Nous ignorons ou négligeons souvent la force de l’image, mais l’initié qui vole plus haut que la masse qui rampe vous dira qu’une image vaut mille mots, pire mille maux. Il vous dira qu’il suffit de vous bombarder d’une suite d’images pour vous conditionner, vous assujettir, pire, vous abrutir. Regardez un peu la ruée de nos femmes vers ces télénovélas qui infestent nos écrans. Et dire qu’il n’y a pas mal de « mâles » qui s’essaient à boire ces feuilletons à l’eau de rose. C’est dommage que l’Africain ait toujours du temps pour s’affaler dans un divan devant un écran aveuglant. C’est dommage que l’imaginaire devienne de plus en plus le monde de prédilection d’une bonne frange de la population. Si avant, l’addiction aux feuilletons concernait la ménagère oisive et solitaire, de nos jours, le phénomène ronge l’éminence grise qui ploie sous l’emprise de l’irréel au point de manquer de réalisme. On ne peut peut-être pas priver les gens de leur ration imaginaire ; on ne peut pas couper l’appétit des inconditionnels de ces menus fretins. Mais on peut réguler les choses de sorte à ce que chacun y trouve son compte. C’est d’ailleurs ce que tente de faire l’instance de régulation, mais nous ne jetterons aucune fleur à quelqu’un. Cela fait longtemps que la gangrène se porte bien. Cette chronique fera des mécontents dans les rangs des fous de la bassesse, c’est sûr ! Mais « on s’en fout, point barre ! » Nous préférons la vérité qui blesse pour guérir que le mensonge qui entretient en l’état une conscience collective en putréfaction avancée. A l’heure de l’intégrité vraie, il y a longtemps que les responsabilités étaient situées et que les responsables avaient assumé. Mais nous sommes en démocratie, ce système qui promeut la liberté tout en la vidant de son essence.
Mais ne vous en faites pas, des décideurs éclairés sont en réflexion, peu importe le temps que cela va prendre, ils cogitent. En attendant, nos enfants se gavent de ces télénovélas où le père est un homme en guenille qui fait la cour à sa belle-fille ; où la téméraire belle-mère salace couche avec le beau-fils qui ne tient qu’à un fil ; où on se lape les lèvres en gros plan comme on déguste du chocolat ; où la nudité est une carte postale qui crève les yeux de l’innocence ; où les bonnes mœurs sont un tabou qui se meurt, à bout de souffle , où le sexe est un produit de grande consommation avarié plus prisé que le petit déjeuner ; où le mensonge est un charmant trait de caractère ; où l’infidélité est un talent qui n’est même pas caché ; où la cupidité rivalise d’avidité avec les ogres ; où la bêtise a quitté la tête des bêtes pour tarauder l’esprit des hommes. Rien ne sert de lire cette chronique en tirant la bouche. Les télénovélas nous abêtissent ! Les télénovélas endorment notre intelligence et tuent notre bon sens pour réveiller nos carences et nos complaisances ; les télénovélas nous éloignent de la réalité pour mieux nous cacher la vérité ; la vérité qui est en nous, celle qui est aux autres. Les télénovélas nous bercent d’illusions creuses, de rêves sans ambitions, de fantasmes sans orgasme. A quoi sert un imaginaire débonnaire s’il nous est imposé par d’autres esprits, à des fins non avouées, parfois à dessein ? A quoi cela sert-il de vivre au rythme d’un télénovéla dont la morale de la trame n’est que balivernes et paresse ? En vérité, nous ne changerons rien au Faso si l’antidote de notre oisiveté se trouve dans l’inertie soporifique des télénovélas. En vérité, nous avons plus besoin d’un imaginaire bâti sur une vision et non orienté vers la télévision qui n’en a pas.
Oui, notre télévision est un canal de perversion légalisée ou tolérée. Il suffit de regarder les clips qui passent sur certaines chaînes de télévision, le striptease frise la hantise. Mais quand on veut changer les choses, on ne réfléchit pas, on change ! Malheureusement, chez nous au Faso, l’argent et le pouvoir ont plus de valeur que nos « propres valeurs ». Notre identité est un cocktail de ramassis cramoisis. La principale gratification de l’homme intègre est de plus en plus matérielle, pendant que la morale chantonne son propre requiem. Il faut sonner la fin de la récréation, mais encore faut-il qu’il y ait un carillonneur. Il faut que les parents prennent leur responsabilité en mettant le holà, le veto qui libère du ghetto télévisuel. En attendant qu’ils réfléchissent aux voies et moyens de nous affranchir du joug du mal télévisuel, suivez les infos et éteignez la boîte de Pandore. En attendant que l’autorité décide de se décider pour agir, aux heures des télénovélas, lisez un bon livre, causez avec vos enfants, réfléchissez à demain, à deux mains. La pauvreté n’est pas que matérielle et financière, elle est aussi mentale et spirituelle. Parce que pendant que vous vous fixez sur la fiction, le battant lui, écrit le scénario de son propre film, la trame de son avenir. Hélas, on n’écrit pas son avenir devant un écran de pagaille, on l’écrit en soi-même, dans l’introspection et avec abnégation.
Clément ZONGO
clmentzongo@yahoo.fr