Douleurs diffuses dans tout le corps, fatigue intense, troubles du sommeil, anxiété, dépression…la fibromyalgie est un syndrome complexe et encore largement méconnu, qui bouleverse la vie quotidienne des personnes qui en souffrent. Bien que sa cause exacte reste inconnue, des solutions existent pour soulager les symptômes et améliorer la qualité de vie. Dr Elodie Kompaoré, médecin rhumatologue au Centre hospitalier universitaire Souro Sanou (CHUSS) de Bobo-Dioulasso, lève le voile sur cette maladie silencieuse.
Sidwaya (S.) : Quelle définition donnez-vous en tant que spécialiste à la fibromyalgie ?
Elodie Kompaoré (E.K.) : La fibromyalgie est une affection chronique caractérisée par des douleurs diffuses dans tout le corps, souvent associées à une fatigue intense, des troubles du sommeil, des troubles de la mémoire et de la concentration, ainsi qu’à des troubles de l’humeur. Elle affecte la qualité de vie et les capacités physiques des personnes qui en souffrent.
En tant que spécialiste, je la définis comme un trouble de la régulation de la douleur où le système nerveux devient plus sensible et perçoit des douleurs de manière exagérée.
S. : La fibromyalgie reste une maladie encore mal comprise. A votre avis, quelles pourraient être ses causes ou ses origines ?
E.K. : Effectivement, les causes précises de la fibromyalgie ne sont pas encore entièrement connues. Toutefois, plusieurs pistes sont évoquées dans la littérature médicale. Il s’agirait d’une maladie multifactorielle, résultant à la fois de prédispositions génétiques, de facteurs environnementaux. Certains patients présentent des antécédents familiaux similaires, ce qui suggère une composante héréditaire. Des événements infectieux, tels que des virus ou des bactéries, pourraient également jouer un rôle déclencheur. Par ailleurs, un stress intense, un traumatisme émotionnel ou physique, des troubles du sommeil chroniques, ainsi qu’un dysfonctionnement de certains neurotransmetteurs cérébraux, semblent favoriser l’apparition de la maladie.
S. : Quels sont les symptômes que vos patients évoquent le plus souvent ?
E.K. : Les patients consultent généralement pour des douleurs musculaires et articulaires persistantes qui se manifestent dans différentes parties du corps, sans explication claire. Ces douleurs sont souvent accompagnées d’une fatigue intense, ressentie dès le réveil et qui persiste tout au long de la journée, même après un repos prolongé. Le sommeil, quant à lui, est souvent non réparateur, ce qui aggrave la sensation d’épuisement. Beaucoup rapportent également des maux de tête fréquents, des troubles digestifs, des difficultés à se concentrer et des pertes de mémoire que l’on appelle parfois le « brouillard mental ». A cela s’ajoutent une hypersensibilité aux bruits, à la lumière ou aux odeurs, ainsi que des troubles de l’humeur, comme l’anxiété ou la dépression. Ces éléments, lorsqu’ils sont combinés, orientent vers un diagnostic de fibromyalgie.
S. : Quels sont aujourd’hui les moyens à votre disposition pour soulager ou traiter cette pathologie ?
E.K. : Il n’existe pas à ce jour de traitement unique, mais une prise en charge globale et personnalisée permet souvent d’améliorer significativement la qualité de vie des patients. Le traitement repose sur plusieurs axes complémentaires. L’activité physique douce, régulière et adaptée comme la marche, la natation ou le yoga est l’un des piliers de la prise en charge. A cela s’ajoutent des approches psychothérapeutiques, notamment les thérapies cognitivo-comportementales, qui aident les patients à mieux gérer la douleur et le stress. Sur le plan médicamenteux, certains antidépresseurs, des antalgiques non opioïdes et des relaxants musculaires peuvent être prescrits pour soulager les symptômes. Enfin, des méthodes complémentaires comme la sophrologie, la relaxation ou l’acupuncture peuvent apporter un confort supplémentaire. L’écoute du patient et un accompagnement bienveillant sont également essentiels dans le parcours thérapeutique.
S. : Peut-on craindre des complications en cas de fibromyalgie non traitée ou mal prise en charge ?
E.K. : Oui, une fibromyalgie non ou mal traitée peut avoir des conséquences sérieuses. Les douleurs risquent de s’intensifier avec le temps, entraînant une limitation des activités quotidiennes et parfois une perte d’autonomie. Sur le plan psychologique, l’accumulation de souffrance peut engendrer un état dépressif, de l’anxiété chronique, voire un isolement social. La qualité de vie se dégrade progressivement, affectant la vie personnelle, professionnelle et relationnelle. Il est donc important d’identifier la maladie le plus tôt possible et de proposer un accompagnement adapté.
S. : Existe-t-il un profil type du patient fibromyalgique ou certains facteurs rendent-ils certaines personnes plus vulnérables ?
E.K. : Même si la fibromyalgie peut toucher tout le monde, les études montrent qu’elle affecte majoritairement les femmes âgées de 30 à 60 ans. Toutefois, des hommes, des adolescents ou des personnes âgées peuvent également en souffrir. Plusieurs facteurs semblent augmenter la vulnérabilité à cette maladie. Il s’agit notamment du stress chronique, des antécédents de traumatismes physiques ou psychiques, des troubles persistants du sommeil et de la présence de cas similaires dans la famille. Il n’y a donc pas de profil unique, mais certaines personnes présentent des terrains favorables au développement de la maladie.
S. : Peut-on agir en amont pour éviter son apparition ou en limiter l’impact ?
E.K. : Il n’est pas toujours possible de prévenir l’apparition de la fibromyalgie, mais on peut réduire les risques ou d’en atténuer les effets. Il est important d’adopter un mode de vie équilibré, de gérer activement son stress à travers des activités relaxantes, d’avoir un sommeil de qualité et de pratiquer régulièrement une activité physique. Etre attentif aux signaux que nous envoie notre corps et consulter un professionnel dès l’apparition de symptômes inhabituels peut aussi permettre une prise en charge plus rapide et plus efficace.
S. : Quel message souhaiteriez-vous adresser aux personnes qui vivent avec cette maladie au quotidien ?
E.K. : J’aimerais dire aux personnes atteintes de fibromyalgie qu’elles ne sont pas seules. Elle est réelle et reconnue. Il est tout à fait possible d’apprendre à vivre avec cette maladie et de retrouver une certaine qualité de vie grâce à une prise en charge adaptée. L’espoir est fondamental dans ce combat. Il est important de s’entourer de professionnels compétents et bienveillants, de rester acteur de son parcours de soin et, surtout, de ne pas hésiter à demander de l’aide.
Interview réalisée par Wamini Micheline OUEDRAOGO