
Au Burkina, bon nombre d’enfants, auteurs de divers délits, se retrouvent dans une spirale juridico-sociale. Dans la perspective d’offrir à ces enfants en conflit avec la loi une seconde chance, le pays s’est doté d’un cadre juridique et de centres de réinsertion destinés à transformer ces mineurs en des enfants « nouveaux ». Reportage !
Lundi 5 octobre 2025 ; il est 9 heures lorsque nous franchissions les emprises du Centre d’éducation et de réinsertion sociale des mineurs en conflit avec la loi (CERMICOL) situé à 16 kilomètres de Bobo-Dioulasso, sur la nationale 8. L’infrastructure, créée le 6 octobre 2015, a une capacité d’accueil de 60 pensionnaires (48 garçons, 12 filles). Gérée
au départ par l’ONG Terre des hommes d’Italie, elle a été rétrocédée en 2019 à
la Direction générale de l’administration pénitentiaire. 27 pensionnaires étaient sur
les bancs ce jour pour un cours d’alphabétisation.
Avec l’autorisation du directeur, l’inspecteur de sécurité pénitentiaire, Mamadou Traoré, nous assistons à ce cours. A la pause, nous accostons K.N., un pensionnaire qui se démarquait par la pertinence de ses questions en salle. Agé de 16 ans, il est admis au CERMICOL depuis le 19 mai 2023. Selon une enquête sociale sur lui, K.N., aujourd’hui en classe de 3e, est un élève à parcours exceptionnel depuis l’école primaire. C’est pendant les vacances 2023 qu’il a été appréhendé par les Koglwéogo de son village, pour vol de téléphone. Conduit au commissariat de sa localité, il est jugé et déféré à la Maison d’arrêt et de correction de Manga pour être ensuite placé au CERMICOL.

Aujourd’hui, K.N dit comprendre de mieux en mieux la vie en société. « A l’issue de mon jugement, on m’avait demandé ce que je voulais. J’avais répondu que je voulais qu’on m’éloigne de mes amis et de ma famille », se souvient-il. Après deux ans au centre, il ne se plaint pas. « Les responsables du centre appellent souvent mon papa, ma mère ou mes frères par téléphone et j’échange avec eux. Maintenant, mes parents sont contents de moi et mes frères veulent me voir. Je travaille dur à l’école. Après mon BEPC, je compte aller les voir », confie-t-il. Son souhait est d’intégrer les rangs de l’armée après son BEPC.
Alphabétisés, formés et équipés
Après également un « passage réussi » au CERMICOL, V.B, lui est devenu soudeur de son Etat. Coupable d’acte de vol et placé par le Tribunal de grande instance (TGI) de Diébougou en 2020, il entame sa phase de réhabilitation, le 15 juillet 2021. Après deux ans de stage de perfectionnement à Diébougou, province de la Bougouriba, il s’est installé à son compte en 2024. « Quand nous sommes arrivés au centre, en plus de l’alphabétisation, le choix du métier était libre. J’ai choisi la soudure. Mon inquiétude c’était de trouver du matériel à la fin de ma formation. J’ai alors partagé ma préoccupation avec notre encadreur. Il m’a rassuré qu’à la fin de ma formation, il y aura une phase d’observation à l’issue de laquelle, de concert avec mes parents, je pourrais bénéficier d’un accompagnement de CERMICOL pour mon installation.
A ma sortie, en plus d’être alphabétisé, j’ai reçu une formation et une dotation en matériel de travail », se réjouit-il. Les centres de réinsertion sociale ont aussi fait leurs preuves avec C.T. Né en décembre 1998 à Ouagadougou et après un parcours scolaire tumultueux, il raccroche définitivement en classe de 6e. Sa famille, par crainte de l’exposer aux risques
de la délinquance juvénile, entreprend son intégration au Centre d’éducation et de formation professionnelle de Gampèla (CEFP-G) dans la commune rurale de Saaba, afin qu’il apprenne un métier. C.T intègre le CEFP-G en octobre 2016 pour une formation en mécanique auto pendant deux ans.

En 2022, il effectue un stage de perfectionnement puis s’associe à un ami pour ouvrir un garage. Pour lui, la formation au CEFP-G est de qualité.
« En plus de la formation professionnelle, on apprend la vie en société et bien d’autres valeurs pour être utile à la famille et même au pays », reconnait-il. D’ores et déjà, il invite les ministères et autres structures publiques et privées à leur envoyer leurs véhicules pour les réparations. « Nous ne sommes pas chers et cela pourrait nous occuper et occuper les plus jeunes qui sont avec nous », lance-t-il. Le CEFP de Gampèla est l’un des centres déconcentrés de l’Institut d’éducation et de formation professionnelle (INEFPRO), bâti sur une superfine de plus de 25 hectares au profit des mineurs en contact avec la justice.
Selon son Directeur, Lota Koura, le CEFP a une capacité d’accueil de 150 pensionnaires (6 à 17 ans) en régime d’internat mixte (garçons et filles) et d’externat pour les deux sexes également. Déjà, dit-il, certains pension-naires se comportent bien et regrettent même leurs vécus passés. Ces derniers s’illustrent au quotidien par des comportements exemplaires, notamment le respect du règlement intérieur, l’assiduité et la ponctualité en classe ou en atelier. A en croire Lota Koura, les chiffres ne font que croitre chaque année dans son centre. Et pour preuve, pour l’année scolaire 2021-2022, 287 mineurs dont 113 pensionnaires internes et 174 externes ont été accueillis. Ce nombre a évolué car, en 2024-2025, 457 enfants composés d’internes et d’externes ont fréquenté le centre.
Les conséquences d’une vulnérabilité

Pour comprendre la psychologie qui sous-tend la persistance du phénomène, le maître de conférences en psychologie sociale à l’université Joseph-Ki-Zerbo, Dr Daouda Kouma explique que psychologiquement, les enfants qui ont moins de 18 ans sont des êtres en cours de développement, de maturation du point de vue physique et psychologique. « Ils subissent une vulnérabilité tant dans le comportement que dans la réflexion. Par conséquent, ils sont facilement influençables », dit-il. Selon lui, les comportements de ces enfants sont tributaires de plusieurs facteurs, notamment la carence affective, l’environnement immédiat, la proximité ou le manque d’affection, la perte de confiance en soi, les mauvaises fréquentations.
« A ce stade, ils ne se reconnaissent en aucune règle et transgressent inconsciemment les règles sociétales », renchérit-il. Acteur opérationnel du ministère en charge de l’action humanitaire, l’INEFPRO assure la gestion de six centres. Sa directrice générale, Maïna Zoma, cite l’hôtel maternel de Orodara, celui de Ouagadougou, les CEFP de Gampèla, de Fada N’Gourma et de Kaya. En plus des enfants en conflit avec la loi, poursuit-elle, sa structure accueille des enfants de parents condamnés, les enfants issus des conflits conjugaux nés de la contestation de paternité et les enfants en danger.
Pour Mme Traoré, le phénomène des enfants en conflit avec la loi est consécutif à l’échec de la famille. « Certaines familles ont des pratiques permissives. C’est un facteur très exposant parce que l’enfant vit le principe du plaisir. Par moments, les numéraires cumulés

et leur exposition à des pères déviants font que l’enfant finit par tomber dans des induites », prévient-elle. Aussi, la pratique éducative coercitive, faute de cadre d’expression, nuit à l’avenir de l’enfant.
Pour le directeur du CERMICOL, Mamadou Traoré, les causes du phénomène des enfants en conflit avec la loi sont multiples et varient d’un enfant à l’autre.
« En général, ce sont des cas de vols, de banditismes, de viols et même de parricides », relève-t-il avant d’ajouter qu’initialement, le CERMICAOL reçoit les enfants en conflit avec la loi mais, du fait de la crise sécuritaire, il accueille également des enfants en danger. Ce sont des enfants mineurs que les Forces de défenses et de sécurité retrouvent sur le terrain sans parents ni assistance.
Une prise en charge holistique
Le Directeur général de l’administration pénitentiaire, Sabila Sawadogo, explique que ses services travaillent de concert avec les autres acteurs pour obtenir des sujets, un changement de comportement et leur offrir une formation par l’apprentissage d’un métier afin de faciliter leur réinsertion sociale et économique. De son avis, la problématique des enfants en conflit avec la loi au Burkina est complexe, marquée par une augmentation des délits, la crise sécuritaire qui exacerbe la vulnérabilité des enfants et les pousse vers la délinquance.
A titre d’illustration, entre 2020 et 2021, 597 enfants étaient confrontés au phénomène des enfants en conflit avec la loi. Pour apporter une réponse conséquente à ce phénomène, il préconise une approche globale incluant des politiques publiques, la restauration de l’autorité parentale, l’accès à l’emploi, une meilleure réinsertion sociale et familiale.

Dans une dynamique de leur prise en charge holistique, les enfants mineurs bénéficient d’une protection judiciaire. A ce titre, la direction de la justice juvénile assure la coordination entre les différents acteurs œuvrant dans ce domaine depuis l’arrestation, l’enclenchement de la procédure judiciaire, l’intégration dans les centres de réinsertion et la réhabilitation sociale.
« Notre approche est basée sur la politique pénale du gouvernement. Aussi, nous disposons en notre sein d’un manuel de procédure qui est notre boussole », précise la directrice de la justice juvénile, Emma Adelaïde Paré. Pour elle, le phénomène des enfants en conflit avec la loi est une problématique majeure et très délicate. « Le traitement des enfants requière une spécificité nationale et internationale en matière de promotion et de protection des droits des enfants, surtout ceux mineurs ou en situation difficile », estime-t-elle. Mme Paré ajoute que le Burkina dispose d’un arsenal judicaire en faveur des enfants. Elle evoque la Convention internationale sur le droit des enfants, la Convention africaine sur les droits et le bien-être de l’enfant, la Constitution, le Code pénal et la loi portant Code de procédure pénale qui prévoit des dispositions spécifiques au profit des enfants.
« Si un enfant se retrouve mêlé à une infraction, suivant la politique du pays, il faut déjudiciariser la procédure pour éviter l’enclenchement de l’action publique », confie-t-elle. Dans le même ordre d’idées, les acteurs de la procédure judiciaire, en l’occurrence les juges pour enfant, à défaut de la déjudiciarisation, disent le droit, précise la magistrate, juge pour enfants et spécialiste des affaires familiales et de la protection des enfants, Azèta Nana. Elle précise que ce qui est recherché à travers l’audience n’est pas tant la culpabilité mais, surtout, comment faire pour que l’enfant ne sombre pas davantage dans la délinquance.
« La solution n’est pas de les mettre en prison »

Le magistrat et chef de service protection de mineurs à la direction de la justice juvénile, Pascal Kaboré, dépeint la complexité de la gestion des enfants dans les centres. Pour lui, les centres de réinsertion abattent un travail énorme. Du fait de la spécificité des enfants, la solution n’est pas de les mettre en prison. « Pour une infraction mineure, un enfant peut se retrouver en prison avec des professionnels et y sortir plus dangereux. C’est pour cette raison que les centres de réinsertion existent pour leur permettre d’apprendre un métier afin de faciliter leur réinsertion dans la société.
Ces centres jouent un rôle important surtout en matière de déradicalisation », explique le spécialiste en protection des droits de l’enfant, Pascal Kaboré. Il rassure que ces centres valent leur pesant d’or, surtout dans le contexte actuel où la situation de ces enfants mérite plus d’attention. Toute chose qui nécessite, à son avis, une mobilisation générale autour de la question. « C’est pourquoi, en fonction du rapport social de chaque enfant, nous travaillons à l’adaptation des enfants au sein de la structure
par différentes approches.
Nous avons les approches psychosociales, socioéducatives et pluridisciplinaires. Il en résulte un projet éducatif qui permet d’individualiser l’encadrement de l’enfant », ajoute Maïna Zoma, la directrice générale de l’INEFPRO. Elle confie qu’en plus de la rééducation, la scolarisation et la formation, la réussite des enfants réside dans la guidance parentale. « L’analyse des dossiers révèle que certains enfants ne sont pas forcément le problème, mais plutôt les parents. Certains parents, du fait du choc dû à l’action de leur progéniture, se rétractent de l’encadrement de l’enfant », déplore-t-elle. Toute chose qui indique la nécessité d’une rééducation des enfants et des parents.

« Chez nous, nous mettons en place un dispositif de suivi sur deux à trois ans
pour observer comment la réadaptation se fait. Si au bout de trois ans, l’enfant est stable, il lui est doté un kit d’installation pour lui permettre de se réaliser avec la participation des parents », détaille-t-elle. Du côté de la direction générale de la famille et de l’enfant, structure qui assure l’élaboration des politiques, des plans et des stratégies de promotion et de protection des droits de l’enfant, l’inspecteur d’éducation spécialisée, chef de service assistance éducative et des placements, Tahélé Kaboré, affirme qu’un enfant normal ne peut être le produit d’une famille pathogène.
Pour lui, il faut combattre le mal par la racine, en éduquant les parents et les familles. « Nous sommes chargés du placement administratif des enfants selon leur dossier au sein des centres de réinstallations ou internats éducatifs. Chaque année, des sessions permanentes d’assistance éducative chargées d’orienter les enfants ayant des difficultés comportementales sont organisées », décrit-il.
Des centres de redressements ?
Pour sa part, le Directeur de CERMICOL Mamadou Traoré estime que le phénomène est préoccupant quand on sait que la population est jeune et par conséquent, un atout de développement. « Si cette jeunesse sur laquelle le pays fonde beaucoup d’espoir est sujette à des phénomènes de conflit avec la loi, notre combat pour le développement

connaitrait des écueils », estime-t-il. C’est pourquoi, indique le chef de service socio-éducatif du CERMICOL, Fidel Kambou, le Centre assure un accompagnement socio-éducatif pour le changement de comportement des enfants et leur offre une formation professionnelle par l’apprentissage d’un métier de leur choix en vue de leur réinsertion dans la société.
« A ce titre, pour la formation, constituée d’ateliers de type ergothérapie, les plus petits, en âge de scolarisation sont inscrits à l’école. Quant aux grands, ils bénéficient des cours d’alphabétisation au centre », foi de Fidel Kambou. Selon lui, à la fin de leur séjour dans les centres, les ex-pensionnaires bénéficient de kits d’installation. « Souvent, l’enfant finit sa formation et par manque de moyens pour organiser sa sortie et son installation, il devient une charge supplémentaire », regrette-t-il. Il renchérit que le changement de comportement tant recherché chez les enfants est donc remis en cause.
« Nous souhaitons faire des formations à la carte et de courte durée, comme la saponification et bien d’autres en fonction des enfants que nous recevons », souligne-t-il.
« Par moments, nous sommes obligés de garder certains enfants au centre parce qu’on n’a pas retrouvé les parents, ou parce que leurs parents ne veulent plus entendre parler d’eux.

Nous cherchons donc dans la famille élargie, un proche qui tolère l’enfant », précise Fidel Kambou. Les acteurs intervenant dans la réhabilitation des enfants issus des centres de réinsertion sont unanimes devant l’immensité du travail abattu par ces centres, surtout au regard du taux de récidive.
En effet, la juge pour enfants, Azèta Nyampa, déplore un taux de récidive dépassant 50 % des prévenus. Elle précise cependant que cette situation ne remet point en cause le travail des centres de réinsertion, mais souligne plutôt le manque de moyens alloués à ces structures pour assurer un suivi adéquat à chaque pensionnaire. Pour y arriver, la juge Azèta Nana suggère que le pays se dote de centres adaptés. Mieux, elle propose la mise
en place de centres de redressement. « Là, on peut même rééduquer l’enfant, le remodeler pour qu’il soit vraiment ce citoyen qu’on veut », suggère-t-elle.
Emmanuel BICABA





