Lutte contre le Sida : « Sans la société civile, il est difficile d’atteindre les résultats en matière de riposte… », Bambinkèta Moussa Ouédraogo

Bambinkèta Moussa Ouédraogo : « le défi reste la disponibilité des offres de services et l’adhésion des malades ».

A la faveur de la Journée mondiale de lutte contre le Sida, célébrée chaque 1er décembre, le chef du département chargé du fonds de solidarité envers les malades et les orphelins du SIDA au sein du Secrétariat permanent du Conseil national de lutte contre le SIDA et les infections sexuellement transmissibles Bambinkèta Moussa Ouédraogo a accordé un entretien à Sidwaya, le mercredi 29 novembre 2023, à Ouagadougou. Pour l’occasion, il a fait l’état des lieux de la maladie, des actions menées et des perspectives de lutte.

Sidwaya (S) : Le Burkina Faso va célébrer cette année, la journée mondiale de la lutte contre le SIDA sous le thème : « Renforcer le leadership communautaire pour mettre fin au SIDA ». Expliquez-nous la portée de ce thème ?

Bambinkèta Moussa Ouédraogo (B.M.O.) : Un thème a toujours été proposé au niveau international et c’est à partir de ce thème que chaque pays, en fonction de ses réalités effectives propose quelque chose. Je rappelle que le thème international est : « Confier le leadership aux communautés ». Le thème mondial pour l’édition 2023 interpelle surtout sur la responsabilité de tout un chacun par rapport au leadership de la société civile.

Pour ce qui est du cas précis du Burkina Faso, « Renforcer le leadership communautaire pour mettre fin au SIDA » comme vous l’avez tantôt relevé, s’inspire effectivement de ce thème-là. Et pour nous, il se justifie par le fait qu’en termes de responsabilité, la société civile joue déjà un rôle important au niveau du Bukina Faso en matière de lutte contre le VIH. Et cette année, on veut effectivement renforcer ce leadership-là pour leur permettre effectivement de jouer pleinement ce rôle. Car, sans la société civile, il est difficile d’atteindre les résultats en matière de riposte contre le VIH.

S : La prévalence est de 0,6% au Bukina Faso avec des disparités. Donnez-nous quelques détails et ce que vous faites pour endiguer la pandémie ?

B.M.O. : Effectivement, quand on regarde en termes de résultats, aujourd’hui, on est à un taux de 0,6%. Ce qui veut dire que quand on prend 100 personnes, on peut ne pas avoir une séropositive. Il faut peut-être regrouper 200 personnes pour espérer avoir une personne infectée.

Pour ce faire, en termes de résultats, on peut dire que c’est encourageant, mais on ne doit pas se tromper parce qu’on a des groupes, malheureusement, qui portent aujourd’hui l’épidémie et qu’on appelle des populations clé. Ces populations sont au sein de la population générale, soit ce sont des groupes socioprofessionnels, soit ce sont des groupes en fonction de leur comportement, qui fait qu’au sein de ces groupes, le taux de séroprévalence est au-delà de cette prévalence nationale.

Si fait qu’en termes d’actions, il faut qu’on renforce effectivement les activités de prévention, les activités de dépistage au sein de ces groupes pour pouvoir endiguer réellement le phénomène. Autrement dit, si on les met de côté, le VIH peut quitter ce groupe qu’on dit restreint pour aller vers la population générale. C’est pourquoi, les interventions doivent logiquement prendre en compte l’ensemble de la population en vue de ne laisser personne de côté.

S : Présentez-nous la politique du Burkina Faso en matière de prise en charge médicale des PVVIH ?

B.M.O. : A ce niveau, toute la politique est construite autour d’un document qu’on appelle le cadre stratégique national de lutte contre le VIH, qui a été revu pour la période 2024-2026. C’est à l’intérieur de ce document de référence que des orientations sont données en matière d’accompagnement de la riposte. Dans un premier temps, on a tout ce qu’il y a comme actions de prévention qui rentre dans l’impact.

Ensuite, nous avons le deuxième impact qui prend en compte la question de la prise en charge médicale. A ce niveau, c’est un ensemble de services qui est offert aux personnes qui sont déjà infectées (adultes et enfants) en vue de réduire tout ce qu’il y a comme risque d’infection à partir de ces personnes déjà infectées. Il faut également améliorer leur qualité de vie à partir de l’offre des services de soins à leur endroit.

S : Présentez-nous les objectifs « 95-95-95 » qui semblent nouveaux dans le jargon de la lutte contre le SIDA ?

B.M.O. : Ce sont des objectifs que l’ONUSIDA a fixé. Sur la base de ces objectifs, chaque pays a essayé de l’épouser pour en faire des objectifs nationaux. Pour ce qui est du Bukina Faso, quand on prend le premier 95, c’est le nombre de personnes normalement qui doivent connaître leur statut sérologique. Et en termes d’estimation, nous attendons que 78 511 personnes connaissent leur statut sérologique.

Aujourd’hui, quand on prend pour ce premier 95, nous sommes à 89%. Ce qui veut dire qu’il reste encore un gap à combler. Mais on peut déjà se satisfaire par rapport à ce résultat puisqu’en réalité, nous devons travailler à pouvoir effectivement identifier toutes les personnes potentiellement infectées dans la population afin d’atteindre par exemple les 95%. Le deuxième 95 est constitué normalement des personnes qu’on a dépistées. 95% de ces personnes vont être effectivement sous traitement antirétroviraux (ARV).

A ce niveau, on est également à 89% parce que l’ensemble des personnes que nous avons dépistées séropositives sont systématiquement mises sous traitement. Voilà pourquoi on a effectivement le même taux. Maintenant pour le dernier 95, c’est pour apprécier la qualité du traitement. Pour l’ensemble des PVVIH qui sont sous le traitement ARV, on doit pouvoir atteindre en termes de charges virales supprimées 95%. Autrement dit, la probabilité par exemple que ces personnes infectées contaminent une nouvelle personne est pratiquement nulle. Mais pour le Burkina Faso, nous sommes actuellement à 49%.

Ça veut dire que ces concernées ont une charge virale indétectable. C’est pour cela qu’il y a vraiment des efforts à faire pour pouvoir faire augmenter cette proportion pour vraiment atteindre les 95%. Cela demande beaucoup d’efforts parce qu’au-delà, il y a aussi l’accompagnement ou l’acceptation du malade dans ce processus. Si le patient lui-même ne coopère pas, c’est-à-dire que si le patient n’est pas observant par exemple, c’est difficile pour nous d’atteindre ce taux de 95%. Voici réellement ce qu’on peut dire par rapport à ces trois fois 95.

S : Est-ce que le Burkina Faso arrive à prendre en charge médicalement tous les PVVIH ?

B.M.O. : Le principe est le test and treat. Si le premier examen est positif, il faut encore soumettre la personne à des examens à deux autres niveaux pour s’assurer que la personne est infectée avant de commencer le traitement. Sinon, on ne peut pas le faire dès le premier examen. Donc logiquement, l’ensemble des personnes qui ont été testées séropositives au VIH sont systématiquement mis sous traitement ARV avec toutes les mesures d’accompagnement nécessaires.

Il peut y avoir des cas résiduels, où certaines personnes sont infectées et le temps pour les mettre dans le circuit du traitement, on ne les retrouve pas. Il faut effectivement procéder à leur recherche en vue de les retrouver et les mettre sous le traitement qu’il faut.

S : Quels sont les grands défis pour aboutir à la suppression de la charge virale des patients mis sous traitement ?

B.M.O. : Le défi reste la disponibilité des offres de services, mais également travailler à ce qu’il y ait une adhésion de l’ensemble des malades parce que la question est complexe en termes de services à offrir. Même si on a le médicament et l’examen pour le suivi biologique, il faut la collaboration, la coopération, la persuasion aussi du malade pour l’amener à s’inscrire dans cette dynamique de la riposte.

S : Parlez-nous aussi du rôle des acteurs dans la lutte contre le VIH pédiatrique ?

B.M.O. : Nous avons beaucoup d’attentes vis-à-vis de ces acteurs parce que jusque là, la prise en charge du VIH pédiatrique reste le ventre mou de notre système de lutte contre le VIH. Régulièrement, il y a des campagnes de dépistage qui sont organisées pour permettre à l’ensemble des acteurs qui interviennent dans ce domaine précis des enfants de pouvoir offrir le service nécessaire en vue de booster les différents indicateurs qui sont à la traîne.

S : De plus en plus, on parle de la transmission mère-enfant, quels sont les avancées à ce niveau ?

B.M.O. : Je disais tantôt qu’il y a un effort important qui est attendu dans ce domaine. Par exemple, on attendait 3 182 enfants pour pouvoir dépister et on est autour de 2613. L’ensemble de ces 2613 enfants devraient être sous traitement. Malheureusement, on est seulement à 43%. Lorsque que vous considérez la charge virale comparativement aux adultes, logiquement on devrait pouvoir être autour de 1 957 enfants dont les charges virales sont supprimées et là-bas, on est autour de 32%. C’est-à- dire qu’en termes d’efforts, il nous faut encore travailler pour améliorer l’ensemble de ces indicateurs parce qu’on n’est même pas à 50%.

S : Il y a des innovations dans le traitement VIH, par exemple la PREP. Le Burkina est-il bien avancé dans son opérationnalisation ?

B.M.O. : Pour ce qui est de la PREP, c’est une nouvelle approche et l’ensemble des efforts sont faits aujourd’hui, pour nous amener à réussir cette nouvelle approche. On est convaincu que les mesures mises en œuvre permettront d’atteindre des résultats probants.

S : De moins en moins, on parle maintenant du SIDA. Qu’est-ce qui explique cela ?

B.M.O. : On peut aussi dire qu’on est plus ou moins victime de notre propre succès. En réalité, quand vous regardez au début de la lutte, il y avait beaucoup de campagnes de sensibilisation. On avait des images de personnes grabataires plus ou moins squelettiques qui interpellaient même dans notre environnement qu’il y a quelque chose. Et, de plus en plus, on ne voit plus ces types d’images circuler.

Ou même dans la rue, quand vous sortez, vous ne pouvez plus, par exemple, à vue d’œil, supposer que telle ou telle personne est malade. Donc, tout ce qu’on a comme résultat a dû freiner. J’allais dire même les partenaires. Puisqu’en réalité, lorsque le taux de séroprévalence est élevé, tout le monde accourt en se disant qu’il faut agir pour sauver. Aujourd’hui, nous sommes à 0,6%.

Alors qu’en termes d’efforts, c’est encore plus difficile. Je disais que, aujourd’hui, pour identifier un PV VIH, il faut au moins dépister par exemple 200 personnes. Sinon, vous ne pouvez pas trouver une seule personne. Si vous voulez dépister 200 personnes pour trouver une personne, sur le plan financier, vous voyez ce que ça peut coûter. Comparativement à un pays où la prévalence est à 10%. Je dis que là-bas, sur 100 personnes, vous pouvez facilement identifier les 10. Pour travailler à améliorer les indicateurs actuels, il faut plus d’efforts mais également plus de ressources.

S : Avez-vous toujours l’accompagnement nécessaire des partenaires techniques et financiers dans vos programmes de lutte ?

B.M.O. : Je pense qu’on va profiter pour remercier l’ensemble des partenaires de Burkina Faso qui ont toujours accompagné le pays dans la riposte au VIH. Mais nous reconnaissons qu’actuellement, les partenaires ne sont plus aussi nombreux qu’avant. Nous allons vraiment saluer ici l’effort de l’Etat burkinabè qui contribue pour une très grande partie pour ce qui est des ressources de lutte contre le VIH aujourd’hui.

Nous avons des partenaires comme le Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme mais également, on a des partenaires bilatéraux qui accompagnent de temps à autre pour la mise en œuvre de certaines activités. Mais, nous reconnaissons que les priorités probablement ont changé même au niveau international.

Il y a les différentes crises qui ont secoué l’ensemble des continents, si fait qu’en termes de priorités, ce n’est pas trop évident. Et vous avez vu par exemple le cas de la COVID-19 qui est venue chambouler beaucoup d’organisations, de systèmes qui étaient mis en place.

S : Pensez-vous que l’objectif d’éliminer le SIDA d’ici à 2030 est réalisable au Burkina Faso ?

B.M.O. : Nous travaillons à cela, mais tout dépendra de plusieurs facteurs internes, mais également externes, que nous ne pourrons probablement pas maîtriser. Nous voulons mettre fin au SIDA. On suppose qu’avec tout ce qu’on a comme effort, si on arrive par exemple à améliorer les résultats au niveau de la charge virale, ça va changer les choses dans ce sens-là.

S : Etes-vous optimiste quant à la découverte, les années à venir d’un vaccin contre le SIDA ?

B.M.O. : Là également, c’est comme on l’a dit, on espère toujours. En réalité, je crois que les chercheurs sont à la tâche. Et aujourd’hui, quand on regarde par exemple ce qu’on a comme résultat au niveau du traitement, je pense qu’on peut également espérer pour un vaccin dans les années à venir.

Interview réalisée par Evariste YODA

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