Le mouvement d’humeur des militaires, entamé dimanche dans plusieurs casernes, a abouti à un coup d’Etat qui a mis fin au pouvoir du Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, hier lundi 24 janvier 2022. C’est le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), dirigé par le lieutenant-colonel, Paul Henri Sandaogo Damiba, qui a pris les commandes du pays.
Au petit matin du dimanche 23 janvier 2022, les Ouagalais se sont réveillés avec les bruits de tirs en provenance de plusieurs casernes (les camps Sangoulé- Lamizana et Guillaume-Ouédraogo ainsi que la Base aérienne 511). Le même mouvement d’humeur est signalé, simultanément, dans d’autres localités, telles que la ville de Kaya qui abrite la première région militaire. Les réseaux sociaux s’enflamment.
Les Burkinabè s’interrogent de part et d’autre sur ce qui arrive à leur pays, miné depuis six ans par une insécurité sans précédent, marquée par des attaques terroristes quasi quotidiennes. Faute de réponse, certains commencent déjà à parler de coup d’Etat. Les rumeurs les plus folles courent.
Très vite, un communiqué du gouvernement tombe, pour démentir une prise du pouvoir par l’armée, tout en reconnaissant l’effectivité des tirs. A 9 h 24 minutes, le ministre de la Défense nationale et des Anciens combattants, le général Barthélémy Simporé, qui avait été annoncé, apparait sur les antennes de la Télévision nationale.
Il affirme ne pas trop en savoir sur les motivations des tirs, mais dit travailler de concert avec le gouvernement pour y voir clair. Le Gal Simporé dément les rumeurs sur l’arrestation du chef de l’Etat et appelle les populations à vaquer à leurs occupations, car la « situation est sous contrôle ». Mais au moment où il s’exprime, les tirs continuent dans les casernes.
Confusion totale
Des manifestants, favo-rables au mouvement d’humeur des militaires, font une descente musclée au siège de campagne du parti au pouvoir, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Le rez-de-chaussée de l’immeuble est passé à sac. Entre-temps, le chef de l’Etat décrète jusqu’à nouvel ordre, un couvre-feu de 20 h à 5 h 30 sur toute l’étendue du territoire national à partir du 23 janvier 2022.
Les tirs s’estompent aux environs de 16 heures à Ouagadougou, le temps du match des Etalons, opposés aux Panthères du Gabon pour les 8es de finale de la CAN 2021. A peine le match soldé par une victoire du Onze national terminé, que les tirs ont repris de plus belle. La liesse populaire, qui a accompagné la qualification des Etalons pour les quarts de finale, n’a pas suffi à calmer les ardeurs des mutins.
Les citoyens, qui étaient encore en ville à fêter la performance des Etalons ou pour d’autres raisons, s’empressent de regagner leurs domiciles. La nuit est totalement tombée sur Ouagadougou et les rues se sont complètement vidées. Les tirs ont toujours cours, gagnant parfois en intensité à certains endroits, d’après certaines confidences. Des coups de feu sont signalés au camp Baba-Sy et dans la zone de la résidence privée du chef de l’Etat au quartier Patte-d’oie. Personne ne sait ce qui se passe.
Les Ouagalais se réveillent à nouveau dans l’expectative, dans la matinée d’hier lundi 24 janvier, avec des nouvelles d’affrontements dans le courant de la nuit où la situation a dû connaitre une évolution dantesque. Des témoignages font état de ce que des véhicules appartenant à la garde rapprochée du président du Faso ont été abandonnés à Ouagarinter. Il revient également que le domicile privé du chef de l’Etat à la Patte-d’oie a été incendié.
C’est la confusion totale. Aux alentours de 8 heures, des mutins investissent les locaux de la Radiodiffusion-télévision du Burkina Faso (RTB), avec des blindés. Des médias internationaux, comme Jeune Afrique et Radio France internationale (RFI), annoncent l’arrestation du président Kaboré et sa détention dans un camp de Ouagadougou.
Une déclaration est annoncée sur les antennes de la télévision nationale prise d’assaut par des confrères de la presse nationale dès 10 heures. C’est l’occasion pour les Burkinabè de l’intérieur, comme de l’extérieur et le monde entier, plongés dans l’expectative, de savoir ce qui se trame au pays des Hommes intègres .
Même si des sources plus ou moins informées indiquent que les mutins ont opéré un coup de force, sous la direction du lieutenant-colonel, Paul Henri Sandaogo Damiba, rien n’est encore officiel. Ce militaire, respecté au sein de la ‘’ grande muette ‘’ selon certaines indiscrétions, commande la troisième région militaire du pays. Ce n’est pas une figure connue du grand public.
A l’heure indiquée pour la déclaration sur la RTB, il ne se passe rien. Le temps poursuit sa marche. Les évènements s’enchainent…
La réaction de la CEDEAO et de l’UA
Alors que la situation est floue, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) et l’Union africaine, dans des communiqués produits de part et d’autre, condamnent « fermement » une tentative de coup d’Etat et appellent l’armée burkinabè à rester républicaine.
Le MPP sort de son silence, à travers une déclaration de son secrétariat exécutif national, au moment où des informations circulent sur l’arrestation de son président, Alassane Bala Sakandé, Président de l’Assemblée nationale et du Premier ministre, Lassina Zerbo. Le parti au pouvoir a appelé le peuple à faire obstacle au présumé coup d’Etat et dénoncé une « tentative d’assassinat du chef de l’Etat ».
Aux environs de 14 heures, l’Agence d’information du Burkina (AIB) rapporte également l’information relative à la mise aux arrêts du président Kaboré et son « isolement », citant des sources concordantes.
Le MPSR parle enfin…
De l’ombre, on est finalement passé à la lumière après 17 heures, avec une déclaration signée du lieutenant-colonel Paul Henri Damiba et lue à l’antenne par le capitaine Sidsoré Kader Ouédraogo de l’armée de l’Air, entouré des différentes composantes des Forces armées nationales.
«Au regard de la dégradation continue de la situation sécuritaire qui menace les fondements même de notre Nation, de l’incapacité manifeste du pouvoir de Monsieur Roch Marc Christian Kaboré à unir les Burkinabè pour faire face efficacement à la situation et suite à l’exaspération des différentes couches sociales de la Nation, le Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) a décidé d’assumer ses responsabilités devant l’histoire, la communauté nationale et internationale », a d’emblée déclaré le capitaine Ouédraogo. Il a ajouté ceci : « Le mouvement, qui regroupe toutes les composantes des forces de défense et de sécurité, a décidé de mettre fin au pouvoir de Monsieur Roch Marc Christian Kaboré, ce 24 janvier 2022.
Une décision prise dans le seul but de permettre à notre pays de se remettre sur le bon chemin et de rassembler toutes ses forces afin de lutter pour son intégrité territoriale, son redressement et sa souveraineté », a-t-il affirmé. Le porte-voix du MPSR a souligné que « les opérations se sont déroulées sans effusion de sang et sans aucune violence physique sur les personnes arrêtées qui sont détenues dans un lieu sûr dans le respect de leur dignité ». Il a aussi rassuré les partenaires et amis du Burkina Faso sur la « ferme volonté » du pays de continuer à respecter ses engagements internatio-naux en matière des droits de l’homme notamment. Le capitaine Ouédraogo a également indiqué que le MPSR s’engage à proposer dans « un délai raisonnable après consultation des forces vives de la nation, un calendrier de retour à un ordre constitutionnel accepté de tous ».
Le porte-parole du MPSR a fini sa déclaration en faisant cas de la prise d’un certain nombre de mesures : la suspension de la Constitution, la dissolution du gouvernement, de l’Assemblée nationale. La fermeture des frontières aériennes à compter du 24 janvier 2022 et ce jusqu’à nouvel ordre, un couvre-feu de 21 h à 5 heures sur toute l’étendue du territoire national à compter du 24 janvier 2022 et jusqu’à nouvel ordre, font partie des premières mesures du MPSR. L’expédition des affaires courantes par les secrétaires généraux des départements ministériels a été décidée quelques heures après la dissolution du gouvernement par le communiqué numéro 3 du président du MPSR, Paul Henri Sandaogo Damiba.
Synthèse de Kader Patrick KARANTAO