Gestion de la crise sécuritaire : le Centre-Nord sur la voie des mécanismes endogènes

Selon la tradition, le pardon des forgerons ne se refuse pas sous peine de malheur.

Depuis le drame de Yirgou, en janvier 2019, les religieux et coutumiers de la région du Centre-Nord développent des initiatives endogènes pour une cohésion sociale entre les communautés. Entre prières, lecture de versets coraniques et bibliques, jeûnes et sacrifices,des leaders d’opinions implorent Dieu et les mânes des ancêtres pour le retour de la paix au pays des Hommes intègres.

Kaya, ville hospitalière ! Une nouvelle journée pleine d’espoir vient de se lever dans ce « centre d’accueil » des personnes déplacées internes. En cette matinée du samedi 29 juillet 2023, le ciel menace de vider son contenu sur la capitale régionale du Centre-Nord. Nous sommes à la place du 11-Décembre, à un jet de pierre de l’aérodrome. 8h10mn !

En dépit de la fraicheur matinale, résidents et ressortissants de la région, toutes obédiences religieuses et ethniques confondues, prennent d’assaut l’aire de défilée de la place. Objectif : assister aux rites religieux et traditionnels de la journée du vivre-ensemble au Centre-Nord. Coutumiers et religieux ont décidé d’unir leurs forces pour implorer Dieu et les mânes des ancêtres pour le retour de la paix dans la région et au Burkina.

Au menu : prières, bénédictions, sacrifices…le tout, sous la houlette du Dima de Boussouma, le Naaba Sigri. Des membres du gouvernement et leaders de la société civile assistent à ce rituel. Entre lecture de versets coraniques et bibliques et bénédictions, les religions révélées ouvrent le bal de la série d’invocations.

Ainsi, au nom de la communauté musulmane, le grand imam de Kaya, Abdoul Samad Ouédraogo, par ailleurs président régional de la Fédération des associations islamiques du Burkina (FAIB) du Centre-Nord, investit le pupitre, boubou et bonnet blanchâtres brodés dans un style arabe. Le guide spirituel prêche que la recherche quotidienne de la paix est une obligation pour tous les fidèles musulmans, en ce sens que « Islam », renvoie à paix. De ce fait, il invite les Burkinabè à cultiver la paix dans leurs cœurs et leur environnement.

Abattre les murs de la haine

La communauté peuhle a fait ses sacrifices pour le retour de la paix au Centre-Nord.

A l’image d’un sermon de vendredi, Abdoul Samad Ouédraogo marque les esprits et touche les cœurs des participants avec les thèmes abordés : la tolérance religieuse, l’amour du prochain… Le tout couronné par une bénédiction : « doua ». Dans sa soutane blanche, croix au cou, le cardinal Philippe Ouédraogo, archevêque métropolitain de Ouagadougou à l’époque, paraphrasant le Pape François, supplie les Burkinabè d’abattre les murs de la haine, de la stigmatisation, de l’éloignement, du mépris et de l’égoïsme qui entravent le vivre-ensemble pour bâtir des ponts de réconciliation, de justice et de paix.

Il rafraîchit la mémoire de la foule sur l’amour avec le message « fort » de Martin Luter King adressé aux Blancs, dans le contexte de l’Apartheid : « Vous pouvez nous honnir, nous jeter en prison, même nous tuer. Mais vous ne pouvez jamais nous empêcher de vous aimer ». Parce que, soutient-il, l’amour est une valeur cardinale de l’Eglise catholique et son commandement dit : « Aime ton prochain comme toi-même ».

Au nom de la communauté protestante, le pasteur Théodore Sawadogo, président provincial de la Fédération des églises et missions évangéliques (FEME) du Sanmatenga, fonde son culte sur l’entente, le pardon, l’estime, le respect d’autrui, l’entraide, la tolérance, l’acceptation des différences et l’écoute. Evoquant les saintes écritures (Romains 12 ; 18 : « S’il est possible, autant que cela dépend de vous, soyez en paix avec tous les Hommes»), le pasteur prie chaque Burkinabè de faire triompher le mal par le bien.

« Travaillons à la guérison des cœurs. La parole est une force qui peut donner ou ôter la vie. Que chacun fasse de sa bouche, un canal de vie…», évangélise-t-il. Le soleil est déjà presqu’au zénith ! Le ciel se dégage. Une pause musicale adoucit les mœurs. Le titre « La Paix» de l’artiste-musicienne burkinabè, Toussiane Julienne Zinsoné alias Toussy, tient le public en haleine. «Bâtissons la paix.

Donnons, la joie. Pardonnons de tout cœur. Soyons unis. Abandonnons nos guerres, égoïsmes et intérêts pour qu’il y ait plus de joie. Consolons ceux qui pleurent. Plus de guerre en Afrique. Autorités administrative et politique, autorités religieuse et coutumière, travaillons dans la justice pour bâtir la paix…». Ces notes musicales de Toussy plantent le décor des rites traditionnels.

Anéantir l’ennemi

Le Dima de Boussouma, le Naaba Sigri invite les Burkinabè au
dialogue et à la tolérance.

Le « bendré » et le « lounga » crèvent les tympans. Tous les regards sont désormais tournés vers les chefs forgerons, chefs de terre et chefs peulhs du canton de Louda, dans le royaume de Boussouma. Traditionnellement, la place du 11-Décembre appartient au canton de Louda. Avec leur statut d’aîné et de «premier homme sur terre », les forgerons ouvrent le bal des sacrifices.

Ils s’installent sur l’espace aménagé avec la terre pour la circonstance. Cheveux et barbe blancs, teint noir et la soixantaine bien sonnée, Rimmèba Bamogo dirige le rite. Les incantations se font avec les outils de la forge : zãnré (marteau), kiisgré ou koudgou (enclume), laaré (hache), koutoaga (pioche), yuugo (pince). Un silence de cimetière envahit la place. Dans son boubou en tissu dentelle fleuri jaunâtre, doublé d’un manteau blanchâtre, le chef forgeron saisit le marteau et il tape contre l’enclume à chaque mot prononcé.

« Nous prions que l’écoulement de sang cesse au nom de l’enclume et du marteau de la forge, des chefs forgerons, des mânes des ancêtres et du tiibo (hôtel sacré) pour que l’on puisse anéantir l’ennemi et relever le Burkina», implore-t-il. Pour boucler le sacrifice, Rimmèba Bamogo tape le marteau contre l’enclume à trois reprises.

Dans leur adresse aux mânes des ancêtres, les forgerons lancent ainsi la mort, dans un délai d’une semaine, sur toute personne qui est ou nourrit la volonté d’être en intelligence avec les groupes armés. Selon eux, tout contrevenant verra sans doute la colère des « Dieux » s’abattre sur lui.

Maîtres des terres, gardiens des fétiches ou encore chefs des coutumes, les yonyonsés entrent également dans la danse. Généralement, ils interviennent sur les questions liées au foncier. Mais, étant donné que la terre leur appartient selon la tradition et le terrorisme se mène sur « leur terre », ils disent avoir le devoir moral d’apporter leur pierre à la « reconstruction » de la paix dans le royaume.

La grâce des ancêtres

Majoritairement en uniforme pagnes traditionnels de couleur bleue, pioches, sabres et

Le chef peuhl de Korko approuvant son engagement pour
promouvoir la paix lors de la journée de réconciliation.

cannes en main, les maîtres du vent mènent les sacrifices sous la conduite de leur chef de terre, le loud-naab-tingsob-kièma. Calebasse d’eau dans la main gauche et pioche dans la droite, il verse l’eau sur le sol à trois reprises en tapant régulièrement la tête de la pioche au sol accompagné d’incantations.

« Si, l’ennemi se désaltère avec l’eau de la terre et marche sur elle pour chercher sa pitance quotidienne, s’il se nourrit des produits agricoles et fruitiers de cette même terre, mais perdure dans la traitrise, qu’il n’excède pas une semaine », profère le sage de Gorodji. Pour lui, le sang a trop coulé sur leurs terres.

C’est pourquoi, ils implorent ses ancêtres et les fétiches pour que ces sacrifices mettent un terme aux tueries. Après les yonyonsés, la communauté peuhle. Amadoun Diallo représente son père, le chef peuhl du canton de Louda frappé par l’âge (104ans). La communauté vit en parfaite symbiose avec les autres communautés dans le royaume de Boussouma depuis 500 ans.

Pour intercéder auprès de leurs ancêtres, les peuhls utilisent une lance de combat, un pilon, une calebasse, un œuf et du lait, les objets constitutifs de la paix. La lance est fixée au sol avec le bout couvert d’une rafle de maïs soutenue par un pagne traditionnel blanc dirigé vers le ciel. Le pilon est soigneusement emballé d’un tissu percale blanche. Filiforme, teint noir et vêtu d’un boubou à la couleur de guépard accompagné d’un bonnet vert-marron fixé solidement sur sa tête, Amadoun Diallo s’accroupit.

Il sort de son sac noir, une calebasse et du lait soigneusement conditionné dans un sachet tout aussi noir. Le lait est ensuite renversé dans la calebasse. Amadoun formule des vœux. « Du levant au coucher du soleil. Du nord au sud. Des sept cieux aux sept terres. A partir de ce jour 29 juillet, la communauté peuhle implore Dieu, la terre sur laquelle nous sommes assis, au nom des fétiches, que celui qui commettra un mal à autrui, n’excède pas 7 jours. Qu’il s’agit de Poko ou Raogo. Que les devanciers l’attrapent », lance le sage à la barbichette blanche. Le lait est versé au sol et l’œuf écrasé avec le pilon. Quelques pièces de monnaie sont jetées à terre comme offrande. Des acclamations accompagnent l’acte posé.

Signer pour la stabilité sociale

Le cardinal Philippe Ouédraogo et les autorités religieuses et coutumières se sont engagés, sur ces pagnes de la paix, pour la stabilité sociale dans leurs communautés.

Pour joindre l’acte à la parole, des leaders religieux et coutumiers apposent leurs signatures sur un pagne de la paix du Groupe d’actions pour la promotion, l’éducation et la formation de la femme et de la jeune fille (GAPEF). Selon la présidente du GAPEF, Justine Kélène, la couleur blanche du pagne traditionnel est utilisée comme une preuve de l’engagement du signataire à toujours œuvrer pour la paix et la stabilité sociale.

« Si un jour un des signataires veut déclencher un conflit, on l’amène chez le roi pour lui montrer sa signature ou celle de son père ou encore de ses aïeuls ayant pris l’engagement de rester toujours un modèle de paix et d’entente. Il sera obligé d’abandonner son projet funeste s’il est de bonne moralité », explique-t-elle.

Ce pagne est le deuxième après celui de Korko (Barsalogho) lors de la journée de la réconciliation tenue, le 9 février 2019, signifie Mme Kélène. Après le drame de Yirgou, la médiation de trois mois entreprise par son association avait abouti à une réconciliation entre les communautés mossi et peuhle et matérialisée par la reconstruction de leurs concessions détruites, selon Mme Kélène.

A entendre la présidente du GAPEF, la femme doit être au centre de toute médiation, de la cellule famille à la communauté. « Dans la société, la femme est comme le cou d’une tête. Sans le cou, elle ne tourne pas. La femme n’est pas la tête qui est l’homme. Elle est stratège et doit conseiller, ramener la paix. La preuve, la femme a toujours son mot à dire dans les sacrifices menés », insiste-t-elle.

La femme, actrice de paix

Figure de paix et de cohésion sociale et ambassadrice du pardon, la wem-naaba du royaume de Boussouma, rencontrée le 18 octobre 2023, au palais royal, confirme les propos de Justine Kélène. Pour elle, il n’y a pas de tradition sans la femme surtout lorsqu’il s’agit de bonnes œuvres. « Lors des sacrifices, elles sont arrêtées derrière les hommes, habillées en pagnes traditionnels tenant leurs petites calebasses.

Elles tapotent ces calebasses contre leurs paumes. Ce geste permet d’acheminer les vœux auprès des ancêtres qui, à leur tour, les transmettent à Dieu, le chef suprême », enseigne l’ambassadrice du pardon. A l’entendre, l’implication « active » de la femme dans la gestion de la crise permettra au Faso de retrouver sa paix d’antan. Au nom des ancêtres, des cinq Dima du Burkina Faso, de Naab-Tiibo (chef de l’hôtel sacré), de l’humanité, la wem-naaba demande à tous les Burkinabè de se réconcilier pour soulager la souffrance des veuves et orphelins.

Elle supplie également les femmes à revoir l’éducation de leurs enfants en mettant l’accent sur les valeurs culturelles positives, notamment le respect envers leurs parents biologiques, l’aîné, les personnes âgées. Après Kaya, des journées du genre ont été organisées à Boulsa, le 19 août 2023 et à Kongoussi, le samedi 26 août, avec le même objectif le retour de la paix. Depuis le drame de Yirgou, les religieux et coutumiers du Centre-Nord font bloc autour d’un idéal commun : la cohésion sociale.

Ainsi, des veillées de prières et des jeûnes périodiques, des sacrifices et des dons de vivres aux personnes vulnérables sont régulièrement organisés. « Dans nos prêches, nous rappelons aux populations la foi divine et la culture de l’amour du prochain, de la tolérance religieuse, de la paix, du pardon, du vivre-ensemble. Nous distribuons des corans aux populations», confirme le grand imam de Kaya, rencontré le 3 octobre 2023.

L’Eglise protestante, elle, ajoute le pasteur Sawadogo, met l’accent sur des séminaires de prise en charge psychologique et l’accompagnement des femmes en activités génératrices de revenus. Quant aux coutumiers, ils disent multiplier les sacrifices. Rimmèba Bamogo

L’ambassadrice du pardon, le wem-naaba du Dima de Boussouma, exhorte les femmes à s’impliquer activement dans la recherche de la paix.

nous confie, le 9 octobre 2023, au palais royal du canton de Louda, que des promesses ont été tenues sur la forge. « Au lendemain de cette journée, avec une calebasse d’eau, j’ai promis aux dieux, un bouc et un coq rouges en guise de remerciement, si notre royaume retrouve la paix », avoue-t-il. Mêmes promesses pour les chefs de terre sur leurs fétiches.

« Des gens qui nous stigmatisaient ont arrêté »

Ces mécanismes endogènes de gestion de la crise sont positivement appréciés par les traditionnalistes. Le Pr Albert Ouédraogo, spécialiste de la littérature orale africaine estime que les Burkinabè sont capables de résoudre n’importe quelle crise à travers leurs ressources endogènes. La preuve, soutient-il, le Burkina Faso a toujours montré sa capacité de résilience extraordinaire depuis sa création jusqu’à sa reconstitution en passant par sa dissolution et ses divers coups d’Etat et insurrections populaires.

Pour lui, les religieux et coutumiers sont indispensables dans la gestion de la chose publique, « en témoigne leurs nombreuses sollicitations dans la résolution des différends politiques ». Le président de l’Association culturelle passaté (ACP), Jacob Bamogo, est convaincu que ces sacrifices ouvrent la porte d’un lendemain meilleur. De ce fait, il invite l’Etat à exploiter ces forces endogènes pour la résolution de cette crise. « Depuis la nuit des temps, Dieu a choisi les forgerons et chefs de terre pour veiller à la stabilité de l’humanité», conte M. Bamogo.

Trois mois après la tenue de ces journées rituelles, les acteurs tirent un motif de satisfaction. « Il y a au moins trois familles peuhles qui fréquentent mon église. Une d’entre elles prenait du temps pour venir prier. Mais, depuis cette journée, cette famille ne manque plus à l’église. Elle vient et partage le culte avec les autres fidèles. Je pense que cet évènement a eu des échos dans les cœurs de certaines personnes », estime le pasteur Théodore Sawadogo, le 5 octobre 2023.

Pour Mahamadou Diallo, ces sacrifices ont mis fin aux débats sur la stigmatisation à Kaya. « Depuis ce rite, beaucoup de gens qui nous stigmatisaient ont arrêté leurs actes de division, puisqu’ils ont compris que ce que nous avons fait est un acte fort en terme de tradition », se réjouit-il. Ce qui a fait renaître, selon lui, le respect mutuel entre les peulhs, mossis et autres ethnies.

Avec ses canaux d’informations, le chef de canton du Sanmatenga, le Naaba Koom ne dit pas le contraire. Pour lui, cette union sacrée entre filles et fils de la région fait que les gens s’acceptent et collaborent davantage, permettant ainsi de recoller le tissu social. D’où la nécessité, foi du grand imam de Kaya, de pérenniser ces initiatives endogènes afin de purifier les cœurs et esprits des populations. Le Dima de Boussouma, le Naaba Sigri, appelle lui aussi les Burkinabè à promouvoir la paix pour que les ancêtres puissent les épauler pour le retour de la paix.

Emil Abdoul Razak SEGDA

Segda9emil@gmail.com

 

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