L’ONG Voix de femmes a organisé, avec l’appui financier de Trust Africa, une caravane de presse sur l’exclusion sociale des femmes pour allégations de sorcellerie dans les régions du Centre, du Plateau central, du Nord et du Centre-Nord du 29 mars au 2 avril 2021.
L’ONG Voix de femmes est résolument engagée dans la lutte contre les Violences basées sur le genre (VBG) en général et l’exclusion sociale des femmes en particulier. C’est dans ce cadre qu’elle a initié, une caravane de presse au profit d’une vingtaine de journalistes de divers médias dans les régions les plus concernées par le phénomène, du 29 mars au 2 avril 2021. L’objectif étant, aux dires du coordonateur de l’ONG, Raphaël Zongnaaba, de permettre aux hommes des médias d’avoir une connaissance empirique sur le phénomène afin de produire des contenus de sensibilisation sur la question.
Ainsi donc, de Ouagadougou à Kaya en passant par Boussé, Yako et Tèma-Bokin, les caravaniers se sont plongés dans l’univers des victimes qui, bannies de leurs familles, ont trouvé refuge pour la plupart, dans des centres d’accueil gérés par des religieux. L’un d’entre eux est le centre de la paroisse St Jean-Marie Vianney de Yako qui accueille 14 pensionnaires. Logées dans deux blocs de bâtiments de trois chambres chacun, ces femmes sont entièrement prises en charge par la paroisse qui tente tant bien que mal de pourvoir à leurs besoins les plus élémentaires. Cependant, des difficultés demeurent, selon les confidences de la Sœur Jacqueline Guiédem, chargée de la prise en charge des victimes. En effet, a-t-elle expliqué, les bâtiments qui accueillent les victimes, du fait de leur ancienneté sont dans un état de vétusté indescriptible : mûrs délabrés, toits percés, odeur nauséabonde, portes sans serrure, etc.
A cette difficulté s’ajoute celle sanitaire en ce sens que la paroisse ne dispose pas de moyens de transport pour les amener à l’hôpital en cas de maladie. « La plupart des femmes qui sont ici sont d’un âge avancé. Elles tombent donc très souvent malades. Et pour les transporter à l’hôpital, c’est la croix et la bannière. Puisqu’il n’y a pas de moyen de transport prévu à cet effet. Je suis souvent obligée d’aller chercher la vieille moto de la communauté pour les y emmener. Mais là aussi, ce n’est pas toujours évident », conte-t-elle triste. Malgré ces difficultés, les pensionnaires sont reconnaissantes à leurs hôtes pour l’hospitalité qui leur est accordée.
« Nous avons été abandonnées par nos familles et n’eut été l’aide de la paroisse, je ne sais pas ce que nous serions devenues », a déclaré Germaine Ouédraogo, une exclue sociale. La situation des pensionnaires de Yako semble moins enviable à celle du centre Ste Anne de Bokin qui est dans des conditions meilleures. Là, chaque pensionnaire dispose de sa chambre. Par ailleurs, la paroisse, essaie, selon les dires de l’abbé Roland Kiswendsida Sawadogo, de leur offrir un cadre familial afin de les aider à surmonter le rejet dont elles ont été victimes.
Des hommes également victimes
En outre, en vue de les occuper et pour éviter qu’elles soient inactives, la paroisse a initié un certain nombre d’activités à leur profit. Il s’agit de l’élevage de porcs, du jardinage, du filage de coton, etc. En plus de cela, les victimes bénéficient d’un accompagnement spirituel et psychologique selon la Sœur Solange Ouédraogo, chargée du suivi des victimes. « Au foyer ici, nous accompagnons spirituellement les femmes. Par exemple les samedis, je viens pour la liturgie. J’essaie de lire la parole de Dieu et essaie aussi de leur expliquer la Bible », a-t-elle indiqué, soulignant que par ce biais, certaines pensionnaires qui étaient animistes se sont converties au christianisme. De façon générale, selon les renseignements fournies aux caravaniers lors de la tournée dans les différents centres d’accueil que ce soit à Yako, à Tema ou même à Sakoula ou à la cour de solidarité de Paspanga, il ressort que la plupart des pensionnaires sont originaires de Yako et de ses environs et particulièrement de la commune rurale de Pilimpikou.
A Sakoula par exemple, sur les 190 pensionnaires que compte le centre, 150, soit plus de la moitié, viennent de Yako et des villages voisins. Des chiffres qui montrent, selon la directrice du centre Vickness Muleya, l’enracinement du phénomène dans cette partie du
Burkina Faso. Le drame, a-t-elle souligné, est que ce ne sont pas seulement les femmes qui sont victimes de cette « barbarie » humaine. En effet, des hommes sont également accusés d’être des mangeurs d’âmes dans cette localité. Cinq d’entre eux ont trouvé refuge dans sa structure. Au nombre d’eux, figure Kayimbou Guigemdé, chassé de Pilimpikou pour avoir été accusé d’être responsable de la mort d’une femme du village. « Ce jour là, ils ont pris le siongo et ils sont venus me cogner.
Ils ont même laissé tomber le cadavre sur mon pied et j’ai eu une fracture », s’est-il souvenu. Mr Guigemdé doit la vie à ses enfants qui l’ont conduit en brousse pour lui permettre d’échapper à la furie de la population. Il a par la suite été conduit au centre de Sakoula où il vit depuis cinq ans. L’initiative de la caravane de presse a été très bien appréciée par les autorités administratives des localités visitées. Pour le haut-commissaire de la province du Passoré, Issiaka Segda, l’exclusion sociale pour allégations de sorcellerie est avant tout une pratique traditionnelle. Et comme toutes les pratiques de ce genre, leur éradication est un long processus qui nécessite d’abord de déconstruire les mentalités à travers la sensibilisation.
Des acteurs optimistes
C’est dans ce sens que l’implication des journalistes est nécessaire, selon lui, afin de montrer aux populations les conséquences d’une telle pratique. Mais quel peut être l’apport de la loi sur l’exclusion sociale et l’allégation de sorcellerie dans la lutte contre le phénomène ? Sur ce point, le directeur régional des Droits humains du Centre-Nord, Isaïe Bamogo, tout en reconnaissant la place importante de la législation dans la lutte, a dit privilégier la voie de la sensibilisation. Pour lui, l’exclusion sociale étant une pratique traditionnelle, ce n’est donc pas forcément la loi moderne qui est la solution à son éradication quoi qu’elle puisse y contribuer.
Au contraire, il est important, à son avis, d’intensifier le plaidoyer auprès des autorités coutumières qui sont les garants de la tradition. « Si les chefs coutumiers sont sensibilisés, ils seront les acteurs de premier plan dans la lutte et dans ce cas, les choses pourraient changer dans le bon sens », a-t-il estimé. C’est aussi l’avis du directeur régional de la Femme, de la Solidarité nationale, de la Famille et de l’Action humanitaire du Centre-Nord, Yacouba Ouédraogo, qui a confié avoir utilisé cette stratégie pour faire reculer la pratique dans la province du Zondoma où il était en service.
« Il y a un chef coutumier qui est bien respecté dans la localité et dont la parole est considérée comme une parole d’évangile par la population. Nous nous sommes donc liés d’amitié avec lui et petit à petit, nous sommes arrivés à le sensibiliser au phénomène. Lui à son tour, il a, grâce à son autorité, interdit la pratique dans son village et aujourd’hui, on n’entend plus parler d’allégation de sorcellerie dans la localité », s’est-il réjoui. Mariam Lamizana, présidente de l’ONG Voix de femmes, quant à elle, pense que l’ensemble de ces stratégies à savoir la sensibilisation, le plaidoyer et l’application de la législation doivent être conjugués afin de venir véritablement à bout de l’exclusion sociale pour allégations de sorcellerie.
Du reste, elle s’est dit confiante quant à l’aboutissement de la lutte au regard du nombre d’acteurs qui s’engagent de plus en plus dans le combat notamment les hommes des médias. Pour elle, la vision de son organisation d’instaurer « un monde juste et meilleur où les droits des femmes sont connus et respectés de tous » sera tôt au tard une réalité au « pays des Hommes intègres ».
Nadège YAMEOGO