Feux de brousse au Sud-Ouest : une menace persistante pour l’environnement

Au Burkina Faso, pendant la saison sèche, on assiste à des incendies spontanés dans la brousse. Ces incendies récurrents représentent une menace majeure pour la région du Sud-Ouest tant sur le plan environnemental que socio-économique. Ce phénomène ravage l’environnement, défiant les efforts de lutte contre la déforestation déployée par les autorités. Dans cette région où la pluviométrie est abondante, l’Homme demeure le principal instigateur de ces brasiers dévastateurs de l’environnement. Reportage !

Gaoua, mercredi 28 février 2024. 8 heures 24 minutes. Le jour s’est levé sur la ville endormie de Gaoua, capitale régionale du Sud-Ouest. Un crépuscule de cendre enveloppe les environs alors que nous entamons notre voyage sur la nationale 11, en direction de Batié, dans la province du Noumbiel. A peine une dizaine de kilomètres franchis et déjà, le paysage se métamorphose en un tableau sinistre. Des troncs d’arbres calcinés, des branches tordues comme des cris figés dans le temps, un décor en noir, blanc et vert qui témoigne de la fureur des flammes. La route elle-même semble porter les stigmates de ce brasier, avec une poussière épaisse qui ne parvient pas à masquer la désolation environnante. L’air est lourd, saturé de l’odeur âcre du brûlé. A chaque inspiration, nos poumons se remplissent de ce parfum amer, nous rappelant l’implacable réalité de la nature en colère. Les statistiques peuvent manquer, mais les cicatrices laissées par les incendies récents sont indéniables. Des étendues de terre dévastées s’étendent à perte de vue, témoignant d’une lutte désespérée contre un ennemi invisible, mais implacable. « En dehors des villes, des villages, des terres cultivables, des plantations et des collines, tout brûle ici », nous confie avec désolation le directeur régional en charge de l’Environnement du Sud-Ouest, le commandant Passolognaba Ismaël Rouamba. D’une localité à l’autre, le constat est donc le même.

Trois passages de feu dans l’année

Dans cette région au relief accidenté du Sud-Ouest, le feu fait rage, dévorant tout sur son passage. Au loin, une fumée s’élève des flancs d’une colline, près du village de Loto, dans la province de la Bougouriba. C’est un feu de brousse, une scène malheureusement familière pour les habitants de la région. « En cette période de l’année, cette scène est fréquente dans la localité », nous confie le président du Comité villageois de développement (CVD) de Loto, Bimpoté Dabiré. Selon le CVD de Loto, les incendies sont souvent déclenchés par les chasseurs de gibier, désireux de déloger leurs proies de leur refuge naturel. Le climat aride et la densité du tapis herbacé de la région fournissent le combustible parfait pour alimenter ces flammes voraces.

Le directeur régional en charge de l’environnement du Sud-Ouest, le commandant Passolognaba Ismaël Rouamba : « Nous allons, sans relâche, renforcer les sensibilisations et identifier les vrais acteurs des feux de brousse ».

Il précise que lorsque le tapis herbacé est dense, un petit feu peut rapidement devenir un brasier incontrôlable », explique le directeur régional. Selon lui, les incendies de brousse se présentent sous différentes formes et selon diverses origines. Certains sont intentionnellement allumés pour des raisons d’aménagement du territoire. « L’auteur de ce type de feu est capable de le contrôler et de le contenir dans une certaine zone définie », ajoute-t-il. Tandis que d’autres échappent au contrôle de leurs auteurs, se propageant rapidement et dévorant tout sur leur passage. Ces feux, dit le commandant, sont généralement désignés comme « sauvages », car ils ne sont pas intentionnellement maîtrisés. Cette destruction implacable ne connaît pas de répit, surtout pendant la saison sèche, avec trois passages de feu dévastateurs, selon les services en charge de l’environnement. Les premiers, moins dangereux, marquent le début de la saison des feux de brousse en novembre, suivis par des flambées plus intenses en décembre et janvier et enfin, les plus redoutables en mars et avril, marquant la fin de cette saison infernale. Les feux de cette période sont considérés comme les plus dangereux, car ils peuvent consumer tout sur leur passage, formant un terrain dégagé sans végétation. « Ce dernier feu épargne peu de choses », indique l’autorité régionale en charge de l’environnement. Les causes de ces incendies sont multiples et souvent liées aux activités humaines. Les défrichements agricoles, les chasses coutumières et même les gestes imprudents du quotidien peuvent déclencher des flammes qui échappent à tout contrôle. « Si, le feu n’est pas correctement maîtrisé par les femmes ou si les enfants manipulent le feu près des concessions où la végétation est proche, cela peut entraîner des incendies de brousse », fait savoir le commandant Passolognaba Ismaël Rouamba. Les conséquences de ces incendies sont désastreuses, tant sur le plan environnemental qu’économique.

Des conséquences dévastatrices

Les arbres malchanceux sont réduits en cendre.

L’une des conséquences des feux de brousse est la destruction totale de la végétation. Les flammes voraces ravagent tout sur leur passage, réduisant en cendre les buissons et les herbes. « Les exploitations agricoles ne sont pas épargnées et les récoltes non encore opérées sont souvent englouties par les flammes. C’est une perte pour nous car cela compromet notre subsistance et notre sécurité alimentaire », explique Bimpoté Dabiré d’un ton peiné sans lever les yeux. Des explications des services de l’environnement du Sud-Ouest, il ressort qu’un autre aspect crucial des feux de brousse est leur impact sur la biodiversité. La faune et la flore de la région subissent des pertes irréparables à cause de ces incendies dévastateurs. Les habitats naturels sont détruits, forçant de nombreuses espèces animales à fuir ou à mourir. Les plantes endémiques sont également gravement affectées, mettant en péril l’équilibre écologique de la région. Le CVD de Loto jette un regard dans le vide, puis affirme que le feu à un impact négatif sur les rendements agricoles, avant de hocher la tête comme pour manifester son impuissance face au phénomène. Agriculteur dans le village de Bapla à une dizaine de kilomètres de Diébougou, Judicaël Da, aborde également cette question avec une perspective similaire. Pour lui, l’idée de déclencher des incendies dans les champs pour des raisons d’agriculture ou de gestion des terres est non seulement superflue, mais également préjudiciable. Selon celui qui vient d’avoir ses 40 ans de vie, ces feux de brousse sont souvent utilisés pour détruire ou appauvrir le sol, ce qui va à l’encontre des pratiques agricoles durables. L’inquiétude principale de Judicaël Da réside donc dans les conséquences néfastes des feux de brousse sur l’agriculture. « Les déchets de culture et les résidus végétaux sont essentiels pour enrichir le sol en tant qu’engrais naturel », insiste l’agriculteur. Ainsi, la pratique des feux de brousse dans les champs, non seulement détruit les cultures exis-tantes, mais compromet également la fertilité du sol pour les saisons à venir. Dans la tradition, ajoute-t-il, l’acte de déclencher des feux de brousse n’a aucune importance particulière. Pourtant, Judicaël Da soulève une question cruciale, celle de l’impact désastreux de ces incendies sur la biodiversité et les ressources naturelles de la région.

Le bétail, victime collatérale

Après les feux de brousse répétés, le bétail peine à trouver suffisamment de nourriture.

Il met en lumière le lien étroit entre la préservation de la faune et l’environnement, soulignant que la destruction des habitats naturels entraîne inévitablement une diminution du gibier disponible pour la chasse. Hamidou Dia, éleveur à Gaoua, évoque les conséquences délicates que les feux de brousse peuvent avoir sur l’élevage dans la région du Sud-Ouest. Avec un troupeau de plus de 1 000 têtes de bœufs sous sa res-ponsabilité, il est bien placé pour comprendre l’impact dévastateur de ces incendies récurrents. « Lorsque les feux de brousse sont pratiqués de manière excessive, cela peut entraîner une diminution de la qualité de l’alimentation pour le bétail », explique l’éleveur assis dans son bureau qui lui sert également de commerce. A l’en croire, bien que les feux occasionnels puissent favoriser la repousse de nouvelles herbes fraîches, une répétition des incendies peut détruire les ressources alimentaires disponibles pour les bovins. Conséquence, le bétail peut souffrir d’une ali-mentation insuffisante, ce qui affecte directement leur santé et leur croissance. Son collègue éleveur de Bapla, Béligné Hien embouche dans la même trompette. Avec une dizaine de bovins et de caprins en sa possession, M. Hien est confronté à une réali-té où l’équilibre écologique est crucial pour la santé et le bien-être de son troupeau. Pour le quadragénaire, la recrudescence des feux de brousse dans la localité constitue un frein à ses activités pastorales.

Pour l’éleveur Hamidou Dia, les feux de brousse sont pratiqués de manière excessive dans la région.

« Après les feux de brousse, mon bétail a du mal à s’alimenter. Ce qui ralentit l’évolution des animaux », insiste l’éleveur tout en inclinant sa tête vers l’avant. Alors qu’ils peuvent initialement favoriser la repousse des pâturages, des incendies répétés épuisent la végétation, rendant difficile pour le bétail de trouver suffisamment de nourriture.

Intensifier la sensibilisation de la population

De plus, le manque d’eau exacerbé par les feux aggrave encore les difficultés des éleveurs, mettant en péril la santé et la productivité de leurs troupeaux. Il est crucial que des mesures soient prises pour prévenir et contrôler les incendies de brousse afin de protéger l’avenir de l’agriculture et l’élevage dans la région du Sud-Ouest. A cet effet, les autorités régionales chargées de l’environnement sont résolument engagées dans la lutte contre les feux de brousse. Sous l’égide du ministère de l’Environnement, de l’Eau et de l’Assainissement, ces autorités mettent en œuvre une série d’actions préventives et d’initiatives visant à sensibiliser la population et à réduire les risques d’incendies. Une des approches clés adoptées par les autorités régionales est la sensibilisation de la population sur les dangers des feux de brousse. « A travers des campagnes d’information et des séances de sensibilisation, nous informons la population des risques liés aux incendies et sur les mesures préventives à prendre pour les éviter », relève le commandant Passolognaba Ismaël Rouamba.

Des manguiers atteints après le passage des feux dans le village de Loto.

Il indique que dans cette lutte, des comités locaux sont formés pour surveiller et suivre les cas de feux de brousse dans certains villages. Ces comités, regrette le patron de l’environnement du Sud-Ouest ne fonctionnent plus. Pour prévenir la propagation des incendies, des bosquets sont plantés dans certaines zones stratégiques. Cependant, le directeur régional reconnaît que les feux de brousses annihilent les efforts de plantation d’arbres, car, dit-il, beaucoup sont tués après le passage des feux. « Les gens font l’effort de planter les arbres, mais avec les feux de brousse, les jeunes plants ne résistent pas aux flammes. A la fin de la campagne, on remarque l’impact du feu sur les résultats », nous informe-t-il. Ces autorités régionales insistent sur l’intégration des considérations environnementales dans l’élaboration des Plans de développement communaux (PDC). « Nous encourageons les communes à inclure des activités telles que la plantation d’arbres, la lutte contre les feux de brousse et la préservation des ressources naturelles dans leurs plans de développement », indique Passolognaba Ismaël Rouamba. La direction régionale en charge de l’environnement a des perspectives ambitieuses pour lutter contre les feux de brousse dans le Sud-Ouest. En renforçant les sensibilisations, en identifiant les véritables acteurs des incendies, en créant des communautés fonctionnelles et en développant un réseau de réponse rapide, elle espère réduire significativement les risques d’incendies et protéger l’environnement dans la région. « Nous allons, sans relâche, renforcer les sensibilisations et identifier les vrais acteurs des feux de brousse. Nous allons également mettre en place des communautés locales qui seront fonctionnelles dans la durabilité avec ou sans projet », conclut-il, avec la détermination d’un guerrier prêt à affronter les flammes de l’adversité pour protéger l’avenir de la région du Sud-Ouest.

Noufou NEBIE


Réduction des rendements agricoles

Selon le directeur de la fertilité au Bureau national des sols (BUNASOL), Rasmané Romba, les feux de brousse peuvent avoir diverses conséquences sur le sol, affectant ainsi leur fertilité, leur structure, leur biodiversité et leur stabilité. 

« Les températures élevées des feux de brousse peuvent altérer la biomasse du sol, entraînant une perte de porosité et une augmentation de la compaction. Ce qui peut affecter la croissance des plantes. Le feu peut brûler la matière organique présente dans le sol, réduisant sa fertilité et sa capacité à retenir l’eau et les nutriments. La pratique des feux de brousse entraîne également la réduction de l’activité biologique. On assiste au tassement et à la compaction du sol et il devient inculte. Les feux favorisent aussi l’érosion hydrique et éolienne. Après un incendie, le sol peut devenir plus vulnérable à l’érosion en raison de la perte de la couverture végétale qui aide à retenir le sol en place. Toutes ces conséquences ont un impact significatif sur l’agriculture car l’activité biologique du sol devrait concourir à la décomposition de la matière organique pour améliorer les nutriments du sol. Donc il y a une perte des nutriments du sol, des destructions des caractéristiques physico-chimiques des sols. Cela contribue à la réduction des rendements agricoles et à la perte de productivité des sols ».

Propos recueillis par N.N

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