Depuis que les autorités ont dit que les absents ne seront plus tolérés dans nos services, il y en a qui grincent des dents. Le ministre de la Fonction publique a été reçu dans le Journal télévisé de 20H sur la question et il a même effectué des sorties de terrain pour prendre le pouls du phénomène dans quelques services. En suivant le journal ce soir-là avec mon fils, j’ai eu du mal à satisfaire à sa curiosité de bambin.
Il m’a demandé si dans mon service, il y avait aussi des tontons et des tanties qui ne venaient pas au service. Il m’a demandé pourquoi ils ne venaient pas au travail. « Que font-ils pour ne pas venir au service ? » et son petit frère de renchérir : « s’ils ne viennent pas travailler, est-ce qu’on les met à genou ou au pilori ? », « est-ce qu’ils sont punis ? ». Son grand frère m’a demandé si ces absents percevaient toujours leur salaire au complet à la fin du mois ou bien on leur versait seulement le salaire équivalent à leurs jours de présence. Le petit frère a répliqué que si jamais eux, ils s’absentaient aux cours, ils savaient ce qui leur arriverait. Il a même osé me demander si moi aussi, je m’absentais à mon service.
Autant de questions qui pourraient sortir de la bouche de n’importe quel autre enfant. Autant de questions qui dérangent et font baisser la tête des adultes conscients que nous sommes. Et les réponses à ces questions sont autant difficiles que notre silence coupable. Quand des enfants posent les vraies questions, peu importent les faux-fuyants ; notre conscience se sent titillée, notre sens de la responsabilité se sent interpellé ; notre devoir de père rencontre son pire déboire, même nos droits deviennent maladroits. Comment dire à son fils qu’un adulte de l’âge de son père peut s’absenter indûment à son poste de travail par paresse, par indiscipline ou par inconscience ?
Comment convaincre son fiston ou sa fillette à peine sevré que nous ne sommes pas toujours ce qu’ils croient et que même le père que nous sommes peut ne pas être le bon exemple que nous prônons et voulons que, eux, ils soient ? Il suffit parfois de penser que le travail que nous faisons trouve tout son sens dans l’autosatisfaction du travail bien fait. Il suffit de se dire que nul ne peut être absents au champ et prétendre ou espérer récolter quoi que ce soit dans ce champ, s’il n’a jamais plié l’échine pour arracher la moindre herbe. Mais peut-on se poser ces questions à soi-même, si l’on n’a pas le sens du service public ? Peut-on répondre à ces questions, si au-delà de nos qualités professionnelles, académiques ou sociales, nous manquons d’éthique, de valeurs ou de principes pour nous imposer ce qui est juste et bien ?
Que chacun se regarde dans la glace et se pose cette question : « ai-je besoin d’un décret présidentiel ou d’un arrêté ministériel pour être présent au service ? ». Pour celui qui a reçu une éducation digne de ce nom, il sait bien que ne pas travailler et prétendre au fruit du labeur des autres est injuste et avilissant. Mais on s’en fout ! Tant qu’il y aura des failles ou du laxisme dans le traitement du phénomène de l’absentéisme, la chienlit s’installera dans nos services. Il y a des agents publics qui s’absentent pour aller tourner le pouce dans la nature, dans des zones de prédilection parfois inutiles, parfois nuisible à leur propre épanouissement.
Quand un agent public se retrouve dans un débit de boisson de 9 h à 14 h avec sa clique de commis soûlards, entourés de salaces « crudités pimentées », en quoi peut-il être utile à lui-même et à la Nation ? Quand un agent de l’Etat passe son temps de service dans un kiosque à journaux hippique, que peut-il faire d’atypique à part miser sur des favoris épiques pendant que lui-même ne vaut pas un bon tocard ? Il y a des agents publics qui s’absentent pour cultiver leur « champ de gombo » frais pendant qu’à leur poste vacant, moisissent des usagers usés dans le rang des mécontents de la République.
Par endroit, le service public est devenu un bazar de tares fréquenté par hasard et au hasard par de flemmards gaillards qui se jouent les vieux briscards dans le placard des lascars. Et puis, qu’en est-il des retardataires ? Qu’en est-il de ceux qui sont présents mais qui se rongent les ongles ? Qu’en est-il de tous ces présents encombrants qui sont plus présents sur les réseaux sociaux aux heures de travail ? Qu’en est-il de cette chronique éthylique, présente chaque semaine mais qui aboie à perdre le souffle derrière la caravane qui passe et repasse ? Monsieur le Président, c’est urgent, moi aussi je veux être absent !
Clément ZONGO
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