Tribune: les causes politiques de l’instabilité des régimes ‘’démocratiques’’

Point de vue

En1990, l’instabilité et le mal-développement de l’Afrique furent imputés à l’absence de démocratie. De 1990 à nos jours, malgré la mise en œuvre de principes dits démocratiques, les régimes ne sont pas plus stables, sinon par dictatures déguisées ; et le développement reste un mirage. Là où il y a eu stabilité sinon un semblant, c’est soit là où des régimes forts se sont passés du modèle occidental (Ouganda, Rwanda), soit là où il a fonctionné pour les besoins du néocolonialisme et à l’abri du terrorisme, d’ailleurs dû à l’aventurisme de la ‘’communauté internationale’’.

Dès lors que les Africains n’ont pas repris le contrôle du cours de leur histoire à leur accession à l’indépendance pour refonder les ex-colonies sur des bases endogènes, l’espoir d’une homogénéité, gage de cohérence et de cohésion devenait vain. La faillite d’une action politique est significative de la faillite de la pensée dont elle découle.

Le développement unidimensionnel de l’Afrique est conditionné par les politiques conçues pour elle, mais qui n’ont pas d’autre but que de la maintenir dans la dépendance pour la pérennisation de la prospérité de l’Occident, et la paupérisation continue des peuples africains. Par ailleurs, convaincues de la supériorité de leur civilisation sur toutes les autres, les puissances coloniales ont instauré en Afrique (le seul continent où elles ont pu s’imposer) des systèmes et des principes laissés en legs et qui étaient en fait des lests.

Le système éducatif visait à former des élites à même d’assurer le fonctionnement desdits systèmes sur la base de leurs principes fondateurs. Le court développement qui suit vise à pointer deux des facteurs politiques d’instabilité au regard de l’actualité brûlante et à proposer, sans prétention, quelques pistes de réflexion.

L’incompatibilité entre rapport de force et droit et justice

La première cause politique de l’instabilité de régimes dits démocratiques en Afrique nous semble tenir d’abord à la nature même du régime importé, qui rend difficile la compatibilité de la loi de la majorité avec le droit et la justice. En effet, ces derniers sont des valeurs intemporelles, alors que la loi de la majorité n’est rien de plus ni de moins que l’expression du rapport de force à un moment donné.

Le conflit n’est pas une fatalité, mais la manifestation d’une mauvaise volonté. Ainsi que l’écrit Julien Freund dans Qu’est-ce que la politique ?« …du moment que la force d’un seul ne fait pas le droit, celle de cinquante hommes ne le fait pas non plus, ni non plus une majorité, une masse, une classe, ni le grand nombre, car le droit et la justice en tant qu’ils reposent sur des normes sont autre chose qu’une affaire de quantité. »

Afin de limiter la tendance à abuser du pouvoir, ce qui est potentiellement source de conflits ouverts, Montesquieu a imaginé le concept de séparation des pouvoirs. Et le premier lieu d’exercice de contre-pouvoir sinon le seul, c’est l’Assemblée nationale. C’est-à-dire là où se votent les lois, notamment le budget qui est un lieu d’expression de la solidarité entre les catégories sociales en portant correction des inégalités ; et où s’effectue le contrôle de l’action gouvernementale, en principe.

Quand on sait que cette représentation nationale, de par sa structure n’a généralement de contre-pouvoir que le nom, l’on comprend que sa mission est limitée, en ce sens que l’opposition (le véritable contre-pouvoir),ne peut infléchir les décisions, même quand elles sont inopportunes ou injustes. Du moins pour celles qui passent par cette assemblée, car certaines, et pas des moindres, sont prises directement par l’exécutif. En n’opposant que des intérêts, le multipartisme s’accommode peu de la justice sociale. Et l’on a le cynisme de trouver dans l’agitation qui en découle, le dynamisme de la démocratie. Ça passe, jusqu’au jour où ça casse.

L’absence de concertation

La seconde cause politique de l’instabilité nous paraît aussi être souvent l’absence de concertation entre l’Exécutif et les corps intermédiaires (élus locaux, partis politiques, société civile…). Parce que, comme l’explique encore J. Freund« La recherche de la vérité scientifique est indéfinie, mais surtout elle peut, sans dommage, s’éterniser dans le doute et l’expérimentation, varier et éprouver un à un les divers méthodes et procédés.

L’urgence politique au contraire n’admet pas de répit, mais exige une décision ferme, clairvoyante et aussi rapide que possible (…) parce que des intérêts sont en jeu ». Pour parler de l’actualité brûlante, et à titre d’exemple, quels intérêts la CEDEAO est-elle soucieuse de préserver en l’occurrence au Niger ?

Ceux d’un peuple que l’on s’apprête à massacrer, ou ceux d’un chef d’Etat dont la légitimité est largement contestée à l’intérieur ? Certes, formellement, il a été démocratiquement élu, mais on sait en Afrique ce que valent les élections : elles sont souvent viciées par la position dominante d’un pouvoir. Aussi, de l’extérieur, l’on peut difficilement être mieux informé sur les réalités d’un pays que son peuple.

Dès lors, si un chef de l’Etat illégitime au fond selon une fraction non négligeable du peuple traite avec désinvolture l’armée en la mésestimant, un coup d’Etat militaire trouvera dans les mécontents des alliés immédiats. Reste à s’interroger si la CEDEAO ne défend pas les investissements privés et les intérêts géostratégiques de grandes puissances. Il n’est que de constater leurs bases militaires çà et là à travers le monde.

Plus d’un Etat de l’Union européenne a au Niger son contingent, ainsi que les Etats-Unis. Comment s’en étonner quand, aussi bien l’Union africaine que la CEDEAO reçoivent des subsides de l’Union européenne. L’OTAN aurait même un bureau dans l’organisation régionale.

Accessoirement, les chefs d’Etat extrémistes craignent la contagion, en faisant fi du contexte spécifique des Etats où ont eu lieu les coups d’Etat : en Guinée, ce fut la trop grande liberté que le chef de l’Etat avait prise avec la Constitution et les bons principes démocratiques. Lorsqu’un peuple est impuissant à exercer sa souveraineté, l’armée devient le dernier recours.

Le Mali, le Burkina et le Niger sont en butte à une guerre terroriste que les civils n’ont pas montré les capacités requises pour relever le défi. A titre d’exemple, il a fallu les militaires pour lever les obstacles que constituaient des accords avec l’ancienne puissance coloniale dans cette guerre.

Les figures ne se comptent pas dans l’histoire de l’Afrique, qui ont payé de leur vie, leur velléité d’indépendance nationale. Toutefois, ces grandes puissances n’ont jamais agi elles-mêmes, elles ont toujours armé des Africains pour qu’ils se chargent des sales besognes : les chasseurs d’esclaves n’étaient pas les négriers, ni les conquêtes coloniales par les seules armées occidentales, encore moins la gouvernance néocoloniale.

Ensuite, les raisons de l’absence de concertation préalable à la prise de décision politique, c’est que, généralement plus soucieux de marquer sa primauté, le pouvoir exécutif de type présidentiel confond rapidité et précipitation qui n’est jamais clairvoyante. Comme il se passe de toute concertation préalable, il est souvent en butte à des obstacles.

L’exemple le plus emblématique est celui de la France (dont tous les Etats francophones ont hérité le système), qui est, de toute évidence, l’Etat européen le plus agité. Toutes les monarchies parlementaires (et il y en a en Europe de l’Ouest et du Nord plus qu’il n’y a de républiques, huit contre six), sont plus apaisées qu’elle.

De même que les autres républiques d’ailleurs (Allemagne, Italie, Portugal…). Pourquoi ? Le type de présidentialisme de la France est celui qui, à notre humble observation, porte encore le plus, les vestiges des monarchies absolues de droit divin jusqu’au XVIIIe siècle, dont l’un des plus caractéristiques fut Louis XIV, ‘’le Roi-Soleil’’.Et l’actuel chef de l’Etat porte le surnom ‘’Jupiter’’.

Pas plus tard que 2018-2019, l’une des revendications, dont les gilets jaunes, se sont voulus porteurs, au nom des corps intermédiaires, c’était une plus grande participation à la prise de décision. A telle enseigne qu’ils déclaraient que la démocratie n’est pas tout à fait celle à laquelle ils avaient adhéré.

L’exemple très actuel en Afrique, c’est celui de l’intervention militaire décidée par onze (?) des quinze chefs d’Etat membres de la CEDEAO, afin d’aller réinstaller le chef de l’Etat Mohamed Bazoum au pouvoir au Niger. Le double nouveau président, et du Nigéria et de l’organisation régionale, plus soucieux on dirait de marquer sa double autorité et sa force armée en ses débuts, a commis deux fautes, à notre humble avis : la première, c’est l’emportement avec lequel la décision a été prise, qui pourrait être extrêmement grave de conséquences.

Et nous en voulons pour preuves deux constats : non seulement elle l’a été en violation du droit international et de celui de la CEDEAO, mais également de la procédure interne qui lui fait obligation d’obtenir au préalable l’accord des deux chambres réunies de l’Assemblée nationale ; la seconde raison, c’est le manque de clairvoyance :qu’est-ce qui garantit que les forces d’intervention parviendront à leur objectif premier déclaré qui est de réinstaller M. Bazoum au pouvoir ?

Pour cela, encore faudra-t-il, d’une part écraser les populations qui se dresseront devant les troupes, mais en vertu de quel mandat ? Les putschistes ne sont peut-être pas légitimes, mais le peuple peut-il être illégitime en défendant son territoire contre des forces étrangères sans mandat ?D’autre part, encore faudra-t-il le trouver en vie. S’il ne l’était pas, que feront les troupes ?

Occuper le territoire jusqu’au retour à l’ordre constitutionnel normal, et là encore avec quel mandat ? Le Conseil de sécurité de l’ONU ne sera jamais unanime à prendre une résolution dans ce sens. Et l’on aura mis la charrue avant les bœufs. Et si Bazoum n’était qu’un prétexte ? Peu importe son sort, pourvu que certains intérêts soient sauvegardés, comme en Côte d’Ivoire en 2011.

Par ailleurs, l’on se rend compte que dans aucun Etat francophone membre de la CEDEAO, soit parce qu’une procédure analogue à celle en vigueur au Nigéria n’existe pas (l’accord préalable de l’Assemblée nationale pour déclarer une guerre), soit pour s’être laissé emporter dans la même précipitation émotionnelle que le chef de l’Etat nigérian, aucun chef de l’Etat ne s’en est prémuni.

Se passer de toute consultation, c’est quasiment instinctif dans la tradition du système présidentiel de type jacobin tropicalisé. Dans combien d’Etats sur les onze, les peuples auraient, par référendum, été en majorité à approuver l’intervention militaire ? Il y a ainsi un fossé entre les dirigeants inféodés à certaines grandes puissances et leurs peuples. Et l’on se prétend en démocratie !

Les voies et moyens d’une véritable stabilité en Afrique

La masse critique en Afrique a pris conscience que l’indépendance est largement un leurre, et que les dirigeants civils sont davantage au service d’intérêts étrangers par un jeu démocratique de dupes qu’au service de l’intérêt national. Seulement, il ne suffit pas de se révolter, encore faut-il savoir quoi faire une fois libre.

Il s’agit donc d’identifier les mécanismes par lesquels les Etats sont dominés et les déconstruire. Pour la circonstance, deux voies nous paraissent se dégager : le système politique et une stratégie adéquate. Le système politique

C’est une loi de la nature que tout développement s’inscrit dans la double dimension de l’espace et du temps. L’espace symbolise les valeurs endogènes, et le temps figure le progrès. C’est pourquoi à l’observation, aucun pays ne s’est développé ou n’a émergé dans/et/ou avec la culture d’un autre.

Seules les élites dirigeantes africaines, pour la plupart, se sont laissé aveugler et lier les mains par les grandes puissances et croient que le développement peut n’être qu’une question de temps. Nous avons proposé ailleurs, un projet de société authentiquement africain et émancipateur. La stratégie de résilience à court et moyen terme. Les grandes puissances trouvent leur force dans la faiblesse (en d’autres termes la désunion) des pauvres, sans lesquels il n’y aurait pas les riches.

Les fédérations d’Afrique occidentale et d’Afrique centrale ont été démantelées à la fin officielle de la colonisation parce qu’elles étaient des forces politiques et économiques potentielles qui eussent été difficiles à manipuler. Le multipartisme généralisé instauré au début des années 1990 n’était pas pour favoriser quelque droit que ce soit en Afrique, mais pour ménager des failles à travers lesquelles des mains obscures continueraient d’influencer de l’extérieur, les choix politiques, économiques et culturels.

Et sur le plan économique, les Africains ont eu la naïveté de se laisser engager dans une rivalité absurde afin de créer le meilleur climat attractif par lequel leurs ressources naturelles entre autres seront encore davantage pillées, ‘’démocratiquement’’. C’est pourquoi les pays conscients que le moment est venu de mettre un terme à la servitude volontaire doivent se regrouper en unions politiques et économiques fortes.

A notre humble entendement, ce fut une erreur fatale que d’avoir voulu former des blocs sous régionaux, régionaux, et une unité continentale avec tous les Etats à chaque niveau. Car, la « communauté internationale » trouvera toujours des maillons faibles dans la chaine pour l’affaiblir.

Conclusion

L’insistance sur la fin des transitions à date n’a pas d’autre fin que de permettre aux intérêts étrangers de ramener ces Etats dans les rangs, par régimes civils interposés. Une question mérite alors d’être posée et la réponse pensée avec la plus grande honnêteté intellectuelle, sans parti-pris : les régimes proprement civils seront-ils plus aptes à faire face à l’hydre terroriste que les transitions dirigées par les militaires ?

Au Mali, puis au Burkina Faso, ils ont fait leurs preuves. Quelles étaient les parts respectives des limites intrinsèques de leurs dirigeants, et celles liées à des obstacles extérieurs ? Autant les régimes civils ont leur domaine de prédilection qui est la gouvernance en temps de paix, autant les militaires ont plus de compétences en matière de conception des stratégies et des tactiques en temps de guerre.

Les uns et les autres seront invariablement confrontés aux mêmes contraintes extérieures. Sous un régime civil, les militaires auront les mains liées, alors que plus de trente ans de démocratie ont à suffisance montré la faiblesse des civils, peu réactifs, à faire face à ces mêmes contraintes.

Recréer la même cause serait se condamner au même effet. Pour faire d’une pierre deux coups : il serait judicieux, nous semble-t-il, que les acteurs politiques, les armées et la société civile, élaborent une charte consensuelle de fin de transition, pour jeter les bases d’un gouvernement civil d’union nationale.

Pour ce faire, deux actes majeurs auront besoin d’être posés : les chefs des transitions (burkinabè, malien et nigérien éventuellement)démissionneraient pour se présenter en civils aux élections ; et l’élaboration d’un Plan national de développement consensuel, afin d’éviter la cacophonie une fois les gouvernements en fonction, ce qui risquerait d’entrainer des démissions.

Les puissances manipulatrices s’en frotteraient les mains. Tous ces leaders devront avoir un dénominateur commun : l’adhésion sans réserve au concept du développement endogène et panafricain (en lieu et place du statu quo). Individuellement, aucun Etat africain ne pourra jamais contrebalancer à long terme, le poids de la ‘’communauté internationale’’.

Mais le continent tout entier, oui. Une telle économie de la fin des transitions à date aurait le mérite d’éteindre toutes les braises : en interne, mettre civils et militaires chacun au pied de son mur (dossiers civils et lutte contre le terrorisme) au sein d’un gouvernement ; ôter tout prétexte de sanction aux plans régional et international. Les chefs, militaro-civils seraient des arbitres.

Ainsi, ces Etats éviteraient une autre confrontation, véritablement inutile cette fois. Il est plus aisé de contourner une montagne que de la monter puis la descendre par l’autre versant. Ce n’est pas l’enjeu. Celui-ci est la destination, située de l’autre côté de la montagne. La montagne, c’est la ‘’communauté internationale’’ et ses suppôts, qui campent, immobiles, sur des principes démocratiques creux qui n’ont pas fait avancer l’Afrique sur l’essentiel trente-trois longues années durant.

Au contraire, ils ont divisé les Africains au sein des Etats, et sont en passe de faire imploser les regroupements sous régionaux et régionaux. Les seules gagnantes, ce sont les multinationales des grandes puissances. La destination, c’est le développement, en toutes indépendance et souveraineté. Il est impossible sous les Fourches caudines des grandes puissances.

L’intérêt supérieur de la nation vaut bien une révision de la Charte de la transition qui exclut des futures élections les principaux acteurs de cette transition. Un vaste sondage sur toute l’étendue du territoire par des organismes spécialisés désignés d’accord-parties pourrait être réalisé afin d’éviter les accusations de manipulation.

Bassolé Paul

Economiste de l’entreprise

Laisser un commentaire