Hamadé Ouédraogo, expert-comptable : « L’imitation des signatures fait partie des risques majeurs dans la gestion des comptes bancaires »

Hamadé Ouédraogo est expert-comptable, commissaire aux comptes, administrateur directeur général du cabinet d’expertise comptable, Forvis Mazars au Burkina, inscrit au tableau de l’Ordre des experts comptables du Burkina. Dans cette interview accordée à Sidwaya, il aborde la place de la gestion comptable et financière, des audits dans la gouvernance des organisations (entreprises, administrations, etc.), ainsi que les rôles et responsabilités des experts-comptables, des commissaires au compte. Il y donne également des conseils sur des mesures d’organisation et de contrôle appropriées à mettre en place pour éviter la survenue des financiers potentiels.

Sidwaya (S) : Quelle est la place de la gestion comptable et financière dans une entreprise, une organisation (administration, ONG, association…) ?
Hamadé Ouédraogo (H.O) : La gestion comptable et financière occupe une place centrale dans le fonctionnement et la réussite d’une entreprise. Elle favorise, entre autres, la comptabilisation et l’établissement des états financiers des sociétés et des organisations, le suivi et le contrôle des finances, permettant de suivre toutes les transactions financières de l’entreprise, assurant ainsi une tenue de comptes précise et conforme aux normes comptables. Cela inclut l’enregistrement des revenus, des dépenses et la préparation des états financiers. Elle favorise la planification et la prise de décision. Au-delà de la comptabilité, elle permet de se concentrer sur la planification, l’analyse et le contrôle des ressources financières. Elle aide à élaborer des budgets, à prévoir les flux de trésorerie et à évaluer la rentabilité des projets, ce qui est essentiel pour prendre des décisions stratégiques éclairées, la conformité réglementaire. Elle permet à l’entité de se conformer aux respects des obligations légales, fiscales et sociales par la préparation des déclarations fiscales-sociales, et le respect des dispositions de l’OHADA, la prévention des risques. En surveillant de près les finances, la gestion comptable et financière aide à identifier et à atténuer les risques financiers potentiels. Entre autres, nous pouvons cités la gestion des dettes, la surveillance des créances et la gestion des liquidités, la communication et la transparence. Elle permet de fournir des informations financières claires et précises aux parties prenantes, telles que les investisseurs, les actionnaires et les créanciers. Cela renforce la confiance et la crédibilité de l’entreprise. En somme, la gestion comptable et financière est essentielle pour assurer la stabilité, la croissance et la pérennité de l’entreprise. Elle soutient la planification stratégique, la prise de décision et la conformité réglementaire, tout en contribuant à la transparence et à la confiance des parties prenantes.

S : Quelle est la différence entre comptabilité privée et publique ?
H.O : La comptabilité privée est destinée et s’applique aux entreprises de droit privée à caractère commerciale et non commercial alors que la Comptabilité publique s’intéresse aux organismes publics, tels que les administrations, les collectivités locales et certains Etablissements publics de l’Etat (EPE). On peut également dire que la comptabilité privée est axée sur les besoins des entreprises et de leurs parties prenantes internes, tandis que la comptabilité publique se concentre sur la gestion et la transparence des fonds publics.

S : Dans la présentation des états financiers d’une entreprise, on distingue le bilan, le compte de résultat et le tableau des flux de trésorerie. Quelle est la différence entre ces trois éléments ? Quelle lecture ou interprétation peut-on en faire, en termes de mesure de la performance de l’entreprise ?
H.O : Les états financiers selon le Système comp-table OHADA (SYSCOHADA), forment un tout indissociable que sont le bilan, le compte de résultat, le tableau des flux de trésorerie et les notes annexes. Le bilan est un document financier qui présente la situation patrimoniale d’une entreprise à une date donnée, généralement à la clôture de l’exercice. Il est souvent décrit comme une “photographie” de la situation financière de l’entreprise à un instant T, montrant ce qu’elle possède (actif) et ce qu’elle doit (passif). Le compte de résultat ou de gestion est un document comptable essentiel qui récapitule les performances financières d’une entreprise sur une période donnée, généralement un exercice comptable. Contrairement au bilan, qui présente la situation patrimoniale à un instant T, le compte de résultat montre comment le résultat net (bénéfice ou perte) a été obtenu au cours de l’exercice. Le tableau des flux de trésorerie est un document financier qui présente les mouvements de trésorerie (entrées et sorties d’argent) d’une entreprise sur une période donnée. Il permet d’analyser la capacité de l’entreprise à générer des liquidités et à financer ses activités. Les notes annexes sont des documents complémentaires au bilan et au compte de résultat, qui fournissent des informations détaillées et explicatives sur les éléments financiers de l’entreprise. Elles jouent un rôle crucial dans la transparence et la compréhension des états financiers. Comme vous le voyez, chacun de ces documents joue un rôle bien déterminé mais ils se complètent. La bonne analyse de la perfor-mance de l’entreprise se fait par lecture croisée de ces différents documents. Le résultat net d’un exercice donné est un bon indicateur mais insuffisant pour apprécier la performance financière comme on le voit le plus souvent.

Le directeur général du Cabinet Forvis Mazars au Burkina, Hamadé Ouédraogo : « la gestion comptable et financière aide à identifier et à atténuer les risques financiers potentiels ».

S : Il arrive souvent que certaines entreprises externalisent leur gestion comptable et financière. Qu’est-ce qui explique une telle pratique et quel est son intérêt ?
H.O : L’externalisation comptable consiste à confier certaines ou toutes les fonctions comptables d’une entreprise à un prestataire externe. Les avantages ou intérêts d’une externalisation sont entre autres la réduction des coûts, l’accès à une expertise spécialisée, la concentration de l’entité sur le cœur de son métier, la flexibilité et l’adaptation sur le plan ressources humaines, la sécurité et la conformité aux lois et règlements. L’externalisation peut et doit se faire soit auprès d’un membre de l’Ordre des experts comptables ou Centre de gestion agrée (CGA). Les données comptables et financières constituent le centre névralgique de l’entreprise qui ne peut être confié qu’à un professionnel reconnu comme tel par la loi. Je précise que l’exercice illégal de la profession de comptable est puni au pénal.

S : Dans la gestion d’entreprise ou d’organisation se pratiquent couramment des audits. Quelle est la place, le rôle de l’audit dans la vie d’une organisation, privée ou publique ?
H.O : Un audit est une procédure systématique et indépendante visant à évaluer, vérifier et contrôler les états financiers, les opérations, les processus ou les systèmes d’une organisation. Il a pour but de s’assurer que les informations financières et les processus de gestion sont complets, sincères et conformes aux normes et réglementations en vigueur. Les audits externes peuvent se regrouper en trois grandes familles, telles que l’audit financier, l’audit opérationnel et l’audit de conformité. A cela, il faut ajouter les audits internes. L’audit le plus couramment utilisé dans notre pays est l’audit comptable et financier. Dans le cas des projets et programmes de développement, cet audit vise à s’assurer également que les fonds reçus ont été utilisés conformément aux dispositions de la convention.

S : Quelles sont les fautes de gestion ou les infractions financières les plus couramment rencontrées au cours de ces audits ?
H.O : Il faut préciser que les audits financiers et comptables qui nous sont confiés comportent des termes de références sur lesquels l’auditeur doit se baser pour donner son opinion. Le plus souvent, ce ne sont pas les fautes de gestion qui sont recherchées mais la régularité et la sincérité de l’information financières et comptable par rapport à un référentiel comptable déterminé. De ce fait, nos conclusions portent le plus souvent sur les erreurs comptables, les problèmes de gouvernance, le non-respect des procédures de passation des marchés, etc. Nous avons également été amené à activer la procédure d’alerte face au risque de non-continuité d’acti-vité. Nonobstant cet état de fait, les experts sont compétents pour réaliser des travaux d’investigation et de détermination de la fraude. Nous avons également une norme (ISA 240) sur la fraude que nous appliquons au cours de nos travaux d’audit.

S : Dans l’affaire Tiegnan, l’une des pratiques utilisées pour détourner les deniers publics est l’imitation de la signature d’autrui. Est-ce une pratique courante que l’on rencontre lors des audits ?
H.O : J’avoue que je n’ai pas beaucoup suivi le procès car j’étais hors du pays. J’ai juste lu et écouté certains passages, donc vous me permettrez de répondre sur un cadre général et non pas en référence à ce cas précis. D’une manière générale, l’imitation des signatures fait partie des risques majeurs attachés à la gestion des comptes bancaires. Ce risque est d’autant plus élevé quand le volume des opérations en banque est important et quand les chèques sont émis continuellement. Ce risque pèse sur tous les comptes bancaires qu’ils appartiennent à des personnes physiques comme vous et moi, des sociétés privées ou de l’Administration publique. Compte tenu du niveau de risques, il est important de mettre en place et d’appliquer des mesures d’organisation et de contrôle appropriées. C’est le cas, par exemple, de la conservation des chéquiers par une tierce personne autre que les signataires, la vérification périodique et par sondages des opérations bancaires, Pour les responsables avec des emplois de temps très chargé, il importe également
d’instituer l’auto contrôle, de s’assurer de l’existence des pièces justificatives avant toute signature de chèques, de définir un chrono honoraire de signature, d’éviter les signatures sur les chèques en blanc, d’éviter au grand maximum le traitement des urgences en ayant une bonne planification, etc. Enfin, il est également possible de demander à votre banquier, la confirmation avant tout paiement, surtout quand le montant dépasse un certain seuil. Par cette technique, votre banque vous appellera pour confirmer l’effectivité de l’opération avant paiement.

S : Dans cette affaire, Tiegnan a réussi à imiter les signatures de ses responsables sur plusieurs années sans que les services de contrôle interne et externe ne s’en rendent compte ou du moins ne le dénoncent. Sur le plan technique, quelle est la responsabilité de ces services de contrôle, interne et externe, dans pareil cas ?
H.O : N’ayant pas eu suf-fisamment d’éléments sur ce dossier, je suis incapable de répondre directement à cette question. Ce qui est certain, personne au Burkina ne dira que c’est un acte normal et du reste la justice a reconnu des coupables dans cette affaire. Les corps de contrôle de l’Etat et parti-culièrement l’ASCE-LC ont toujours fait un excellent travail et leurs compétences et leur efficacité sont reconnues et appréciées au-delà de nos frontières. Les experts comptables collaborent avec cette structure pour la réalisation de certaines missions. Lors du Congrès des experts comptables de l’UEMOA en 2023, l’ONECCA a décerné des trophées de mérites à l’ASCE-LC et au RENLAC. Le président de l’Ordre pourra vous entretenir sur toutes questions touchant l’Ordre national des experts comptables et des comp-tables agréés du Burkina Faso (ONECCA-BF). Il faut signaler, la fraude est un acte volontaire et généralement bien réfléchi, qui fait appel à des collisions en interne ou en externe de sorte à rendre inefficaces les bonnes procédures ; fort heureusement, c’est un risque qui est connu par tous les contrôleurs.
Maintenant, d’une manière générale, les experts s’intéressent plus aux procédures qu’aux actes des personnes physiques. Celles-ci, parlant des procédures doivent empêcher ou limiter au maximum les effets des actes anormaux de gestion des personnes physiques. Dans toutes les organisations, la question de l’existence des procédures doit être posée. Sont-elles régulièrement mises à jour pour faire face aux nouveaux risques ? Sont-elles correctement appliquées ? Quelle est la périodicité et l’étendu des différents contrôles, etc.

S : En entreprise, ces audits ou contrôles sont souvent assurés par des experts comptables. Pouvez-vous nous dire plus sur le rôle de l’expert-comptable ?
H.O : L’expert-comptable joue un rôle essentiel dans la création, la gestion et le développement des entreprises. Ses principales missions et respon-sabilités sont, entre autres la tenue de la comptabilité, le conseil et l’accompagnement, l’établissement des comptes annuels, les audits, la gestion financière, la fiscalité, la paie et déclarations sociales. Au Bur-kina, la fonction d’expert-comptable et de commissaire aux comptes est régie par la loi 048 de 2005.

S : La certification des comptes de certaines organisations (entreprises ou associations) est assurée statutairement par des commissaires aux comptes. En quoi consiste le travail du commissaire au compte ?
H.O : Le Commissaire aux comptes (CAC) joue un rôle important dans la vérification et la certification des comptes annuels des entreprises. C’est un exercice qui consiste pour le professionnel à vérifier la sincérité et la conformité des comptes de l’entreprise avec les normes comptables en vigueur et de s’assurer que les informations financières sont exactes et fiables. Il donne à cet effet, son opinion.
Le commissaire aux comptes est un tiers de confiance entre les différentes parties prenantes de l’entreprise. C’est un maillon essentiel dans la gouvernance des entreprises. Sans les rapports des commissaires aux comptes, le conseil d’administration ne peut pas arrêter les comptes de l’entreprise et il en est de même pour leur approbation par l’Assemblée générale ordinaire.
L’intervention du Commissaire aux comptes est également obligatoire dans l’accomplissement de certains actes de gestion. C’est le cas par exemple de l’augmentation du capital social de l’entreprise.

Le commissaire aux comptes, Hamadé Ouédraogo (milieu) : « le risque d’imitation des signatures est d’autant plus élevé quand le volume des opérations en banque est important et quand les chèques sont émis continuellement ».

S : Le commissaire au compte peut-il être complice de malversations financières ?
H.O : Il faut noter que la probité et l’honnêteté font partie de la déontologie des experts comptables et donc des commissaires aux comptes. Ces professionnels sont également soumis aux contrôles qualité de l’Ordre et par le réseau auquel ils appartiennent. Ces dispositifs atténuent fortement les risques de complicité. Les experts disposent au sein de leur confrérie, des structures de contrôle et de sanction.

S : Le commissaire au compte peut-il aider à éviter la faillite d’entreprise ou du moins alerter sur les signes avant-coureurs ?
H.O : Oui, le Commissaire aux comptes (CAC) joue un rôle important dans la prévention de la faillite ou difficultés des entreprises. Les dispositions légales de l’acte OHADA sur le droit des sociétés commerciales et du GIE et celles des procédures collectives lui consacrent un rôle de choix. En effet, l’acte uniforme dispose que si le CAC constate des faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de l’entreprise, il a l’obligation d’alerter les dirigeants. S’il n’est pas satisfait des réponses, il peut demander que le Conseil d’administration statue sur la question. Sur les procédures collectives, les experts comptables en leur qualité de mandataire judiciaire (pour ceux qui le sont) interviennent dans tous les cycles, du règlement préventif à la liquidation de la société. Le Commissaire aux comptes peut être considéré comme un organe qui veille et contrôle les intérêts de la personne morale qu’est la société.

S : Vous êtes à la tête du Forvis Mazars/Burkina. Quels sont les domaines d’expertise de ce cabinet international ?
H.O : Forvis Mazars est un cabinet d’audit, de conseil et d’expertise comptable inscrit à l’ONECCA-BF et dont les principales activités concernent : l’audit et commissariat aux comptes, l’expertise comptable et fiscale, les études, conseil et formation, l’élaboration des outils de gestion (business plan, plan de continuité, cartographie de risque, etc.), l’accompagnement à la restructuration et au financement des entreprises.

Interview réalisée par Mahamadi SEBOGO

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