L’étau terroriste se resserre autour de Dablo, localité situé à 90 km de Kaya, la capitale régionale du Centre-Nord, suite au départ des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Réfugiés dans les villes de Barsalogho et Kaya, depuis fin novembre 2021, ces supplétifs de l’armée luttent pour survivre. Confrontés à des difficultés, ils appellent à la solidarité agissante des compatriotes.
Watinoma, quartier non loti du secteur 5 de Kaya. Le soleil illumine progressivement cette banlieue, située à l’Ouest de la ville de Kaya, capitale régionale du Centre-Nord. T.S. alias Madi s’apprête pour sa routine quotidienne. Ce mercredi 2 février 2022, il va «fouiller le ventre» de la ville, comme il en a l’habitude depuis qu’il a foulé le sol de la Cité des cuirs et brochettes, il y a de cela 68 jours. Dans sa randonnée, il espère tomber sur un bras «attendri» qui lui offrira sa pitance. Un rituel devenu aussi commun à ses trois épouses. Après le chant du coq, elles se lancent, à corps perdu, dans les artères de la ville à la recherche de sites où s’enrôler pour avoir une hypothétique dotation en vivres. Un vrai cauchemar quotidien ! La famille était, en effet, loin d’imaginer une telle vie même quand le terrorisme frappait, pour la première fois, aux portes de Dablo, le 12 mai 2019. La commune de Dablo, située à 90 Km de Kaya, au nord-ouest de la province du Sanmatenga, est constituée de dix villages administratifs, avec à la clé 24 000 âmes, selon l’ancien bourgmestre de Dablo, Dr Ousmane Zango. Elle fait partie des 11 collectivités territoriales du Sanmatenga et des 28 de la région du Centre-Nord. Dablo fait frontière avec les communes de Tongomayel, Kelbo, dans la province du Soum et celles de Namisguima, Barsalogho et Pensa, dans le Sanmatenga.
Les activités principales des populations de cette collectivité sont l’agriculture, l’élevage et la foresterie. En 2019, pour contrer la menace grandissante d’insécurité, T.S. et certains de ses compatriotes s’étaient constitués en Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Durant les trois années de résistance héroïque, leurs missions, aux côtés des Forces de défense et de sécurité (FDS), consistaient, entre autres, à assurer des gardes diurnes et nocturnes sur les collines quadrillant la ville, à effectuer des patrouilles dans les villages environnants et à organiser les escortes des populations et de leurs marchandises sur les axes Barsalogho-Dablo et Dablo-Kelbo. En dépit de cette lutte acharnée contre l’hydre terroriste, leur commune tombera aux mains des terroristes, le 26 novembre 2021, à la suite du départ des pandores de leur détachement de Dablo. Ce départ fait aussi suite à l’attaque du détachement de la gendarmerie d’Inata, dans la matinée du 14 novembre 2021, qui avait fait officiellement 53 gendar-mes et quatre civils tués, suivie de celle du poste de gendarmerie de Foubé, le 22 novembre 2021, qui a occasionné la mort de neuf gendarmes et de dix civils. Restés seuls sur place, les VDP ont fini aussi par plier bagage pour se réfugier à Barsalogho puis à Kaya.
Des jours inoubliables
Constatant le départ de la gendarmerie et des VDP, les terroristes sont venus, le 26 novembre 2021, commettre des exactions en brûlant les locaux de la gendarmerie, des tentes des Personnes déplacées internes (PDI). Ils ont par ailleurs incendié des greniers et emporté du bétail. Les populations et certains VDP n’ont pas eu d’autre choix que de trouver refuge majoritairement à Kaya et Barsalogho. Depuis lors, la vie de T.S. a basculé. Après avoir passé des jours inoubliables au stade régional du Centre-Nord, à la belle étoile, en cette période de froid de canard, le VDP de Dablo finit par bénéficier de l’hospitalité d’un enseignant qui lui offre gracieusement sa bicoque de 14 tôles. En dépit de ses maints enregistrements sur les listes des services de la direction provinciale en charge de l’action humanitaire, ce supplétif de l’armée est toujours «sans abri» et sans assistance alimentaire. «Depuis novembre 2021, je n’ai reçu que 12 bols de riz offert par le gouverneur du Centre-Nord au profit des VDP de sa région», témoigne-t-il, attristé. Manger à sa faim constitue donc une équation à multiples inconnues. Dans sa cour, des ustensiles de cuisine abîmés et poussiéreux sont éparpillés. Filiforme, ce VDP à la barbe blanche touffue se tient difficilement sur ses deux jambes.
Même si T.S. a échappé de justesse aux balles assassines des hommes sans foi ni loi, il brave désormais la faim pour survivre. Bonnet à poil couronné du drapeau américain bien vissé sur la tête, ce quinquagénaire appelle à la solidarité agissante des bonnes volontés. «Ma fille qui fait la classe de 3e est actuellement avec sa tante à Ouagadougou. J’ai confié aussi sa petite sœur à une femme qui voulait une fille pour faire le ménage. Les trois autres élèves ont été déscolarisés par manque de moyens…», soutient-il, l’air désespéré. B.O., un autre VDP, ne sait plus à quel saint se vouer. Il a trouvé refuge dans la cour familiale de son neveu, au village de Tiffou, une zone non lotie du secteur 7 de Kaya, depuis novembre 2021. Le second interlocuteur n’est bénéficiaire ni de tente ni de vivres de l’action sociale. Epoux de quatre femmes avec à sa charge une vingtaine de bambins, le VDP croule sous le poids des dettes, afin de subvenir à ses besoins primaires. Pour atténuer ses souffrances, il s’est aussi «déchargé» d’une bonne partie de sa famille. «J’ai emprunté 125 000 F CFA pour nourrir ma famille. Malgré tout, cela ne suffit pas. J’ai donc confié mes trois autres femmes et leurs enfants à mes parents», explique-t-il.
Des vies sans sens
A la question de savoir comment va-t-il rembourser sa dette, le VDP répond : «Si nous regagnons rapidement Dablo, je vais vendre mes céréales pour solder mes crédits si toutefois les terroristes ne les ont pas incendiées. Dans le cas échéant, je rejoindrai bientôt les sites d’orpaillage ». Il est 12h35mn.
La faim tenaille les tout-petits. Amaigrie, sa fillette de quatre ans dandine dans tous les sens. «N’avez-vous pas cuisiné aujourd’hui ?», demande l’homme à son épouse. «Négatif », répond-elle, sans détour. A l’image de ces deux volontaires, une trentaine de VDP de Dablo semblent être des laissés-pour-compte dans la ville de Kaya. Cette vie de misère serait liée à la mauvaise coordination dans la chaine d’enrôlement des PDI. Pour l’ancien maire de Dablo, Dr Ousmane Zango, cette difficulté de prise en charge des VDP est liée, soit à la lenteur dans la procédure d’enregistrement, soit au non-enregistrement même des VDP. «Il y a toujours des PDI au stade régional et dans des familles-hôtes qui ne sont pas recensées. Cela fait plus de deux mois qu’elles attendent. Alors que dans l’urgence, cela devrait être plus rapide», déplore-t-il. Une préoccupation que le directeur régional en charge de l’action humanitaire du Centre-Nord, Yacouba Ouédraogo, n’a pas souhaité commenter ou du moins donner plus de détails. Néanmoins, il fait savoir que la prise en charge des VDP se fait entre sa direction et le commandement. Consterné, B.O. estime que les VDP méritent un traitement spécifique, au vu du sacrifice consenti quotidiennement. «Nous avons parfois l’impression que le sort des PDI est plus enviable que le nôtre », estime-t-il. «Durant les trois ans à Dablo, nous n’avons reçu aucun soutien en matière de vivres. Alors que notre principale activité était la sécurisation de la commune», renchérit T.S. Eu égard aux sacrifices consentis, M. Zango estime que ces VDP devraient bénéficier d’un traitement spécifique. «Ils se sont engagés farouchement dans la lutte contre l’insécurité depuis l’avènement des VDP. Dans cette résilience, ces VDP ont joué un grand rôle, car ils étaient en ligne première contre les groupes armés terroristes en abandonnant leurs activités principales. Il est donc normal qu’une prise en charge spécifique leur soit consacrée», soutient-il.
Porter secours
Aux dires des VDP de Dablo, leur dernier espoir est fondé sur les bonnes volontés, notamment les ressortissants de leur localité. «C’est aux populations de Dablo de faire le premier pas en prouvant aux yeux des Burkinabè leur élan de solidarité envers nous…», estime le chef VDP de Dablo, S.S., les yeux presque embués de larmes. Abondant dans le même cri du cœur, le vice-président de l’Association pour le développement de Dablo (ADD), Mahamadi Sawadogo, invite l’Etat à se pencher surtout sur le sort des familles des six VDP tombés sur le champ d’honneur. «On se rappelle douloureusement l’évènement meurtrier de Dou, le 31 mars 2021, comme si c’était hier. C’est vraiment un acte patriotique. Ils sont morts pour le drapeau national. Actuellement, ils ont laissé des familles meurtries. C’est l’occasion aussi pour nous de demander aux bonnes volontés de leur porter secours», explique M. Sawadogo. D’ores et déjà, son association entend organiser une remise de dons à ces familles peinées.
Sur l’un des sites d’accueil des PDI de Kaya, certains VDP ont pu se trouver des tentes pour caser leurs familles. Il s’agit, entre autres, de M.S., S.S. (chef-VDP adjoint de Dablo), P.D.K., S.S. (chef-VDP de Dablo). En plus des tentes, ils bénéficient aussi de soutiens en vivres. S.S. occupe une tente équivalent dix tôles qui sert de dortoir pour une vingtaine de personnes. Un abri de fortune fait à base de bois blanc et de bâche légère avec une porte et une fenêtre en tôle. «Nous remercions déjà Dieu pour avoir reçu ces tentes pour nos familles. Nous sommes ici en tant que PDI», indique-t-il. Cependant, avec le manque de soutien, les dotations en vivres et matériel commencent à se faire rares de jour en jour. Ce qui pousse certains VDP-PDI à s’adonner à autres types d’activités peu enviables. Agé de 52 ans, L.D.K. est père de 16 enfants répartis entre deux épouses. Cela fait 24 jours qu’il vit sur le site après avoir passé 40 jours au stade régional du Centre-Nord, à la belle étoile. P.D.K, lui aussi, peine à survivre. «Depuis mon arrivée, je n’ai reçu de vivres qu’une seule fois. Il s’agit d’un sac de 25 Kg de riz. C’est le don du gouverneur aux VDP de la région», déclare-t-il, tout amer. Amulettes de diverses couleurs ornant les doigts, notre héros «affamé» affirme faire le tour de Kaya chaque matin à la recherche de sa pitance.
« Nous n’avons pas droit au découragement »
«Chaque matin, je fais le tour de la ville dans l’espoir de rencontrer une connaissance afin de solliciter de quoi mettre sous la dent. Nous sommes devenus comme des mendiants. Nos femmes aussi arpentent les grandes artères de la ville dans l’espoir de se faire enregistrer pour une dotation en vivres. Malheureusement, jusqu’à présent, elles ne parviennent pas à se faire enrôler encore moins bénéficier de vivres», se lamente le VDP, P.D.K. Cependant, il ne décolère toujours pas après les pertes subies dernièrement avant son arrivée à Kaya. «J’ai perdu récemment 4 bœufs que j’avais achetés à 350 000 F CFA l’unité, soit 1,4 million F CFA. Je croyais pouvoir les emmener en novembre 2021 à Kaya, pour nourrir ma famille. Mais, les terroristes les ont emportés avec 20 moutons. Ils m’ont retiré aussi une moto. Et, moi-même j’ai fui en abandonnant ma deuxième moto à Dablo», relate-t-il. Ses enfants souffrent également d’infections respiratoires. «Mes enfants souffrent de toux et rhume, car, dormir dans ces tentes c’est dormir à la belle étoile surtout en cette période de fraîcheur», dit-il. En dépit des conditions de vie difficiles de nos vaillants combattants, dormir le ventre «creux» n’entache en rien leur détermination pour la reconquête de leur commune. «Etant donné qu’il s’agit d’une guerre patriotique, nous n’avons pas droit au découragement malgré nos conditions de vie difficiles.
Il s’agit d’une guerre de survie. La plupart de nos VDP ont toujours le moral haut», rassure le chef VDP adjoint S.S., l’air ragaillardi. Ces VDP-PDI souhaitent une mission réussie au Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR). «Je prie que Dieu accompagne les nouvelles autorités pour que les PDI regagnent rapidement leurs villages d’origine. Nous sommes et nous resterons toujours engagés pour épauler l’armée dans ses missions de sécurisation du territoire national», déclare le chef VDP adjoint de Dablo. Même son de cloche chez l’ancien édile de Dablo, Dr Ousmane Zango, qui estime que la mise en place du Commandement des opérations du théâtre national (COTN) sera un tremplin pour la formation et l’équipement conséquent des VDP. Il exhorte le pouvoir en place à se pencher aussi sur la prise en charge alimentaire et sanitaire des familles des VDP.
Emil SEGDA
Segda9emil@gmail.com