La région des Cascades, avec ses 13 forêts classées, est une zone riche en faune sauvage au Burkina Faso. Cette abondance naturelle en fait un territoire propice à la chasse, où plus de 3 000 chasseurs traditionnels, communément appelés « dozos », exercent leur activité depuis des décennies. Du fait de la détérioration de la situation sécuritaire, la chasse n’a pas été officiellement ouverte dans la région ces deux dernières années. Certains dozos ont donc échangé leurs fusils de chasse contre des kalachnikovs pour participer à la lutte contre le terrorisme. Reportage !
Jeudi 11 mai 2023. Il est environ 9 h à Banfora, chef-lieu de la région des Cascades. Ici, comme partout au Burkina Faso, l’inquiétude et l’espoir ardent de triompher du terrorisme rythment le quotidien. C’est aussi dans cette atmosphère d’incertitude que vivent les chasseurs encore appelés dozos des Cascades, dont la passion a été brutalement interrompue par l’insécurité qui sévit dans la zone. Diao Lassina Ouattara est le Secrétaire général (SG) des dozos de la région des Cascades. Le chasseur en chef nous accueille chaleureusement à son domicile au centre-ville de Banfora.
Les murs de la maisonnette jouxtant le bâtiment principal sont ornés de trophées de chasse, de cornes d’antilopes et de peaux de félins, témoins de ses exploits et de sa relation étroite avec la nature. Des calebasses par-ci, des cauris par-là, nous nous installons sur des chaises en bois, et le dozo raconte sa passion pour la chasse. « La chasse est un héritage de nos ancêtres », lance-t-il. Ses yeux pétillent lorsqu’il évoque les moments passés à traquer les animaux, la patience et l’habileté nécessaires pour réussir une bonne chasse.
Mais, cet enthousiasme laisse place à la mélancolie lorsqu’il évoque la non ouverture de la chasse dans la région, par les autorités en charge de l’environnement, depuis deux ans, en raison des attaques terroristes dans les forêts. Comme Diao Lassina Ouattara qui a intégré la confrérie des Dozos en 2002, pour Drissa Traoré, chasseur dozo originaire de Niangoloko à 45 km de Banfora que nous avons rencontré chez le SG, la chasse est bien plus qu’un loisir.
Les chasseurs engagés contre le terrorisme
Selon Drissa Traoré, les chasseurs ont été directement touchés par l’insécurité. « La confrérie dozo a été créée par nos ancêtres qui sont à l’origine de la fondation de plusieurs villages. C’est un héritage de nos ancêtres. Nous imitons leurs pratiques, mais l’insécurité nous empêche de suivre cette tradition », ajoute-t-il. Déjà, signifie le SG des dozos des Cascades, Diao Lassina Ouattara, plusieurs actions ont été entreprises par les chasseurs auprès des autorités, à savoir une proposition de mesures de sécurité renforcées qui permettraient de faire face à l’insécurité dans la région des Cascades.
Pour prêter main forte aux forces combattantes contre le terrorisme, renchérit M. Ouattara, plusieurs dozos ont échangé leurs fusils contre des Kalachnikovs, en s’enrôlant comme
Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). « Plusieurs dozos se sont enrôlés comme VDP, mais parmi eux, certains veulent garder le titre de dozo tout en continuant de participer à la lutte contre le terrorisme.
A défaut d’un salaire, ces supplétifs de l’armée doivent être accompagnés », suggère-t-il. Diao Ouattara se demande donc à quand la reprise de ce qui représente leur passion, leur activité et leur vie, parce que l’insécurité a privé les chasseurs de leur connexion profonde avec la nature. La décision du ministère en charge de l’environnement de ne pas ouvrir la chasse vise, certes, à assurer la sécurité des populations locales, mais M. Ouattara insiste qu’elle a eu un impact dévastateur sur la communauté des chasseurs. Pour lui, l’activité était une source de subsistance pour de nombreuses familles locales qui se nourrissaient du gibier.« Economiquement, l’insécurité a contribué à la hausse du prix de la viande sauvage, car beaucoup de dozos sont préoccupés par la défense du pays », confie-t-il.
Les restaurants sans « viande de brousse »
Facoly Koné, un autre chasseur embouche la même trompette. Celui qui chassait régulièrement des antilopes, des phacochères et des lièvres, qu’il revendait sur les marchés l
ocaux, raconte que la chasse était sa principale source de revenus. Depuis le début de l’insécurité, il a dû trouver d’autres moyens pour subvenir aux besoins de sa famille.
« Maintenant, nous sommes contraints de consommer la viande des animaux domestiques pourtant nous ne sommes pas habitués à cela », regrette-t-il. Avec l’interdiction de la chasse dans la région des Cascades, de nombreux acteurs économiques ont été touchés, notamment les vendeurs de viande d’animaux sauvages. C’est le cas de Marc François Paley, propriétaire d’un restaurant. Major de la gendarmerie à la retraite, M. Paley parle avec amertume de son activité.
« Avant, j’avais beaucoup de clients qui venaient pour goûter à la viande sauvage. C’était une spécialité de mon restaurant et cela faisait partie de mon identité culinaire. Mais
maintenant, il est difficile d’en trouver », témoigne le retraité, avec regret. Il explique que l’interdiction de la chasse a eu des répercussions importantes sur les stocks de viande de brousse dans la région. Les chasseurs ne peuvent plus pratiquer leur activité en toute sécurité, ce qui a induit une baisse de l’offre sur le marché, foi de M. Paley.
La chasse sportive à l’arrêt
En plus de la restauration, le tourisme de chasse est à l’arrêt. Au siège de l’Association de gestion des ressources naturelles et de la faune / Comoé-Léraba (AGEREF/CL), situé au cœur de Banfora, le bâtiment est sobre, mais des photographies, grand format de chasses, ornent les murs, rappelant les moments de gloire de l’organisation.
Yaya Ouattara, chargé des aménagements et du suivi-évaluation au sein de l’association, partage avec nous, la triste réalité de l’arrêt brutal du tourisme de chasse dans les Cascades. « Avec ce contexte sécuritaire difficile, la gestion des 13 forêts classées que compte la région des Cascades devient de plus en plus compliquée », relate-t-il avant d’ajouter que le campement de chasse situé à Folonzo (102 km de Banfora) a été pillé et incendié par des hommes armés.
Il confie que les attaques terroristes ont entraîné un arrêt drastique des visiteurs, tant nationaux qu’étrangers, compromettant ainsi la pérennité de cette activité pour l’économie locale. Pendant de nombreuses années, explique-t-il, la région accueillait par an, une dizaine de chasseurs blancs, attirés par la richesse de la faune et la beauté des paysages. Ces chasseurs venant principalement d’Europe et d’Amérique du Nord, poursuit-il, dépensaient des « sommes considérables » pour participer à des safaris organisés par l’AGEREF/Comoé-Léraba.
Selon lui, ces safaris de chasse sportive étaient un moteur économique pour la région. « Nous faisions appel à des guides locaux, des traqueurs et des équipes d’organisation, créant ainsi des emplois et générant des revenus pour les communautés locales. Les hôtels, les restaurants et les commerces locaux bénéficiaient également de cette activité florissante », rappelle Yaya Ouattara. Depuis deux ans donc, marmonne-t-il, cette source de revenus a tari. « L’insécurité est la première contrainte que rencontre cette activité avec l’arrêt des aménagements et bien d’autres travaux dans certaines communes qui sont inaccessibles », ajoute M. Ouattara.
Un trésor à protéger
Pour Yaya Ouattara, il est tout de même important de continuer à sensibiliser la population locale à la préservation de la faune et à l’adoption de pratiques de chasse durables. Il insiste sur le fait que la chasse sportive peut être un outil de conservation efficace lorsqu’elle est pratiquée de manière responsable, en suivant les réglementations et en mettant en place des mesures de préservation des espèces.
« Nous avons formé des jeunes dans certains villages qui surveillaient les zones et alertaient les forestiers en cas de pratique illégale dans les forêts comme la coupe abuse du bois, l’orpaillage et le braconnage », dit-il, avant de poursuivre que le groupe ne fonctionne plus vraiment. Vendredi, 12 mai 2023. Cap sur la Direction régionale en charge de l’environnement des Cascades.
Dans le bureau du chef de service des forêts et de la faune, Kouliga Yaméogo, les murs sont ornés de cartes et de photographies représentant la diversité de la faune locale. M. Yaméogo commence par nous expliquer les raisons de l’interdiction de la chasse dans la région des Cascades. Il souligne que la priorité du ministère de l’Environnement, de l’Energie, de l’Eau et de l’Assainissement est d’assurer la sécurité des populations locales face aux attaques terroristes qui ont touché les forêts environnantes.
« Plusieurs raisons expliquent cette décision à savoir l’occupation des forêts par des individus armés, d’une part et, d’autre part, par la fuite des villageois de leurs localités », nous confie-t-il. Cependant, il est conscient des conséquences néfastes de cette interdiction sur la communauté des chasseurs et les recettes de l’Etat. « L’interdiction a joué sur l’économie locale car les pratiquants de cette activité se retrouvent sans travail et du coup, sans revenus », reconnait-il, en effet.
Il poursuit que son service pouvait collecter au moins 2 millions F CFA en une année grâce à la chasse. Kouliga Yaméogo reconnaît ainsi la nécessité de trouver des solutions pour valoriser la faune et relancer la chasse de manière sécurisée. La région des Cascades, dit-il, regorge de trésors naturels qui méritent d’être préservés pour les générations actuelles et futures.
« La reprise de la chasse, dans le respect de l’environnement et des espèces, peut contribuer à la prospérité économique des communautés locales tout en favorisant la conservation de la faune », conclut-il. Nous prenons le chemin de retour vers Bobo-Dioulasso, en contemplant les paysages majestueux des Cascades. Les montagnes verdoyantes et les rivières scintillantes rappellent la richesse naturelle de la région, un patrimoine à protéger et à valoriser.
Noufou NEBIE
Focus sur la Réserve partielle de faune de la Comoé-Léraba
La zone de chasse de l’AGEREF/CL est la Réserve partielle de faune de la Comoé-Léraba. Cette zone est située à l’Ouest du Burkina Faso, à la frontière avec la République de Côte d’Ivoire. Elle a une superficie de 125 000 ha et se caractérise par une diversité de savanes, des vastes plaines herbeuses au niveau des bas-fonds et des galeries forestières le long des deux cours d’eau pérennes que sont le fleuve Comoé et son affluent la Léraba.
On y note également la présence de petites marres naturelles disséminées donnant ainsi une bonne distribution de la faune. Les potentialités de la forêt classée et réserve partielle de faune de la Comoé-Léraba sont nombreuses. En termes de ressources végétales, on dénombre plus de 300 espèces dont 37 sont de la forêt dense humide. Les ressources fauniques font état de 123 espèces de mammifères, 464 espèces d’oiseaux et 62 espèces de reptiles. 40 espèces de poissons forment les ressources halieutiques.
N.N.
Source : AGEREF/CL