Discours du chef de l’Etat : une rupture au plan formel et sémantique

A l’occasion de sa prestation de serment devant le Conseil constitutionnel, le vendredi 21 octobre 2022, le capitaine Ibrahim Traoré, investi chef de l’Etat a opté de parler plutôt que de prononcer un discours comme à l’accoutumée. Il opère ainsi une rupture au plan formel et sémantique qui interpellent sur la symbolique de l’acte. Si l’option du discours aurait pu garantir une certaine cohérence organisationnelle du message et assurer un choix lexical à la hauteur du contexte d’énonciation, elle appauvrirait le message du point de vue de l’éthos et du pathos. Ces éléments qui manifestent la subjectivité de l’orateur ont une part importante dans la réception du prononcé.

Dès l’entame de son propos, le chef de l’Etat a indiqué son option : « Je n’irai pas vous faire un discours ce matin. Je vous parlerai en mes propres mots… ». Il a décidé de parler, pas avec des mots empruntés, mais avec ses propres mots, le vocabulaire et l’expression qui lui sont propres, qui viennent de son cœur et qui caractérisent son individualité.

Au-delà du fait qu’il veut être lui-même, et non quelqu’un d’autre, ce choix indique la sincérité de l’orateur et redonne à la « Parole » la place qu’elle occupe dans le conseil des sages. Dans une telle circonstance, plus que le discours, la parole est sacrée, sincère et vraie. Dire à quelqu’un qu’on va lui parler, c’est lui demander une attention particulière afin de lui exprimer ce que l’on pense réellement. Cette sollicitation crée une atmosphère chargée d’émotion et d’attente qui prédisposent à l’écoute et qui engagent la personnalité (au sens éthique du terme) de celui qui décide de parler.

La parole prononcée est alors lourde de sens et de vérité, parce qu’elle doit être conforme à l’être de celui qui parle. Le capitaine ne s’est donc pas trompé en choisissant de parler plutôt que de prononcer un discours lors de sa prestation de serment. En s’adressant au Conseil constitutionnel, le chef de l’Etat en a profité pour parler au peuple. Il a en effet parlé aux conseillers, à ses frères d’armes, aux personnes déplacées internes, aux Burkinabè de l’intérieur et de l’extérieur, aux partenaires et amis du Burkina Faso. De cette parole solennelle, on peut retenir sept (7) points :

1. Le rappel des objectifs du MPSR

Pour le chef de l’Etat, le rappel des objectifs du MPSR a son importance parce qu’il sied de connaître les raisons qui les ont conduits, ses camarades et lui à poser « des actes anticonstitutionnels ». Ces actes s’imposaient à eux au regard de la situation sécuritaire et humanitaire dans laquelle se trouvait, et trouve encore, la Nation.

Il convient de rappeler ces objectifs qui sont de reconquérir le territoire occupé par les terroristes, de donner un souffle de vie nouveau aux populations et d’envisager un développement endogène. Telles sont les raisons qui ont prévalu à l’avènement du MPSR le 24 janvier 2022 et qu’il a fallu ramener à la table, le 30 septembre 2022, par un recadrage au sommet de l’Etat. De ces objectifs il ressort deux éléments essentiels : la question sécuritaire et la question humanitaire. Ce sont ces questions qui ont sonné la révolte du soldat et de ses camarades et elles ne doivent faire l’objet d’aucun commerce.

2. L’appel à la révolte

Le chef de l’Etat indique que ses camarades et lui ont décidé de s’assumer et d’assumer leur révolte conformément au propos légendaire du capitaine Thomas Sankara sur le rapport de l’esclave à son maître. Par une reprise anaphorique du mot “révolte” le capitaine Ibrahim Traoré rythme son propos qui fait écho à celui de son devancier capitaine.

Quand il dit qu’il s’agit de la révolte des personnes déplacées internes (PDI) (qu’il considère comme des personnes réfugiées dans leur propre pays), de la révolte des soldats au front, de la révolte des Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), de la révolte des populations dans les localités assiégées par les terroristes, de la révolte des Burkinabè, cela relève moins d’un constat que d’un appel à la révolte véritable. En effet, par ces propos, le chef de l’Etat appelle le peuple tout entier à se révolter contre cette nouvelle forme de domination.

Il ne s’agit plus de se limiter à l’indignation face à la barbarie, et encore moins de se résigner. Il s’agit de se révolter et de faire face à l’ennemi « en comptant sur nous-mêmes ». Une révolte collective appelant à l’union sincère et à la solidarité entre populations des villes et des campagnes. Pour le capitaine Ibrahim Traoré, la condition pour que cette révolte puisse conduire à la libération totale de notre pays est l’union des Burkinabè de l’intérieur et de l’extérieur.

3. L’appel à l’union

Le message du chef de l’Etat appelle à l’union des filles et fils du Burkina, de l’intérieur comme de l’extérieur, pour combattre le terrorisme et relever le défi humanitaire qui se pose à notre pays. L’heure n’est pas aux héros solitaires. Ce serait une grave erreur que de penser que seul le capitaine Ibrahim Traoré peut ramener la paix au Burkina Faso. A ce sujet, le Chef de l’Etat a été sans équivoque. « Pour ma part, dit-il, je serai engagé aux côtés de tous les Burkinabè sur les différents fronts pour la libération totale de notre territoire ».

Il appelle le peuple combattant du Burkina Faso à redoubler de ferveur dans la lutte contre le terrorisme. Chaque Burkinabè devra donner le meilleur de lui-même pour sauver la patrie. « Aucun sacrifice ne sera de trop pour sortir le pays de cette situation … J’appelle tous les Burkinabè à s’unir sincèrement contre l’hydre terroriste ». Il souhaite que tous les Burkinabè prennent conscience de la mesure réelle du danger qui menace notre pays. Que ceux qui résident dans les villes s’avisent que le pays est en guerre et qu’ils doivent être solidaires de ceux qui vivent dans les campagnes. Le Burkina Faso, dit-il, est un seul pays. Unis, nous vaincrons !

4. L’assurance de la victoire

Dans son message, le chef de l’Etat revêt parfois l’éthos d’un véritable leader, d’un chef de guerre qui galvanise son peuple. Il proclame la victoire et appelle ses concitoyens à en avoir l’assurance. « Le Burkina Faso a des hommes capables, le Burkina Faso a des combattants et nous pouvons nous en sortir. Nous pouvons gagner cette guerre. Je suis convaincu et je dis que nous pouvons ».

Ces paroles assertives ont un pouvoir de contagion et fonctionnent comme un viatique. Elles revigorent le peuple et amènent les combattants à redoubler d’efforts, à se surpasser et avoir la conviction qu’ils sont plus forts que l’ennemi. Ce sont des propos d’un dirigeant charismatique capable de dissiper la peur qui habite ses hommes et de transformer leur pessimisme en un optimisme victorieux.

Du reste, le chef de l’Etat refuse que l’on continue de dire qu’il s’agit d’une guerre « non conventionnelle », asymétrique. Dorénavant, dit-il, nous avons une armée en face. Le peuple a assurément besoin d’entendre de telles paroles qui nourrissent l’espoir sans lequel aucune nation ne peut exister ou survivre aux difficultés qui se présentent à elle. Et comme un leader, celui qui a une vision et qui sait la partager, le chef de l’Etat donne l’exemple.

5. L’engagement personnel du capitaine Traoré

La mobilisation générale à laquelle le capitaine Ibrahim Traoré appelle le peuple ne peut véritablement s’opérer sans une conduite exemplaire de ceux qui sont au sommet de l’Etat. Cela est bien compris du capitaine. Non seulement il s’engage, en tant que Chef de l’Etat, à être « aux côtés de tous les Burkinabè sur les différents fronts », mais il déclare publiquement que pour sa Nation, il se « battrait jusqu’à son dernier souffle ».

Cet engagement du capitaine pour le retour de la paix est, sans conteste, la première des choses que tous les Burkinabè attendent de lui. En déclarant que le peuple est sa boussole, il se met entièrement à la disposition de son pays et proclame la priorité de l’intérêt général sur ses propres intérêts.

6. Le respect des engagements pris par le Burkina Faso

Les propos du chef de l’Etat visent également à rassurer les partenaires et les amis du Burkina Faso sur le respect des engagements pris. Il n’a pas manqué de rappeler que son action s’inscrit dans le temps imparti à la Transition. Durant les 21 mois qui restent, il s’engage avec le peuple qu’il appelle à la mobilisation générale, à reconquérir le territoire occupé, à donner un souffle de vie nouveau aux populations éprouvées et à envisager un développement endogène fondé sur nos ressources propres.

Il faudra pour cela « repenser notre agriculture, notre élevage, notre technologie… ». Une telle option fait absolument écho à la période révolutionnaire et s’inscrit en droite ligne de la pensée du Professeur Joseph Ki-Zerbo. C’est dire que la voie a été déjà tracée. La théorie et l’expérience de la pratique du développement endogène made in Burkina existent ; il s’agira de les actualiser.

7. La reconnaissance à l’égard des autorités coutumières et religieuses

Le chef de l’Etat a aussi exprimé sa reconnaissance aux autorités coutumières et religieuses pour leur implication qui a permis le dénouement pacifique de la situation qui prévalait les 1er et 2 octobre 2022. Il faut y voir une marque d’humilité du capitaine, mais aussi et surtout, une marque de reconnaissance par le Chef de l’Etat, devant le Conseil constitutionnel, de l’importante place qu’occupent ces notabilités dans le dispositif social de notre pays.

En saluant, par ailleurs, la mémoire de ceux qui sont tombés lors de ces évènements, en les associant à ce qui est considéré comme étant la victoire du peuple, il apporte un soulagement aux familles éplorées et crée les conditions favorables à l’union des forces de défense et de sécurité. Il les appelle à taire les querelles de clans et à faire valoir l’intérêt supérieur de la Nation. En somme, la parole du chef de l’Etat, en cette circonstance solennelle de prestation de serment, n’est pas un simple exercice d’un orateur conscient et convaincu de sa performance linguistique.

Le capitaine a choisi de parler aux membres du Conseil constitutionnel et au peuple burkinabè parce qu’il connaît l’importance de la parole dans la société africaine traditionnelle. Elle est lourde, pleine de sens et engage le sujet parlant. En usant de la parole avec ses propres mots, il a voulu être lui-même, tel qu’il est, tel qu’il voit le monde.

Il a rappelé les objectifs de la mission, appelé le peuple à assumer sa révolte ; il a aussi appelé à l’union et à la mobilisation générale sans lesquelles les objectifs de la Transition ne pourraient être atteints ; il a rassuré le peuple que la victoire est possible, il s’est engagé lui-même à donner l’exemple au prix de sa vie ; il a rassuré les amis du Burkina Faso que l’intégrité commande la fidélité et le respect de la parole donnée et enfin il a remercié tous ceux qui ont œuvré pour éviter le pire à notre pays. La parole est donc dite, maintenant, place à l’action ; avons-nous envie de conclure.

Honoré KIRAKOYA

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