évoque, entre autres, l’originalité, la valeur historique et les contraintes liées à la conservation du palais témoigne, parmi tant d’autres productions, de l’intérêt porté au site au-delà des limites de Tiébélé. Une notoriété qui rejaillit également sur les femmes kassena, auteures des décorations murales, invitées un peu partout dans le monde pour exposer leur savoir-faire ancestral. « Nous avons été invitées dans des pays d’Afrique, d’Europe et d’Asie pour reproduire nos peintures. C’était de belles expériences même si le travail qu’on fait là-bas est différent de ce que nous faisons ici quand il s’agit de nos propres cases », explique Kalira Nion, la responsable du groupement féminin Pèbatchoga qui regroupe les femmes dépositaires de l’art de la décoration murale kassena nommée ‘’dora’’ en langue locale.

Des menaces mais de l’espoir aussi

A travers la cour royale de Tiébélé s’exprime une tradition séculaire que des générations de Kassena et les membres du palais en particulier travaillent à conserver. Mais la tâche, au fil des années est ardue, reconnait Abou Bayeidiena. La tradition coûte chère aujourd’hui, plaisante-t-il, faisant référence au coût de l’entretien des cases et des peintures. « Dans le temps, la peinture durait au minimum trois ans avant la rénovation, mais aujourd’hui, à cause des aléas du climat et de la baisse de la qualité des matériaux, il faut le faire pratiquement chaque année », soutient le guide. Les années précédant la crise sécuritaire, le tourisme suffisait à générer des recettes permettant de supporter le coût des entretiens de la cour. Ce qui n’est plus le cas depuis 2016, la situation sécuritaire s’étant complexifiée. Les visites sont tombées à moins de 500 personnes en moyenne annuellement et souvent juste une centaine de visiteurs certaines années, impactant négativement les ressources pour l’entretien de la cour mais aussi des activités connexes dans la ville comme l’hébergement, relève Richard Akouabou.

Fort heureusement, dans cet élan de sauvegarde du patrimoine, les membres de la cour royale reçoivent quelques fois des aides de particuliers et d’institutions sensibles à leurs efforts. Le ministère en charge de la culture est aussi un soutien et non des moindres. Le directeur provincial de la culture du Nahouri, Noé Bado, cite, entre autres, l’accompagnement technique et financier et la sécurisation foncière du site en perspective, au titre des actions de son département. Mais le grand combat que ce ministère porte aujourd’hui et qui donnera plus de notoriété au site et des moyens pour son entretien, dit-il, c’est son inscription sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO. « Le dossier est déjà avancé à ce jour et nous avons bon espoir qu’il aboutisse », se réjouit-il d’avance. Noé Bado évoque enfin une autre action d’envergure du ministère en cours et qui vise à protéger le site eu égard au contexte sécuritaire national et sous régional. « Nous avons proposé le site à la protection renforcée. Ce qui veut dire qu’en période de crise ou de guerre, les organismes internationaux vont nous venir en aide sur le plan militaire pour sécuriser le patrimoine », fait savoir le directeur provincial en charge du tourisme du Nahouri.

Mamady ZANGO mzango18@gmail.com

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