Docteur Zéphirin Dakuyo, promoteur de Phytofla : « Nos médicaments traditionnels ne sont pas plus toxiques que ceux que nous vendons dans les pharmacies »

Il est la référence, sinon l’un des précurseurs de la modernisation de la médecine traditionnelle au Burkina Faso. Pharmacien biologiste de formation depuis 1982, docteur Pando Zéphirin Dakuyo a révolutionné le domaine. Le natif de Massala, dans le Mouhoun (Dédougou), propriétaire de la pharmacie (moderne) de la Comoé, dispose aujourd’hui d’une unité de production d’une soixantaine de médicaments et autres produits à base de plantes. Son entreprise Phytofla qui porte le projet, enregistre cinq médicaments ayant une autorisation de mise en vente du ministère de la Santé. Sidwaya est allé à sa rencontre dans la ville de Banfora qui l’a adopté. Dans cette grande interview, il revient sur son parcours, ses succès, ses projets et aussi sur l’actualité locale marquée par la crise de chefferie dans la Cité du Paysan noir et la situation sécuritaire nationale.

Sidwaya (S) : Comment le jeune pharmacien que vous étiez, s’est-il retrouvé à Banfora pour y demeurer « à vie » ?

Docteur Pando Zéphirin Dakuyo (Dr P.Z.D.) : Après mes études primaires à Massala dans la Boucle du Mouhoun où je suis né et ensuite mes études secondaires aux petits séminaires de Tionkuy et de Koudougou et mon baccalauréat au Collège de la salle à Ouagadougou, j’ai continué à l’université Cheick Anta Diop à Dakar de 1976 à 1982. Quand on est rentré jeune pharmacien biologiste en 1982, j’ai été affecté à Banfora, comme premier pharmacien de l’hôpital. Pour la petite histoire, je ne voulais même pas venir à Banfora parce que Ouagadougou était bon, ‘’Ouagadougou ya noogo’’ comme disent les Mossis (rires). Finalement, j’ai rejoint mon poste et c’était un destin. Ce fut mon premier et mon dernier poste, parce que j’y suis resté jusqu’à ma retraite. Dans nos traditions, c’est là où on est bien qui devient chez soi. Banfora m’a bien accueilli afin de me permettre d’accomplir ma mission qui est la promotion de la médecine traditionnelle. Quand je suis arrivé à l’hôpital de Banfora, il n’y avait rien en termes de laboratoire. Seul un infirmier faisait office de laborantin et je l’appelais mon papa. Il s’agit du vieux Tapsoba qu’on appelait négatif, parce que les résultats de tous les examens qu’il effectuait avec son microscope solaire étaient négatifs (rires). Quand je suis venu le remplacer, j’ai vraiment remis le labo aux normes, fait venir du matériel et affecter du personnel de soutien. Alors on a organisé le laboratoire avec le médecin-chef, le Dr Kaloulé, qui était mon aîné et logeur.

S : Comment êtes-vous donc passé à la pharmacie traditionnelle ?

Dr P.Z.D. : Après un an, j’ai décidé de faire la médecine traditionnelle et j’avais entendu parler d’un collègue à Fada N’Gourma, Jean-Marie Sawadogo qui était très avancé dans le domaine avec l’appui de sa direction et de l’ONG Frère des hommes. J’ai donc demandé à mon directeur, le Dr Théophile Compaoré qui m’a envoyé en mission à Fada pour m’inspirer de son expérience. J’étais vraiment ébloui. Revenant un peu dans l’histoire, l’année durant laquelle j’ai terminé ma thèse de Doctorat d’Etat en pharmacie, j’ai travaillé avec des chercheurs français de l’ORSTOM, aujourd’hui IRD (Institut de recherche pour le développement, Ndlr). C’est là que ma fibre de recherche a été activée et quand je suis revenu au pays, j’ai voulu faire de la recherche, mais il n’y avait pas de structures de recherche en dehors du CNRST. Je me suis dit que cela tombe bien et que depuis Banfora, je vais faire la médecine traditionnelle en tant que pharmacien, parce que c’était un terrain vierge. Quand j’ai quitté Fada avec ce que je venais de voir, j’ai organisé, seul, la recherche sur la médecine traditionnelle. Le directeur, Dr Compaoré, qui m’a envoyé était du même avis que moi, de même que le Dr Yada qu’il a remplacé. Dans les faits, trois facteurs essentiels ont milité en faveur de la promotion de la médecine traditionnelle chez moi. Il y a d’abord mon premier directeur, Dr Yada, mon deuxième directeur, Dr Compaoré et aussi l’environnement politique qui a coïncidé avec la Révolution qui voulait qu’on compte sur nos propres forces pour trouver des solutions locales à nos problèmes locaux. A ces trois facteurs, s’ajoutent d’autres, liés à ma personne même : la passion, le courage et le fait de ne jamais se décourager surtout quand on est pionnier dans un domaine.

S : Comment ont été vos débuts ?

Dr P.Z.D. : Après Fada, il fallait s’organiser, car il n’y avait rien. Pour le local, j’ai dû transformer les toilettes de mon directeur, qui n’étaient pas utilisées, en laboratoire de recherches grâce à l’appui de l’ONG Aide à l’enfance Canada (AEC) qui intervenait à Banfora. J’ai commencé avec les formules que j’ai ramenées de Fada où on faisait du sirop contre la toux à partir de deux plantes à savoir les feuilles d’eucalyptus et les écorces du balanza ou acacia albida. J’ai commencé avec cette formule, mais j’ai constaté que le produit n’avait pas l’effet escompté. J’ai donc fait des recherches et j’ai renforcé le sirop. J’ai gardé l’acacia et j’y ai ajouté l’antenda africana (Samanèrè, en Dioula) et le cerfila cedigera (Ko’ngo Cira). C’est ainsi que j’ai fait mon premier sirop. Comme je venais de quitter un laboratoire, j’avais toujours des notions. J’ai donc procédé à des tests de vieillissement pour voir si le médicament ne fermentait pas, s’il n’y avait pas de champignon, etc. Ainsi, j’ai commencé à en donner à des gens pour essayer et les échos qui me parvenaient étaient encourageants. En même temps, il y avait une racine à Fada qu’on utilisait pour soigner l’ictère (la jaunisse). Je connaissais cette plante que j’avais d’ailleurs ramenée à Banfora, mais je me suis rendu compte que la plante qui était à Banfora était une plante voisine. A Fada c’était le Cochlospermum tinctorium (Dribala en Dioula) ayant ses fleurs en bas et à Banfora, le Cohlospermum plantonii qui a ses fleurs en haut. Donc, je suis allé juste à la sortie de la ville sur la route de Mangodara et j’en ai récolté. Au départ, j’utilisais cette plante pour soigner l’ictère. Avec l’accord de mon directeur, l’infirmier du service de consultation de l’époque, Patrick Nébié, orientait chez moi tous ceux qui souffraient d’ictère. Comme au labo il n’y avait pas d’équipements, je regardais seulement les mains et les yeux. S’ils sont colorés, je donnais la première décoction au patient que j’enregistrais sur un cahier. Ensuite, je lui donnais les tisanes qu’il partait bouillir chez lui et en consommait pendant un bout de temps avant de revenir me voir. Je regarde si les yeux et les mains sont décolorés. J’ai donné le produit à une cinquantaine de personnes. A un moment donné, des gens sont venus me voir afin que je leur donne le ‘’médicament qui soigne le Soumaya’’, c’est-à-dire le paludisme. Je leur ai fait savoir que c’est l’ictère que le produit soigne. Ils m’ont dit qu’il soigne le paludisme aussi. C’est donc ainsi que j’ai fait cette découverte. C’était une première dans le monde que le Dribala soigne le paludisme. Par la suite, l’ictère a été déclassé et on utilisait cette tisane pour soigner le palu.

S : Comment avez-vous pu concilier la médecine moderne et celle traditionnelle ?

Dr P.Z.D. : J’ai l’avantage d’avoir des connaissances de base en médecine moderne et qui me permettent de connaitre quelques propriétés de base des plantes médicinales et leur composition chimique. Et l’autre chance que j’ai, c’est qu’en tant que pharmacien, on apprend pendant notre formation à faire des formulations de médicaments sans rentrer en profondeur. On fabriquait donc les produits classiques tels que les sirops, les gélules. C’est ainsi que je me suis dit pourquoi ne pas en fabriquer ici nous-mêmes ? A tout cela, il faut ajouter que mes deux directeurs successifs, Dr Compaoré et Dr Yada, m’ont soutenu et accompagné. Moi-même j’étais passionné par la médecine traditionnelle et je croyais en ce que je faisais. Ensuite avec l’accord de mon directeur, nous avons sensibilisé les praticiens de santé, pour leur expliquer que ces deux médecines étaient complémentaires. Il ne faut pas oublier que la médecine du blanc est venue nous trouver et on vivait mieux que maintenant. La quasi-totalité des praticiens de santé de l’hôpital y ont adhéré. Cependant, je me souviens d’un médecin nouvellement arrivé à l’hôpital qui menaçait les patients consommant le Dribala ou tout autre produit de Dakuyo de le chasser de l’hôpital.

S : N’avez-vous pas eu des difficultés avec les guérisseurs traditionnels ?

Dr P.Z.D. : Nous sommes allés par étapes. D’abord, il fallait sensibiliser le personnel de santé afin qu’il croit et adhère, parce que dans leur formation on ne leur apprend pas à soigner les patients avec les plantes. Avec mon directeur, on organisait des séminaires de formation. J’animais des modules de la pharmacopée et médecine traditionnelle à l’intention des médecins et sages-femmes de toute la province. C’était la Révolution et après, le mot d’ordre a été donné à tous les infirmiers-chefs de postes, de sensibiliser les tradipraticiens dans les villages pour leur dire que désormais au Burkina Faso, la médecine traditionnelle est prise en compte par le ministère de la Santé. Tous les infirmiers avaient obligation de produire des rapports. Ils élaboraient leur plan d’actions avec le financement. Il n’y avait pas de per diem à l’époque. On te donne le carburant en fonction de la distance parcourue. Quand ils ramenaient les rapports, je les compilais et les remettais à mon directeur. Après une réunion sur ces rapports, on s’est rendu compte que les vieux (les tradipraticiens, ndlr) étaient tous d’accord. L’étape suivante a consisté à leur recensement. J’ai élaboré à cet effet des fiches de recensement des tradipraticiens des Cascades que j’ai centralisées. A l’époque, j’avais recensé 150 guérisseurs dans la région, avec leur spécialité, leur village et aussi le dispensaire le plus proche. Voilà la démarche pour pouvoir s’introduire dans les milieux. Il y a eu un atout formidable pour moi, car je m’amuse beaucoup avec les Ouattara, puisqu’ils m’appellent ‘’Coulibaly Tiè’’. Lorsque j’arrivais, pour les aborder, ils disaient que c’est docteur Dakuyo Coulibaly Tiè et le message passait sans difficulté grâce à la parenté à plaisanterie entre ces deux noms de famille. Après le recensement, il fallait s’organiser pour pérenniser l’activité. J’ai demandé à mon directeur de créer un service de la pharmacopée traditionnelle, ce qui a été fait et le service a été créé officiellement par le docteur Yoda et j’étais le responsable. Etant seul, j’ai demandé qu’on m’affecte du personnel de soutien qui s’intéresse à l’activité. Ce qui fut fait. On m’a affecté deux infirmiers d’Etat, Firmin Bassolé et Souaré Zerbo. Bassolé s’occupait de la consultation et Zerbo, des guérisseurs parce qu’on a continué de les recenser. La cerise sur le gâteau, du 1er au 8 avril 1988, j’ai organisé pour la première fois, les journées provinciales de la médecine traditionnelle et des guérisseurs à Banfora. C’était la fête. J’ai invité une soixantaine de personnes de la région des Cascades et des provinces voisines du Poni (Gaoua), du Houet (Bobo-Dioulasso) et du Kénédougou (Orodara). On a fait la fête pendant trois jours. Chaque soir on projetait des films de sensibilisation sur l’hygiène et l’assainissement, sur la vie au village, on a eu droit aussi à des tours de magie et on a clôturé par un grand bal. C’était formidable. J’ai fait un rapport que j’ai même publié et cela a contribué à sensibiliser davantage les guérisseurs et à tisser des relations entre eux. Des familles ont même lié amitié et ont toujours gardé ces relations. Beaucoup parmi ces vieux ne sont plus de ce monde, mais les relations existent toujours.

S : Est-ce qu’il vous arrive de faire recours aux tradipraticiens dans vos recherches ?

Dr P.Z.D. : Si ! Jusqu’à présent, je fais toujours recours à eux dans mes recherches de plantes médicinales. Actuellement, je suis en pleine recherche sur un produit pour soigner les arthroses et les problèmes de nerfs. J’ai une teinture et une pommade. Il y a une plante qui a été révélée cette année par un étudiant en France et qui contient le Tramadol, molécule pour molécule. Elle s’appelle le Nauclea latifolia ou Bati yiri en dioula. Les Allemands l’utilisent depuis 1970 et ils ont même synthétisé la molécule. Les racines de cette plante contiennent 90% de Tramadol. Je suis en train de préparer une pommade à base de cette plante contre les douleurs et les inflammations. Des tests sont déjà en cours. Pour l’instant, les premiers résultats sont encourageants. Il faut dire que les tradipraticiens sont mes collaborateurs directs. Nous entretenons de très bons rapports et eux-mêmes le reconnaissent. Les actions que nous avons menées, et je ne suis pas seul, ont contribué à valoriser leur savoir-faire, à les mettre en confiance et à faire en sorte que les populations aient confiance à la médecine traditionnelle. J’avais des projets pour ces tradipraticiens qui sont généralement d’âge avancé. C’était de leur apprendre à écrire afin de constituer un cahier sacré où ils consigneraient tous leurs savoirs pour les transmettre à la postérité. Ce cahier devait être familial et gardé à côté du fétiche où aucun membre de la famille ne pourrait violer les lois pour y accéder. Malheureusement ce projet n’a pas vu le jour parce que c’est à la même année que j’ai quitté l’hôpital. L’autre projet que j’avais, en son temps, c’était la carte des tradipraticiens de la région des Cascades. L’idée était de faire un fichier numérisé avec tous les noms, les maladies qu’ils soignent, leurs localités et le centre de santé le plus proche. Donc depuis Ouagadougou si voulez, vous pourriez accéder à ces guérisseurs sans passer par qui que ce soit. Ce sont les deux gros projets que j’avais, mais malheureusement, il n’y a plus eu de suite parce qu’après notre génération, les jeunes sont trop pressés.

S : Vous avez aujourd’hui une soixantaine de phyto-médicaments. Comment se portent-ils sur le marché ?

Dr P.Z.D. : J’ai effectivement 60 médicaments et cinq ont reçu l’autorisation de mise sur le marché. Ce sont des médicaments homologués par le ministère de la Santé, reconnus et inscrits sur la liste des médicaments vendus officiellement au Burkina Faso. C’est Dribala et Saye pour le palu, le sirop Duba pour la toux, la potion Kunan contre la fatigue et le savon Mitraca contre les problèmes de peau. Les autres produits aussi sont reconnus et vendus sous le couvert de la médecine traditionnelle reconnue par le Code de santé publique au Burkina. Ces produits se vendent très bien. J’ai même des problèmes pour faire face à la demande de certains produits. La soixantaine de produits se vendent très bien, mais les cinq sont les plus demandés.

S : Quelles maladies soignez-vous à base des plantes ?

Dr P.Z.D. : J’ai focalisé mes produits sur les pathologies courantes au Burkina Faso, à savoir le palu, la toux, le diabète, l’hypertension, la digestion difficile, la dermatose. Nous avons donc des produits pour le diabète, la tension artérielle, le cholestérol, la constipation, les insuffisances rénales, les dermatoses, les sinusites. Les seuls produits dont je ne dispose pas ce sont ceux contre les maux d’yeux et d’oreilles.

S : Vous avez quitté la fonction publique pour vous installer à votre propre compte. Pourquoi ?

Dr P.Z.D. : Je n’ai rien contre l’administration, c’est l’administration qui m’a formé. A l’époque, quand vous aviez le Baccalauréat, on vous faisait signer un engagement décennal. Ceux qui ont eu la bourse s’engagent à revenir servir l’Etat durant au moins dix ans et j’ai rempli mon contrat. Je me suis rendu compte que si je reste à l’hôpital, ce serait fini pour mes projets. Je suis parti, j’ai ouvert ma pharmacie et j’y ai annexé une unité de production de médicaments à base de plantes, comme une seconde activité. Déjà, quand j’étais à l’hôpital, j’ai donné une ligne de conduite pour que la médecine traditionnelle continue de progresser au niveau du ministère de la Santé, mais ce n’était pas possible dans l’administration. C’était d’ailleurs prévu à l’époque de créer une unité de production comme ce que je fais actuellement et la vente des produits devait servir à financer les recherches et à produire.

C’est pour cela que j’ai préféré aller dans le privé. L’activité principale est la vente des produits pharmaceutiques et la seconde c’était la transformation et la commercialisation des plantes médicinales. Cela a pris tellement d’ampleur et mon unité de production Phytofla était devenue mon banquier. J’ai même oublié que j’avais une pharmacie et mes agents ont commencé à voler les recettes de la pharmacie moderne parce que j’étais totalement absorbé par la seconde activité, à tel point que j’ai failli fermer la pharmacie. Heureusement, je me suis ressaisi et j’ai stabilisé les choses. En tout cas, les produits se portent très bien et je ne peux pas le regretter. Bien au contraire, c’est une grâce, une mission que Dieu m’a confiée, en me mettant sur ce chemin pour faire la promotion de la médecine traditionnelle pour le plus grand bien de tout le monde, Burkinabè comme non Burkinabè, parce que ces produits vont partout dans le monde.

S : Vous vous investissez également dans l’arboriculture pour la préservation des plantes médicinales. Quels types de plants avez-vous à ce jour dans votre jardin ?

Dr P.Z.D. : Aujourd’hui, Phytofla fabrique une soixantaine de produits à partir des plantes médicinales et c’est la seule chose où l’on trouve localement la matière première. Le reste est importé. Nous sommes aujourd’hui à 20 millions de Burkinabè. Produire des médicaments pour 20 millions de personnes à partir des ressources naturelles, c’est bien, mais dans quelques années ce sera difficile. Avant, je pouvais trouver mes plantes à moins de deux kilomètres de Banfora, mais aujourd’hui, il faut parcourir 60 voire 100 kilomètres pour avoir cette matière première. Donc depuis 2011, j’ai mis en place un gros projet que je suis en train de financer moi-même tout en cherchant des partenaires. Il s’agit de vergers de plantes médicinales. Le projet nécessite 1 000 producteurs, à raison d’un hectare de forêt familiale ou de forêt de plantes médicinales par producteur. Ce projet ne concerne pas que Banfora, mais tout le pays. Je suis allé plus loin en installant un système de goutte-à-goutte avec des bidons de 20 litres pour pouvoir arroser pendant la saison sèche parce qu’on a constaté que l’arbre arrosé grandit deux à trois fois plus vite que celui qui grandit à l’état naturel. Malheureusement, cela ne peut fonctionner que quand il y a de l’eau et puis de bons perfuseurs.

J’ai fait un test avec une espèce, le balanzan qui grandit difficilement. Mais en quatre ans, il a atteint une hauteur de plus de cinq mètres et a commencé à donner des fruits. J’ai préfinancé déjà 72 personnes, ce qui équivaut à 72 hectares. L’important ici, c’est la clôture des jardins qui est assez coûteuse d’où la recherche de partenaires. Car en clôturant, cela montre que c’est une propriété privée et au-delà, elle est sécurisée. Au bout de trois à quatre ans, la forêt devient rentable. Vous récoltez les feuilles et vous les vendez à 2 000 ou 3 000 F CFA le kilogramme. Par exemple, un producteur qui arrive à récolter deux hectares de feuilles et racines confondues même s’il les vend à 2 000 F/kg, il aura 2 millions F CFA, en plus de reverdir la nature et de permettre à Phytofla de produire, même dans 100 ans. Nous devons donc songer à l’avenir en préservant notre forêt, notre environnement. Dans mon jardin à Koutoura, c’est une petite forêt aujourd’hui de six espèces, mais je veux aller au-delà.

S : Quelles espèces d’arbres peut-on retrouver dans votre jardin ?

Dr P.Z.D. : Actuellement, j’ai tablé sur six espèces que j’utilise couramment à savoir le balanza, le cerfila, l’antenda africana, le dribala, le fagara, le sindjan en dioula. Mais nous pouvons aller au-delà de six espèces. En tout cas, ça marche très bien. Je les ai plantées depuis 2016 et c’est devenu une forêt à Koutoura.

S : Une de vos filles vous a emboité le pas. Est-ce vous qui le lui avez demandé ?

Dr P.Z.D. : En tout cas, je l’ai conseillée. Parce que lorsque vous créez une entreprise et que la relève n’est pas assurée, le jour où vous n’êtes plus, c’est fini. C’est la destruction de vos biens et vous êtes vite oublié. J’ai dit à ma fille de faire la pharmacie pour venir gérer les deux sociétés. Je l’ai envoyée se former à Dakar et depuis 2011, elle exerce. J’ai un pharmacien assistant, mais c’est elle la directrice. Petit à petit, je suis en train de lui céder la main. Bientôt, je vais me retirer et vaquer à d’autres occupations.

S : L’expertise de Dr Dakuyo, est-elle sollicitée hors des frontières du Burkina Faso ? Dr P.Z.D. : Mon expérience est sollicitée hors de nos frontières, que ce soit en Afrique ou en Europe, notamment en France où j’ai animé des conférences. Il y a quelques années, je recevais des stagiaires de l’université de Poitier (France) qui venaient m’aider dans le domaine de la pharmacie. J’ai reçu des stagiaires du Ghana, de la Côte d’Ivoire, du Mali, de la Guinée. En tout cas, l’expérience est partagée et vraiment sollicitée. Mais j’ai décidé de ne plus voyager et c’est ma fille qui fait maintenant les différents déplacements.

S : Comment se porte la médecine à base des plantes au Burkina Faso ?

Dr P.Z.D. : Il faut reconnaitre qu’au Burkina Faso, le ministère de la Santé a fait de gros efforts pour la promotion de la médecine traditionnelle. D’abord en la reconnaissant dans le Code de santé publique, parce qu’avant, elle n’était pas reconnue, mais tolérée. Comment comprendre que c’est notre médecine que nous tolérons chez nous-mêmes ? Ce n’est pas normal. Il a été également mis en place des textes réglementaires quand vous voulez ouvrir une herboristerie ou si vous voulez faire homologuer vos médicaments traditionnels améliorés, etc. Vraiment de ce côté, le ministère a fait de gros efforts pour réglementer et encadrer la médecine traditionnelle. Malheureuse-ment, de nos jours, très peu de jeunes s’intéressent à la médecine traditionnelle.

S : Croyez-vous alors en l’avenir de la médecine traditionnelle ?

Dr P.Z.D. : Même si les jeunes n’ont pas d’engouement pour ce domaine, je crois en son avenir. Parce que j’ai vu des jeunes au premier forum du Burkina Faso sur la pharmacie, qui ont commencé à fabriquer comme moi des médicaments à base de plantes. Il y a aussi le fait que beaucoup de tradipraticiens comme moi se sont investis et aujourd’hui exercent leur art à travers des consultations. Pour moi, c’est la médecine de l’avenir pour nous-mêmes. Parce qu’à nos jours, penser à une production industrielle, relève d’un rêve.

S : Quel plaidoyer pour ce secteur ?

Dr P.Z.D. : Il faut que nous produisions localement nos médicaments. Certains pays voisins produisent jusqu’à 80% de leurs médicaments. Il faut que nous ayons une vraie volonté de produire nos médicaments. Si certains pays arrivent à le faire, pourquoi pas le Burkina. Avec la COVID-19, le manque de chloroquine devait nous enseigner.

S : Quelle est la différence entre un produit pharmaceutique moderne qui soigne le diabète et votre produit qui le soigne également ?

Dr P.Z.D. : La différence, c’est que mon produit est à base de plantes et le produit moderne est à base de molécules connues sur lesquelles des examens pharmacologiques, toxicologiques, etc. ont été faits. L’approche n’est pas la même. En médecine moderne, il faut plusieurs expériences sur des rats, des souris ou autres pour homologuer le produit. Alors que chez nous, c’est tout autre. Et d’ailleurs, je suis d’accord avec le professeur Keita de l’Institut de médecine traditionnelle du Mali qui a pour principe que nous allons du connu à l’inconnu. Le connu, c’est que tout le monde sait par exemple que le Kouna soigne le diabète. L’inconnu, c’est quand le professeur d’université prend ça pour aller faire des tests sur des rats ou autres, il n’est pas sûr qu’il va trouver la même chose. Et voilà pourquoi nous disons que nous allons du connu vers l’inconnu scientifique.

S : On sait que dans le domaine de la médecine traditionnelle, il y a du faux. Qu’en pensez-vous ?

Dr P.Z.D. : C’est une réalité. Les gens cherchent maintenant l’argent par tous les moyens. Il y a de faux guérisseurs, tradipraticiens et charlatans. Je pense que c’est dans le souci de recadrer tout cela que le ministère de la Santé a mis en place des textes et des structures qui encadrent l’organisation des tradipraticiens. Ils ont des associations et pour être membre, il faut remplir certaines conditions. C’est vrai qu’en ville on peut rencontrer de faux guérisseurs, mais au village, il ne peut y avoir de faux guérisseurs, la communauté va vous démasquer. Le ministère de la Santé doit poursuivre son travail d’encadrement.

S : Quels conseils avez-vous à donner afin que ces deux médecines puissent cohabiter pour le bonheur des populations ?

Dr P.Z.D. : Le problème se trouve du côté surtout de la médecine dite moderne, parce que certains de nos praticiens dits modernes ne croient pas du tout à la médecine traditionnelle, alors que c’est grâce à cela qu’eux-mêmes ils sont là. Il s’agit donc de revoir la mentalité et je crois que les choses ont commencé à bouger. Depuis quelques années, des facultés de médecine ont commencé à donner des cours de médecine traditionnelle et c’est cela qui va amener le déclic. Ainsi, tous les médecins qui ont suivi des cours de médecine traditionnelle n’ont pas la même vision que leurs aînés qui n’ont pas bénéficié de cet enseignement et qui ne croient pas du tout à la médecine traditionnelle. Ils diront toujours que c’est toxique pour les reins, le foie, etc. Je suis d’accord que nos médicaments peuvent être toxiques, mais ce n’est pas aussi toxique que ceux que nous vendons dans les pharmacies. Malheureusement ceux qui se disent grands ont eu le maximum de lavage de cerveau.

S : Le 22 juin 2022, le Conseil des ministres a adopté un rapport relatif à une note de cadrage pour l’accélération du processus de préparation d’une technopole pharmaceutique à Kokologho. Quelle appréciation en faites-vous ?

Dr P.Z.D. : J’en ai entendu parler depuis très longtemps et c’est une décision que j’apprécie et je souhaite seulement qu’elle se réalise. Je voudrais que nous soyons nous-mêmes au lieu qu’on tende toujours la main pour demander. Le Noir est aussi intelligent que les autres, mais il ne croit pas à ses capacités.

S : Pensez-vous que la pharmacie traditionnelle a sa place dans ce technopôle ?

Dr P.Z.D. : Si ! Elle y a sa place. Phytofla peut disposer d’une usine là-bas pour fabriquer ses produits, pourvu que la matière première soit disponible en quantité. Il y a l’exemple du Ghana qui forme ses tradipraticiens à l’université. Ici, le diplôme d’herboristerie a été supprimé depuis 1940. A un moment donné, il faut qu’on réfléchisse par nous-mêmes.

S : Le 8 août 2020, l’ex-chef de l’Etat, Roch Marc Christian Kaboré, vous a rendu une visite de courtoisie. Que vous êtes-vous dit ?

Dr P.Z.D. : Rires ! Il est venu me rendre visite pour voir ce que nous faisons. On ne s’est rien dit de particulier. C’était à l’époque de la COVID-19. Il a regardé nos produits et je lui ai dit ce que je proposais dans le traitement de cette maladie. C’est le saye plus et on a même entrepris des recherches là-dessus. Je lui ai dit que la prise de ce produit a amélioré l’état de santé de ceux qui l’ont utilisé. Sinon, nous ne nous sommes rien dit d’extraordinaire.

S : Le Burkina Faso vit une situation sécuritaire difficile. Quelle appréciation en faites-vous ?

Dr P.Z.D. : Nous sommes tous angoissés et prions pour que la sécurité revienne dans notre pays parce que la situation dure maintenant depuis quelques années. Nous souhaitons que les efforts se poursuivent pour venir à bout de cette insécurité. Certes, d’aucuns disent que le Burkina Faso est un pays pauvre, mais quand ils viennent ici, ils ne veulent plus repartir. Nous sommes heureux chez nous.

S : Que faut-il, à votre avis, pour juguler ce problème ?

Dr P.Z.D. : Il n’y a pas de solution miracle en tant que telle. Nous sommes tous interpelés.

S : Est-ce qu’à votre avis la réconciliation qui est prônée peut être une solution ?

Dr P.Z.D. : Elle peut être une solution. Comme l’a dit l’ex-président d’un pays voisin, quand tu essaies un médicament et que ça ne va toujours pas, il faut essayer un autre.

S : La situation sécuritaire dans la Comoé n’est pas du tout reluisante avec le cas de Mangodara et des déplacements de populations de Madiasso et de Niabrego. Quel commentaire faites-vous ?

Dr P.Z.D. : Comme je l’ai dit, on est tous inquiets et angoissés parce qu’on voit les choses venir. Si les paysans n’arrivent pas à produire, c’est la famine qui nous menace. C’est pourquoi nous devons multiplier les prières pour qu’on puisse faire de bonnes récoltes.

S : Votre secteur d’activité est-il touché par cette situation sécuritaire ?

Dr P.Z.D. : Il est même très touché. Certains de mes fournisseurs n’arrivent plus à me fournir et j’ai même un fournisseur qui est mort suite à une des attaques perpétrées par ces hommes armés.

S : Quel est l’impact véritable du phénomène sur votre entreprise ?

Dr P.Z.D. : L’insécurité joue sur nous parce qu’on ne peut pas avoir la matière première. Nous sommes obligés d’aller la chercher ailleurs. Pratiquement, nous faisons venir la matière première de Gaoua, car la zone de Mangodara est dangereuse.

S : Le conflit en Ukraine a-t-il eu un impact sur votre production ?

Dr P.Z.D. : Il a eu un impact sur nous, un impact terrible même. En dehors de la matière première, j’importe tous les emballages, les boites, etc. Les prix ont grimpé de 40%. Le fût de l’huile de coco que j’achetais à 110 000 F CFA est passé à 190 000 F. Tout est devenu cher, le camion de transport que je louais à 900 000 F depuis Abidjan pour acheminer mes produits est passé à 1 200 000 F et parfois, 1 400 000 F.

S : Doit-on sous-entendre que les prix des produits de Dr Dakuyo vont augmenter ?

Dr P.Z.D. : C’est possible ! Pas beaucoup, mais une légère hausse, car il faut bien que je récupère aussi. Je suis resté toujours dans le social. J’ai vendu le dribala au même prix de 100 F pendant 25 ans.

S : Banfora vit une crise de chefferie. Comment l’appréciez-vous ?

Dr P.Z.D. : Nous avons tous suivi cette crise. Ce sont des choses qui arrivent pratiquement dans toutes les régions. Dieu merci, la situation s’est calmée et c’est ce que nous souhaitons. Comme on le dit, il y a toujours une solution quand on s’assoit pour discuter.

Entretien réalisé par Mamadou YERE

Adaman DRABO

Jean Marie TOE

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