De l’éclatement du terrorisme en 2015 à sa persistance de nos jours au Burkina Faso, la chasse périclite avec à la clé, des concessions de zones de chasse notamment à l’Est, vandalisées et incendiées. Quelle est la situation dans les différents ranchs ? Le président de l’association « Le Royaume des trophées » au Burkina Faso, Franck Alain Kaboré, par ailleurs, président de la Fédération ouest-africaine de la chasse sportive nous donne des éclairages dans cette interview.
Sidwaya (S) : Qu’est-ce qu’une concession de zone de chasse ?
Franck Alain Kaboré (F.A.K.) : Il faut remonter le temps pour faire la genèse des concessions de zones de chasse au Burkina Faso. La majorité des concessionnaires était des braconniers et est devenue par la suite des chasseurs professionnels. Une concession de zone de chasse est un espace où il faut construire des barrages et des forages et profiler les pistes pour permettre aux visiteurs et animaux de circuler. En rappel, nous avons eu la réforme de la faune en 1996 à la faveur du leadership de feu Dr Salifou Diallo, alors ministre d’Etat, ministre de l’Environnement et de l’Eau. Il nous a conduits tous à adhérer à cette réforme parce que nous avions vu que dans la sous-région, le Burkina Faso a un potentiel faunique énorme. S’en est suivi la mise en place des concessions de zones de chasse par des particuliers, car l’Etat a exprimé le manque de moyens pour créer des concessions de zones de chasse.
Il a donc fait appel au privé pour les investissements dans ce sens. Il faut savoir que quand on investit dans une concession de zones de chasse, il faut plusieurs années d’aménagements considérables pour, à la fin, récolter les dividendes. Les concessions de zones de chasse peuvent être de l’ordre de 50 000 hectares (ha), 100 000 ha, 200 000 ha, etc. Si bien que si l’on n’a pas les moyens il est impossible de pouvoir y investir. C’est pourquoi l’Etat a concédé dans un premier temps pour dix ans (1997-2006) les concessions de zones de chasse pour tester la capacité du privé avec à la clé, un cahier des charges. Le cahier des charges nous oblige également à construire le bâtiment composé d’un bureau et d’un logement devant abriter les forestiers dans le but de permettre à l’Etat d’avoir un œil sur les animaux abattus. Toutefois, nous nous sommes rendu compte que le temps qui nous a été imparti est peu pour sécuriser les investissements et être rentables. En guise de solution, l’Etat nous a donné vingt ans jusqu’en 2028, à travers un appel d’offres ouvert pour investir en toute sécurité.
Ce, après un examen approfondi de notre gestion globale à l’issue duquel nous avons reçu des certificats de satisfecit sur la base de quinze critères pour traduire notre ardeur au travail et notre patriotisme à sauvegarder les ressources fauniques. Car, il faut montrer les qualités nécessaires intrinsèques d’un gestionnaire de zone de chasse pour prétendre à une concession de zones de chasse. Par ailleurs, l’Etat a trouvé que c’est une aubaine d’avoir des opérateurs privés burkinabè qui se sont intéressés à la faune et qui ont travaillé à préserver ce cheptel giboyeux. Il faut aussi dire que le cahier des charges nous oblige à employer les populations riveraines dans l’utilisation et la conception des pistes pour les empêcher de braconner et leur montrer l’importance de la richesse faunique. Mais, la leçon à retenir est que le Burkina Faso est l’un des rares pays après cette expérience de dix ans à avoir des nationaux qui gèrent leur patrimoine faunique et halieutique. En effet, nous sommes à même de discuter dans des salons au même titre que des guides de l’Association des chasseurs professionnels (ACP) basée en France à laquelle n’adhère pas qui veut.
S : Quelles sont vos concessions de zones de chasse ?
F.A.K. : « Le royaume des trophées » regroupe la quasi-totalité des zones de chasse du Burkina Faso. Je suis chasseur professionnel et concessionnaire de zones de chasse à savoir Nerwaya Safari qui se trouve à Ougarou à l’Est, appelé campement du lion et le ranch du gibier du Singou à Tanwalbougou, situé à environ 50 kilomètres (Km) de Fada N’Gourma où je suis concessionnaire et actionnaire. J’exerce dans l’association en compagnie du vice-président et du secrétaire général de la structure respectivement Sidiki Sérémé, concessionnaire de zones de chasse de Sa-Sourou dans la Boucle du Mouhoun et Noufou Compaoré. Celui-ci, membre fondateur des organisations patronales de tourisme, d’hôtellerie et de restauration est également concessionnaire de zones de chasse à l’Est dénommée Arly Safari-chasse et vision dont la zone de chasse est Pagou Tandougou, le parc d’Arly.
S : Comment se fait le travail dans les concessions de zones de chasse ?
F.A.K. : Au départ, il y avait une vingtaine de personnes qui s’intéressaient aux concessions de zones de chasse. Mais, compte tenu de la lourdeur des investissements, beaucoup se sont désistés. Car, notre travail est saisonnier au point que nous devons travailler à faire venir des chasseurs étrangers sur notre territoire en vue de chasser cinq mois au maximum. Nous travaillons 13 mois sur 12 parce que dès la fin de la chasse, nous employons des gens pour la sauvegarde de la zone en attendant l’ouverture de la saison de chasse qui s’étale sur six mois, c’est-à-dire de décembre de l’année en cours à mai de l’année suivante. Après tout cela, il faut œuvrer de telle sorte à ce que la protection soit évidente. Il faut aller à l’extérieur et c’est pour cela que l’Etat nous avait nommés ambassadeurs du tourisme. Il faut donc aller partout en Europe, aux Etats-Unis et en Asie à la rencontre de chasseurs pour montrer nos potentialités avec nos fonds propres. Dès lors, nous nous sommes réunis en consortium pour traiter de cette question. C’est le lieu pour moi de rendre un vibrant hommage à nos devanciers à l’image de El hadj Salif Compaoré, le journaliste Norbert Zongo, Moumouni Dermé et Lazare Daniel Tapsoba, l’un de nos doyens qui n’est plus tous de ce monde.
Ce dernier à sa mort avait dit : « Il ne faut pas laisser tomber les zones ». Aussi, au Burkina Faso, la chasse est fortement règlementée et il faut avoir cette attitude de respecter les heures de chasse, de 6h à 18 h, de ne pas chasser en voiture et ne pas tirer sur une femelle et un jeune mature. Ce qui fait qu’une équipe de chasse est constituée de chasseur qui peut être un étranger accompagné obligatoirement de pisteur qui connaît bien la brousse et de guide de chasse professionnel qui protège en cas d’attaque et montre l’animal à tirer. Par exemple, si tu ne respectes pas la règlementation en faisant un mauvais tir, il y a une pénalité. En plus du guide de chasse, il y a le porteur du fusil qui pèse souvent cinq kilogrammes (kg). En cas de traces d’animaux, l’on descend du véhicule pour commencer à pister souvent pendant plus de deux heures. Quand l’animal est abattu, il faut appeler le chauffeur pour son chargement. Arrivés au campement, les mensurations sont faites afin de savoir s’il n’y a pas eu un mauvais tir et après, nous collectons les taxes
d’abatage pour l’Etat. En ce qui nous concerne, nous nous en tirons avec l’argent des prestations sinon le permis de chasse et l’animal abattu reviennent à l’Etat. Donc, il faut reconnaître la complexité de notre travail qui fait de nous des collecteurs de fonds pour l’Etat.
S : A combien peut-on estimer le nombre de concessions de chasse au Burkina Faso ?
F.A.K. : Les concessions de zones de chasse, au départ, au Burkina Faso, étaient au nombre de 28. Mais, la lourdeur des investissements, c’est-à-dire les aménagements et la préservation des sites sur fonds propres, a milité en faveur de la réduction du nombre de concessions de zones de chasse à 16 dans notre pays. Ceux qui n’ont pas pu suivre le rythme et sont partis, ont laissé derrière eux des concessions en perdition que l’Etat n’arrive pas à gérer. Ceux qui ont pu tenir ont dû vendre des véhicules et s’endetter pour pouvoir y faire face. Ailleurs, l’Etat fait le lobbying auprès des fonds internationaux pour soutenir les acteurs sur le terrain en matière de préservation des ressources fauniques et halieutiques. Si l’Etat nous appuyait avec des fonds externes, il n’y aura pas un autre Burkina en Afrique et même ailleurs en la matière.
S : Comment appréciez-vous l’accompagnement de l’Etat ?
F.A.K. : C’est une question de politique. L’Etat a apprécié les milliards que nous lui avons apportés. Si vous regardez de 1997 à 2006, les fonds qui sont entrés en taxes, en fonds d’intérêts collectifs, en économie locale, etc. c’est inimaginable en termes d’investissements ! Les retombées directes dans les caisses de l’Etat, ce sont des milliards de F CFA que les concessionnaires de zones de chasse au Burkina Faso payaient par an. Si vous n’étiez pas à jour de vos obligations de l’année d’avant, vous perdez votre autorisation d’exploitation. C’est une profession qui est fortement règlementée sur le plan de la taxation et de la fiscalité si bien que le moindre écart est sanctionné. Même, sur les animaux abattus que bénéficient les forestiers et les populations, l’Etat prélève des taxes. Malgré tout, nous respectons notre part de contrat qui stipule, entre autres, que la surveillance et la protection des concessions de zones de chasse relèvent du rôle régalien de l’Etat.
Mais, en définitive, c’est le concessionnaire qui se retrouve en train de financer le paiement des guides et des populations riveraines pour surveiller les espaces de chasse. Parfois, nous donnons des motos et du carburant à des forestiers pour la surveillance, ce qui doit être leur travail. Aujourd’hui, quand on dit qu’une concession de zones de chasse est brûlée, cela est imputable à l’Etat. C’est comme une mine dont la sécurité doit être garantie par l’Etat au profit de l’exploitant pour mener ses activités en toute quiétude. Nous devons faire partie des priorités de l’Etat comme tous les autres secteurs.
S : La chasse est présentement ouverte au Burkina Faso, mais difficile de la pratiquer dans certaines localités du fait de l’insécurité. Comment organisez-vous la riposte ?
F.A.K. : L’organisation de la riposte est une question et l’ouverture de la chasse en est une autre. Au regard de la situation actuelle de notre pays, l’ouverture de la chasse n’a pas sa raison d’être. On ouvre la chasse pourquoi ? C’est pour le tourisme, l’entrée de devises et le réveil d’un certain nombre de mécanismes dans le commerce local, etc. Nous sommes classés zone rouge, c’est-à-dire, interdiction formelle pour les étrangers de venir au Burkina Faso. Il y a aussi la pandémie de la COVID-19 qui interdit les voyages dans notre pays. La sécurité au Burkina Faso est la condition sine qua non pour que nous ayons aussi la sécurité dans nos zones de chasse.
Vous ne pouvez pas avoir une insécurité quelque part au Burkina Faso et avoir la sécurité dans vos zones de chasse et croire que c’est cela qui va faire venir les touristes. Nous avons fait savoir aux autorités au cours de l’année 2020 que nous, aussi, pouvons contribuer à la sécurité du pays avant bien sûr celle de nos concessions de zones de chasse. Nous avons dit que les patrouilles mixtes (militaires plus forestiers et pisteurs) peuvent contribuer énormément un tant soit peu à diminuer l’insécurité.
S : Quelle leçon tirez-vous aujourd’hui de la rencontre de 2018, avec le Premier ministre d’alors, Paul Kaba Thiéba, au cours de laquelle il était question de la sécurisation des espaces de chasse ?
F.A.K. : C’est vrai que les renseignements se sont fortifiés après cette date, mais nous avons proposé de participer à la sécurisation du territoire y compris nos concessions de zones de chasse avec la connaissance du terrain par nos guides et nos pisteurs qui peuvent également contribuer aux renseignements. Nous avons tout perdu et nous sommes obligés de croiser les bras pour voir ce que l’Etat va apporter comme solution au problème d’insécurité.
S : En 2019, le ministère des Affaires étrangères français, sur la carte des « Conseils aux voyageurs », a repeint en rouge les zones boisées du Complexe W, Arly et Pendjari (WAP) comme refuges de combattants terroristes. Deux ans plus tard, quel bilan de cet état de fait pouvez-vous dresser ?
F.A.K. : Le bilan est difficile à établir. Nous ne pouvons même plus aller dans nos zones de chasse. Nous apprenons par nos pisteurs que les animaux sont abattus et c’est le braconnage à outrance. Les braconniers abattent des animaux que nous avons mis trente ans à préserver pour la simple consommation. Les grands bandits tuent les éléphants pour leur ivoire. C’est un cri du cœur que nous lançons afin que tous les moyens soient déployés en vue de rétablir la situation.
S : C’est donc dire qu’aucune statistique de braconnage ne peut être établie face à cette situation de nos jours ?
F.A.K. : Personne à l’instant n’a pu avoir accès à nos concessions de zones de chasse. En 2018, quand on a brûlé ma concession à Singou, la gendarmerie et l’armée m’ont accompagné pour aller faire un constat avec un huissier. Je ne pense pas, en tant que président de l’association « Le Royaume des trophées », que dans toutes les concessions brûlées et vandalisées, l’on a pu faire un seul constat. Néanmoins, nous nous battons pour que l’Etat reprenne les concessions et nous donne nos droits ou bien de nous les vendre. Nous ne pouvons pas investir des milliards F CFA depuis six ans et ne pas travailler du fait de l’insécurité. Par exemple, pour avoir du gibier de nos jours, il faut aller à Nazinga, dans la zone présidentielle avec la peur au ventre. L’Etat ne peut pas nous abandonner, car si les terroristes s’emparent de nos concessions, ce sera peine perdue ! Nous pensons que nous n’allons pas en arriver là, mais il faut qu’on se réveille.
Les pisteurs et les populations riveraines ont fui et eux que l’on a retenus ont perçu à un moment donné un million F CFA de salaire mensuel. Aujourd’hui, nous ne pouvons même pas payer un salaire mensuel de 400 000 F CFA. Nous nous contentons de donner 30 000 F CFA, 40 000 F CFA ou 50 000 F CFA de salaire pour sauver ce qui peut encore l’être. Il faut qu’on reconnaisse que le Burkina Faso avait plus de gibiers et était un exemple dans la sous-région en matière d’organisation. Les concessionnaires avaient 80% du gibier.
Cela veut dire que nous conservons et nous avons conscience que le moindre écart nous fera perdre des ressources. Aujourd’hui, le président du Faso, les autorités gouvernementales, tous reconnaissent notre problème et nous attendons qu’ils réagissent.
S : Qu’en est-il de la chasse sportive au Burkina Faso ?
F.A.K. : La chasse sportive est spéciale par rapport à celle traditionnelle appelée battue et au braconnage qui est aussi une chasse à part entière qui n’obéit à aucune règle. La chasse sportive est organisée avec un timing précis. Au Burkina Faso, elle est pratiquée de 6 h à 18 h à pied à visage découvert avec des pisteurs professionnels pour la sécurité du chasseur. Car, certains animaux sont furtifs et capables de vous attaquer à tout moment. Ces pisteurs sont organisés pour nous permettre de faire la meilleure chasse possible. Dans la chasse sportive, c’est généralement un mâle qui est d’une grande envergure et d’un grand trophée qu’on abat.
La chasse sportive exige un quota à travers un inventaire de la zone pour déterminer le nombre de gibiers de toutes les espèces animales avant d’en fixer. C’est pourquoi, il est fait obligation que le ministère en charge de l’environnement donne chaque année les quotas de chasse par concession. Il y a des quotas, par exemple de 25 buffles à abattre, qu’on nous donne dans le cadre de la chasse sportive. Mais, nous n’avons jamais osé tirer sur plus d’une dizaine parce que la dizaine suffisait. Il y a eu un moment, l’Etat nous a donné le quota de cinq lions à abattre, mais nous avons pris la décision de respecter le quota d’un lion, car nous avons considéré que celui qui nous a été donné officiellement était trop.
Il faut dire aussi que le quota est donné conformément à la règlementation internationale. A un moment donné, dans tous les pays du monde, l’abattage du lion avait été interdit, mais l’exception était burkinabè parce que les techniciens avaient pu démontrer que la population de lions était en nombre croissant au Burkina Faso. De plus, malgré le manque de moyens pour pratiquer la chasse sportive, nous avons pu remplir notre contrat vis-à-vis des populations riveraines en les formant à la nécessité de préserver la faune et en les employant directement. Et chaque année, ils savent qu’ils ont un revenu ou un commerce garanti. La chasse sportive répond à tous ces critères et les Burkinabè sont tous concernés.
S : Face à l’insécurité, n’est-il pas nécessaire de revoir les dispositions générales portant sur la saison de chasse au Burkina Faso en vue de les adapter à la situation ?
F.A.K. : Nous pensons que, dans ce sens, quelque chose est en train de se faire. Nous avons rencontré pratiquement tous les ministres y compris le Premier ministre, pour leur expliquer la situation qui prévaut dans les concessions de zones de chasse. Nous avons été surpris agréablement par la nomination d’un chef d’état-major à l’Est qui peut décider à partir de cette zone, après l’une de nos rencontres avec d’abord le chef de l’Etat puis le ministre en charge de la défense. Il faut qu’on nous débarrasse des djihadistes pour nous permettre de nous mettre au travail pour compenser les pertes financières subies durant toutes ces années.
S : Quel avenir pour la chasse au Burkina Faso face à l’insécurité grandissante ?
F.A.K. : Nous sommes confiants. Nous ne dormons pas du tout et nous allons toujours aller vers qui de droit pour qu’on nous rétablisse dans nos droits. Car l’on ne peut pas investir des milliards de F CFA et faire rayonner le Burkina Faso à l’étranger et se retrouver dans cette situation difficile sans secours. Nous avons foi que l’Etat ne nous a pas abandonnés parce que nous avons même la zone présidentielle avec nous. Le président du Faso a même demandé une fusion de cette zone qui a été aussi vandalisée avec les nôtres pour créer une seule entité afin de trouver des solutions idoines. Dans cette période de pauvreté, si l’on arrive à ramener les concessionnaires dans leurs zones de chasse, ils vont diminuer d’au moins 60% le taux de pauvreté dans ces localités et ramener si possible certains de nos pisteurs qui ont rejoint les «forces du mal ».
Interview réalisée par Boukary BONKOUNGOU