Gestion des boues de vidange: une sempiternelle équation pour Ouagadougou

Environ 900 à 20 000 m3 d’excréments sont quotidiennement tirés des fosses d’aisance et septiques des familles ou des services dans la ville de Ouagadougou. En dépit des trois stations de traitement de l’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA), la gestion de cette masse importante de déchets organiques demeure un défi pour les populations et les autorités municipales. Reportage !

Des moustiquaires usagées contenant des déchets de toutes sortes et des liquides verdâtres longeant le long d’un canal. Dans cet espace caché par les grandes herbes et des arbustes, difficile de respirer, malgré le cache-nez. L’odeur est pestilentielle. Aux bruits des mouches se mêlent le tintamarre des engins roulants. La route nationale n°6 est à moins de deux cents mètres. A quelques pas, des briquetiers assis sous des hangars de fortune contemplent le paysage. Nous sommes à Ouaga 2000, à l’arrondissement n°12 de la capitale, à quelques encablures du ministère de la Défense et des anciens combattants. Il est environ 9 heures, ce mardi 24 septembre 2019. Les odeurs deviennent de plus en plus fortes au fur et à mesure que nous avançons vers ce dépotoir. Plus loin, nous rencontrons deux vidangeurs manuels déversant des déchets ménagers entassés dans un tricycle. Surpris par notre apparition soudaine, ils nous lancent des regards furtifs. Nous déclinons notre identité. Les esprits se calment.
L’atmosphère détendu, le plus âgé, Denis Ilboudo dit Général Mangou affirme que les déchets ont été enlevés au quartier Kalgondin, à l’arrondissement n°5. « Nous venons les déverser ici parce qu’il n’y a pas de site approprié », relève-t-il sans remord. Son acolyte Dieudonné Zouré est plus explicite : « Les sites de Kossodo et de Zagtouli sont très distants. Nous sommes donc obligés de venir déverser les ordures ici. De plus, quand nous évoquons le problème de la distance pour augmenter nos tarifs, certains ménages s’y opposent. Nous sommes contraints de vidanger et venir dépoter à cet endroit». Outre ces vidangeurs manuels, il y a les vidangeurs mécaniques, c’est-à-dire disposant de camions permettant d’aspirer les déchets liquides. A quelques 2 ou 3 kilomètres à l’arrière du bâtiment du ministère de la Défense, le constat est également inquiétant. Sur un rayon d’environ 300 mètres, des liquides verdâtres et nauséabonds ont envahi les champs, rendant impossible le passage. De nombreuses traces de pneus sont visibles sur le sol boueux. Pendant que nous tentons de faire le tour, le bruit d’un camion se fait entendre. C’est la citerne de Mathias Ilboudo. Il a quitté le quartier Patte d’Oie. Il est 10 heures 18 minutes. Aussitôt stationné, l’engin se vide de son contenu, en une quinzaine de minutes. «Nous ne pouvons pas aller à Kossodo ou à Zagtouli à cause de la distance. Un site de dépotage n’existant pas dans la zone de Ouaga 2000 et les quartiers périphériques, nous préférons déverser dans la nature», confie-t-il, sans ambages. Le bruit d’un second camion interrompt la conversation. C’est celui de Madi Sawadogo. Après avoir déversé les déchets, il tente de justifier son acte : «les stations de traitement appropriées ne peuvent pas traiter tous les déchets. Aussi, les heures d’ouverture et de fermeture fixées de 8 heures à 15 heures ne nous arrangent pas. Nous sommes parfois, une centaine à faire la queue pour vidanger. Et nous pouvons facilement y passer toute la journée». En l’espace d’une heure et demie, on dénombre 23 camions vidangeurs. Ils vont et viennent, déversent et repartent sans être inquiétés. Les riverains, quant à eux, assistent impuissants à ce spectacle désolant. Les autorités locales sont désormais leur seul espoir.

Un épineux problème

La quarantaine bien sonnée, Wendlassida Alban Nikièma, un habitant du quartier, soutient que du lundi au samedi, les citernes défilent à longueur de journée sur le site. «Cette situation nous attriste. Les vidangeurs ne sont pas organisés. Chaque jour, ce sont des incessantes allées et venues. Les odeurs nous étouffent. Nous nous sommes plaints auprès de certains d’entre eux. Tout en reconnaissant ces désagréments, ils disent n’avoir pas d’autre choix, vu que les autorités communales n’ont pas dégagé de sites», relate-t-il. Nous sommes, s’alarme-t-il, quotidiennement, exposés à des maladies respiratoires.
A Zagtouli, à la périphérie Ouest de Ouagadougou, le constat est le même. A moins de 50 mètres de la station de traitement des boues de vidange, l’atmosphère est puante. Des eaux usées s’étendent sur une superficie d’environ 200 m2. Sur les lieux, des traces de pneus de camions. Le même spectacle est observé à Kossodo. A environ 3 kilomètres de la station de dépotage, des montagnes de boue trônent au milieu d’un champ de mil. Il s’agit de matières fécales, d’eaux usées, de déchets ménagers et de détritus, accumulés au fond des fosses d’aisances et septiques. Au sol, les traces de pneus de camions sont perceptibles. L’Office national de l’eau et de l’assainissement (ONEA) est la structure qui a, dans la ville de Ouagadougou, la responsabilité de l’assainissement des eaux usées et excréta. L’accomplissement de cette mission s’effectue à travers deux types de services : l’assainissement autonome et celui collectif. Mais, dans la capitale burkinabè, peu de foyers sont raccordés au réseau d’égouts urbain. L’ONEA ne dispose que de trois stations de traitement. Les deux premières ont été réalisées en septembre 2014 à Kossodo et à Zagtouli. La troisième station de Sourgoubila a été mise en service, le 2 novembre 2016. Elle a été conçue pour recevoir 135 m3 de boues par jour. Or, depuis 2009, dans le cadre du projet d’assainissement urbain, la ville devait être quadrillée par des stations pour éviter aux vidangeurs de parcourir plus de 15 km pour vider les boues. Malheureusement, les stations construites ne disposent pas d’une très grande capacité de traitement des boues. D’où la prolifération des dépotages sauvages. Le chef de service du projet Assainissement collectif à la station de traitement de Zagtouli, Soumaïla Sodré, soutient que la station reçoit autour de 100 à 120 camions vidangeurs par jour (soit environ 400 à 500 m3 de boues par jour). Elle a été pourtant construite pour recevoir 125 m3 par jour. La station de Kossodo a une capacité d’absorption et de traitement de 400 m3 par jour à raison de 30 camions de vidange par jour. Cependant, elle reçoit plus de 200 camions, informe le chargé de suivi exploitation des stations de traitement des boues de vidange à Ouagadougou, Pomileyi Dah. «Nos capacités de réception sont dépassées parce que l’écart est grand», avoue-t-il. Une fois débordée, fait savoir le premier responsable du site de Zagtouli, la station est fermée. «Nous réorientons les vidangeurs vers les autres sites. Mais si ces sites sont débordés, les vidangeurs vont dans la nature. C’est vraiment dommage», déplore M. Sodré.

La “mauvaise foi” des vidangeurs

Selon le secrétaire général adjoint de l’Association des vidangeurs du Faso (AVIF), Soumaïla Sedogo, les stations de traitement ne reçoivent que 15% des boues de vidanges de la ville de Ouagadougou. A ses dires, seulement 5% des liquides reçus sont traités dans les bassins, et les 85% déversés dans la nature. Il arrive, ajoute-t-il, que le site de Kossodo soit fermé pendant une ou deux semaines. «Où voulez-vous que nous dépotions durant cette période ? Les latrines sont régulièrement pleines et les ménages nous font appel. Nous ne pouvons pas prétexter de la fermeture du site et refuser de vidanger», estime le secrétaire général adjoint de l’AVIF. Même son de cloche chez les vidangeurs manuels. Pour le président de l’Association des vidangeurs manuels de la ville de Ouagadougou, Alidou Bandé, l’autorité doit avoir un regard particulier sur la question. A son avis, cela passe premièrement par la “considération” de leur métier. Il souligne que seuls les vidangeurs mécaniques arrivent à aller dans les stations de traitement. Pourtant, précise-t-il, les vidangeurs manuels occupent une bonne place dans le système d’assainissement dans la capitale. «Si les mairies nous trouvent des sites de dépotages transitoires, nous pourrons résoudre ce problème de dépotage sauvage. On ne peut pas parcourir 20 à 30 km pour le faire», affirme le vidangeur manuel. Ses arguments sont battus en brèche par les autorités municipales. Celles-ci parlent plutôt de la “mauvaise foi” des vidangeurs, même si elles reconnaissent la nécessité d’accroître les stations de traitement. Le deuxième adjoint au maire de l’arrondissement n°12, Lucien Tougouri, soutient que ses services, appuyés par la police municipale, ont rencontré les vidangeurs, il y a trois années de cela, pour leur signifier l’illégalité de leur pratique. « Nous avons déployé les forces de sécurité pour interdire ces pratiques. Pendant, deux à trois mois, elles ont veillé sur les sites. Mais à notre grande surprise, les vidangeurs ont recommencé à déverser les déchets dans la nature », fulmine le conseiller municipal. Pour lui, l’argument du manque d’espace n’est pas fondé. «Il y a des sites de dépotage aménagés. Le problème de distance évoqué par les vidangeurs est un prétexte. Ils devraient penser à la santé humaine, à l’hygiène et aussi à la protection de l’environnement», martèle-t-il. A l’entendre, certains vidangeurs s’adonnent à cette pratique afin d’éviter de s’acquitter des frais de vidange sur les stations de traitement qui s’élèvent à 300 F CFA par m3. Leurs comportements sont, à ses dires, condamnables et très dangereux. « Les boues de vidange doivent être considérées comme des matières extrêmement nocives qu’il convient de manipuler avec précaution », soutient Lucien Tougouri. Qu’à cela ne tienne, le coordonnateur du Réseau des parlementaires pour l’eau, l’hygiène et l’assainissement (REPHA-BF), Halidou Sanfo, pense qu’il est impératif que les autorités municipales prennent des dispositions pour la construction de sites de décharge ou de transit. « C’est inadmissible que ces pratiques se fassent sans qu’aucune mesure ne soit prise », s’offusque-t-il. C’est pourquoi, il invite le ministère en charge de l’assainissement à nettoyer et à mettre fin au dépotage sauvage. D’ailleurs, le contenu des articles 8 et 11 de la loi 022-2005/An du 7 juillet 2005 portant Code de l’hygiène publique au Burkina Faso ne souffre d’aucune ambiguïté. Les autorités des communes ou autres collectivités décentralisées veillent à l’élimination régulière et hygiénique des ordures ménagères, excréta, eaux usées et déchets assimilés sur l’étendue de leur territoire. Elles peuvent requérir l’appui des structures compétentes chargées de l’hygiène et de l’assainissement, stipule l’article 8. Tandis que l’article 11 dit que les collectivités décentralisées, avec l’aide de l’Etat, ont la charge de doter toutes les agglomérations de leur ressort territorial d’ouvrages d’assainissement appropriés.

Des matières nocives

Les boues fraîches provenant des toilettes publiques non raccordées, et les fosses septiques présentent des teneurs en germes pathogènes plus fortes, des bactéries d’excréta frais et une grande quantité d’œufs de verres viables, explique Dr Romain Ghislain Ido. Mal gérées, les boues de vidange peuvent causer de graves problèmes de santé et de pollution de l’environnement, prévient-il. «De grandes quantités de boues de vidange tirées des installations sanitaires sont déversées de façon non contrôlée dans l’environnement en raison du manque de systèmes d’élimination adéquats. Ces boues de vidange sont employées de façon non hygiénique dans l’agriculture, à la suite de l’absence de traitements appropriés», étaye le spécialiste de la santé. Les organismes pathogènes contenus dans les boues, une fois dispersés dans le milieu urbain, peuvent facilement entrer en contact avec les êtres humains, selon Dr Ido. Il précise que les personnes vivant non loin des sites de dépotage sauvages peuvent être exposées aux maladies hygiéniques, tels les diarrhées, les maladies respiratoires, les problèmes dépressifs (manque de confort social), le paludisme et la dengue (pullulation de gites larvaires) et les intoxications alimentaires. «Ces boues ne sont pas dénuées d’objets tranchants, chose qui expose au tétanos», affirme Dr Ido. Le spécialiste de santé ajoute que déversées dans les champs, les boues contiennent des organismes pathogènes, sources potentielles de contamination pour les paysans, étant donné qu’ils labourent sans aucune protection particulière. Les bactéries et œufs de verres peuvent aussi adhérer aux végétaux et infecter les personnes qui les consomment crus ou mal lavés. «Les enfants jouant dans l’eau contaminée sont particulièrement exposés. Certains parasites sont à un stade infectieux dans la terre humide, les larves peuvent alors pénétrer dans la peau humaine. Toutes les personnes marchant pieds nus dans les zones de dispersion des boues ou des fèces sont menacées», signale-t-il. Pourtant, le traitement crée des produits susceptibles d’être réutilisés, comme les effluents liquides traités pouvant être utilisés dans l’irrigation, les biosolides comme dans l’agriculture, le et l’électricité, étaye M. Sodré.

Gaspard BAYALA
gaspardbayala87@gmail.com

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