Au Burkina Faso, l’insécurité a contraint de nombreuses jeunes filles, à se marier précocement. Déplacées internes ou non, ces adolescentes ont été contraintes par leurs géniteurs, à convoler en justes noces. Au nom de la coutume et/ou de la pauvreté, des filles âgées de 13, 14, 15, 16 ou 17 ans, déjà éprouvées par la situation sécuritaire, ont dû abandonner leur cursus scolaire, pour « fonder » un foyer. Déscolarisées et désormais loin des bancs, leurs rêves de se construire un avenir meilleur ont été sacrifiés sur l’autel des désidératas de leurs pères. Constat !
Lundi 14 octobre 2024. Le soleil a entamé sa course dans le ciel de Kaya, région du Centre-Nord. Les rues sont bondées de monde en cette matinée. A pied, à vélo, à motocyclette ou dans des voitures, les élèves, reconnaissables de par leurs tenues scolaires, se rendent à l’école. Sur le site « Sougr-noma » qui accueille de nombreuses Personnes déplacées internes (PDI), Awa Ouédraogo, 15 ans, sortie de la cour pour jeter l’eau de bain de son nourrisson de 7 mois, doit regarder cette année scolaire encore, ses camarades aller à la quête du savoir. « Aller à l’école ne fait plus partie de mon quotidien. Quand je me réveille, je balaie la cour. Je fais la vaisselle. Je lave mon bébé et je prépare à manger pour mon mari », dit l’ancienne élève et déplacée interne qui nous reçoit à l’insu de son époux.
Déscolarisée depuis la fermeture en 2021, des établissements scolaires de son village, Tanghin, dans la commune de Barsalogho, du fait du terrorisme, Awa Ouédraogo n’a plus retrouvé le chemin de l’école. Pire, son père l’a donnée en mariage pour honorer une « veille » promesse. « On m’a donnée en mariage en remplacement de ma défunte grande sœur. C’est elle qui était promue, comme elle est décédée, mon père m’a demandé de rejoindre le mari pour sauver l’honneur de la famille », explique-t-elle, la tête baissée.
Au regard de la crise sécuritaire, plusieurs jeunes filles élèves déplacées ont quitté les bancs pour « fonder » un foyer. Rencontrée dans un camp des PDI dans la ville de Kaya, Rosalie, 17 ans aujourd’hui, partage son quotidien entre les tâches ménagères. « Mon mari est sur un site d’orpaillage. Il vient me voir quand il peut », affirme la « pugpaala », nouvelle mariée, en langue mooré. Elle est devenue « Mme Zagré », parce que l’école de son village, Kossoghin a été fermée à la suite des incursions de groupes obscurantistes en 2018.
Déplacés à Pissila, ses parents l’inscrivent en classe de 6e au lycée départemental, mais elle ne parvient pas à poursuivre sa scolarité, faute de moyens. Après quatre ans hors du système scolaire et à « errer » dans le marché de Pissila, son géniteur décide de l’unir par les liens du mariage à la famille Zagré, en août 2023. Le couple s’installe ensuite à Kaya. Bien que déçue de voir son rêve de devenir enseignante s’envoler, Rosalie justifie la décision de son père par la crise sécuritaire. « Tout cela, c’est à cause de l’insécurité. Ce n’était pas prévu. C’est mon père lui-même qui me disait de bien travailler à l’école », confie-t-elle.
Moins de bouches à nourrir
Au Burkina, les unions de Awa et de Rosalie sont considérées comme des mariages d’enfants, car mariées avant l’âge de 18 ans, explique la coordonnatrice nationale de la Coalition nationale contre le mariage d’enfants (CONAMEB), Eulalie Yerbanga. « Quand on parle de mariage d’enfant, cela veut dire que ceux qui sont donnés en mariage n’ont pas 18 ans. Soit, le garçon ou la fille n’a pas 18 ans, ou encore les deux », précise Mme Yerbanga.
Bien que cette pratique soit considérée comme néfaste et punie par la législation (articles 531-1 et suivants du Code pénal), elle perdure.
« Des facteurs tels que la pauvreté, les normes et pratiques sociales discriminatoires maintiennent encore les enfants dans le mariage malgré les efforts du gouvernement et de ses partenaires. Aujourd’hui, l’insécurité exacerbe le phénomène », analyse la conseillère technique Genre de l’ONG Save the Children, Sylvie Valian.
Dans plusieurs parties du pays, les crises sécuritaire et humanitaire ont exacerbé une pratique ancestrale.
« L’insécurité a augmenté le taux de mariage d’enfants. En 2022, nous avons fait une analyse diagnostique et nous avons effectivement constaté que cette situation d’insécurité, en plus de la crise sanitaire liée à la Covid-19, a occasionné beaucoup de fermetures d’écoles, de nombreux déplacements de populations, si bien que cela a augmenté le nombre de mariages d’enfants au Burkina », insiste Eulalie Yerbanga. Ainsi, le nombre de cas de mariages d’enfants a triplé, en moins de 5 ans. De 178 en 2016, le nombre est passé à 536 en 2020, selon le Ministère en charge du genre. Pour le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF Burkina), en 2022, le pays comptait 2,8 millions d’enfants mariés et plus de 52 % de femmes mariées avant l’âge de 18 ans et 10 % avant l’âge de 15 ans (soit 548 200 enfants) L’insécurité a accru la vulnérabilité des populations notamment en milieu rural. Pour nombre de parents, le mariage se présente comme un moyen de protéger leurs enfants, mais aussi de faire face aux difficultés socio-économiques, estime Sylvie Valian.
« Avec le terrorisme, il y a de nombreuses personnes déplacées. Les parents éprouvent vraiment des difficultés à s’occuper de leurs familles. Donc donner sa fille en mariage, c’est avoir moins de bouches à nourrir. On se dit que son mari va la protéger et s’occuper d’elle », renchérit-elle.
Echanger contre des vivres
Fini désormais le temps où Adissa Sawadogo parcourait une dizaine de kilomètres (km) pour se rendre l’école. A 16 ans, sa nouvelle vie de « femme » au foyer l’a définitivement éloignée des salles de classe de Pibaoré, à 40 km au Sud-Est de Kaya. Installée dorénavant au secteur 2 de Korsimoro, son rêve de poursuivre ses études s’est brisé à cause de l’insécurité. En effet, du fait des exactions des groupes obscurantistes, sa famille s’est réfugiée dans cette localité située à une trentaine de km de Kaya. Sans véritables moyens de subsistance, le père a du mal à joindre les deux bouts. « Mon père a trois femmes et 14 enfants. C’était devenu très difficile pour nous. Même pour manger, c’était un problème. Mes frères sont allés sur les sites d’orpaillage, mais rien n’a changé », témoigne l’ancienne élève. Pour s’occuper des siens, le géniteur souscrit auprès d’une tiers pour prendre des vivres afin de les nourrir, indique la sœur Véronique Kansono du Centre Maria-Goretti de Kaya qui accueille des jeunes filles victimes de mariage précoce ou de mariage forcé et qui a suivi le « dossier » au moment des faits. Faute de moyens et se trouvant dans l’incapacité de rembourser, son père a proposé sa fille en mariage à son créancier, ajoute la religieuse.
Mariée à 13 ans
L’insécurité a perturbé le système éducatif burkinabè, entrainant la fermeture de plusieurs écoles, privant ainsi les enfants, surtout les filles de leur droit à l’éducation. Pis, elle a « contraint » certaines à se « mettre la corde au cou », précocement, les éloignant pour toujours, des bancs de l’école du « blanc ». En effet, les jeunes filles qui sont victimes de mariage très tôt sont moins susceptibles de rester scolarisées, estime la conseillère technique genre de Save The Children, Sylvie Valian. Selon la Direction générale des études et des statistiques sectorielles du Ministère de l’Enseignement de Base, de l’Alphabétisation et de la Promotion des langues nationales (DGESS/MEAPLN), 654 cas d’abandons scolaires liés aux mariages d’enfants ont été signalés au cours de l’année scolaire 2021-2022 dont 593 cas en milieu rural et 61 en milieu urbain.
Fin septembre 2024, quartier Korona, secteur 8 de Banfora, région des Cascades. Assita Sagnon est pleine d’amertume. La native de Koflandé, village situé dans la commune de Mangodara, affirme que sur proposition de ses parents, elle a accepté d’épouser son cousin, un fonctionnaire en service à Gaoua. « J’étais au CM1. Comme notre école était fermée. Il a promis à mes parents que j’allais continuer l’école chez lui », relate Assita, âgée seulement de 13 ans à l’époque (2020). Cinq années plus tard, Assita n’a plus remis les pieds dans une salle de classe. « Quand je suis arrivée chez lui en septembre 2020, j’avais mon certificat de scolarité et mes derniers bulletins sur moi. Je l’ai rappelé sa promesse et mon souhait de continuer les cours. Il m’a dit que je ne suis pas venue chez lui pour aller à l’école, que je dois plutôt m’occuper de lui et lui faire des enfants », confesse-t-elle, fuyant tout regard. Les malentendus se multiplient entre les deux tourtereaux. Le couple vole en éclat. Les noces sont rompues. Assita n’a plus de foyer et n’est plus sur les bancs de l’école. « Je regrette tellement d’avoir abandonné l’école pour ce mariage », marmonne l’ancienne élève, avant de s’indigner : « Si j’étais restée et avais continué, j’aurai eu mon CEP et je serai en 3e cette année. Toutes mes camarades sont avancées dans leur cursus scolaire. Aujourd’hui, je suis devenue une charge pour tout le monde. Je n’ai aucune qualification. Je ne sais pas faire grand-chose de mes dix doigts ».
Un avenir hypothéqué
Le terrorisme a anéanti les espoirs et les rêves des enfants vulnérables, en particulier des filles qui devraient étudier au lieu d’être mariées. En 2021, l’ONG Plan International a publié une étude intitulée : « Causes et conséquences de la déscolarisation des filles en situation d’urgence ». Celle-ci révèle que les filles courent 2,5 fois plus de risques d’être déscolarisées que les garçons dans une situation de crise. Déjà fragilisées par des conditions de vie parfois précaires, c’est leur vie et leur avenir qui sont désormais en péril. « L’accès réduit à l’éducation à cause du terrorisme, aggrave encore les risques pour les filles, les expose à l’exploitation et limite leurs perspectives d’avenir », développe Sylvie Valian.
Privées d’écoles, loin des classes, Awa, Rosalie, Adissa, Assita … ont vu leurs rêves brisés. Rosalie se dit consciente des inconvénients du mariage précoce. Pour elle, le mariage détruit la vie de la jeune fille et la prive de son droit à une éducation de qualité. « Etant élève, je ne pense pas qu’on puisse concilier les deux : le mariage et l’école. J’aimais l’école et je voulais devenir une enseignante, pour donner les cours, partager la connaissance aux enfants », ajoute-t-elle. Le terrorisme a également eu raison des aspirations de la petite Adissa à devenir sage-femme. Elle estime avoir hypothéqué son avenir en se mariant avant d’avoir achevé son cursus scolaire. Adissa confie aussi être dans l’incapacité de s’occuper de son mari et d’aller à l’école, en même temps.
« Je suis seulement une femme au foyer. L’école, ce n’est pas pour les filles mariées », ironise-t-elle. Après son expérience malheureuse, Assita estime que le mariage d’enfant est un grave cas de Violences basées sur le genre (VBG) qui a de nombreuses conséquences négatives.
« Tu ne peux pas faire de longues études. A cet âge, tu n’es pas en mesure de porter une grossesse, ni de bien t’occuper de toi-même, ou d’un bébé. Tu ne pourras plus obtenir un diplôme qui te permettra d’avoir un emploi », explique-t-elle.
Afsétou Lamizana de l’Association d’appui et d’éveil pugsada (ADEP) est du même avis. Elle argue que les filles qui entrent dans une union abandonnent systématiquement l’école. A l’en croire, il n’est pas évident de pouvoir allier la vie scolaire à celle de couple, surtout pour un enfant.
« Quand une fille est mariée, à l’âge où elle doit aller à l’école, il y a la question de maternité qui entre en ligne de compte. Une fille mariée est susceptible de tomber enceinte avant que son corps ne soit complètement mature, ce qui augmente les risques de complications graves. Elle doit aussi s’occuper de son époux. Donc, elle finit par abandonner l’école pour rester dans son foyer », détaille Mme Lamizana. Le Fonds des Nations unies pour la population (UNFPA-Burkina) est formel : « Le mariage d’enfant sonne la fin de l’éducation des filles ».
Se cacher dans un cimetière pour échapper à son bourreau
Farouchement opposées aux unions précoces, des jeunes filles ont bravé les décisions de leurs pères. Bannies de leurs familles, elles ont pris la fuite. Dans le Centre-Nord, nombre d’entre elles ont trouvé refuge au centre Maria-Goretti de Kaya. Ce foyer accueille 105 jeunes filles, à la date du 14 octobre 2024 dont 85 d’entre elles ont fui des noces « forcées ». « Ces temps-ci, elles arrivent en grand nombre. Avec l’insécurité, les filles sont devenues une charge pour leurs parents. Les écoles sont fermées. Donc les parents ne voient plus l’utilité de garder leurs filles », insiste la responsable du centre, Véronique Kansono.
Assise dans la salle d’attente, Fatimata Bamogo, 14 ans, est sur le qui-vive. Le regard hagard, les mains croisées entre les jambes, cette orpheline manque de sérénité. Après la mort de ses parents, dans une attaque terroriste, ses frères et elle ont été confiés à un « oncle » à Pissila, conte-t-elle. Selon elle, ce dernier a proposé de la donner en mariage à un homme de la cinquantaine. « Je devais être en classe de CE2, mais mon oncle dit d’arrêter les études, car il m’a trouvé un mari. Je lui ai dit que je voulais continuer mes études, mais il n’était pas d’accord », expose la « gamine », toujours apeurée. Alors que les noces sont programmées, Fatimata s’enfuit nuitamment. Convaincue que sa famille et son « bourreau » iront à sa recherche, elle dit avoir fait le trajet uniquement les nuits et, s’être cachée dans un cimetière, au lever du soleil. Au bout de plusieurs jours de marche et de mendicité pour se nourrir, elle arrive au centre Maria-Goretti, dans la Cité des brochettes au Koura-Koura.
Réussir pour se faire pardonner
Après des jours de cavale pour échapper à un mariage forcé, à Barsalogho, Mariam Bamogo, a également trouvé « paix et protection » auprès des sœurs de l’Immaculée conception à Kaya. A l’époque, en 2021, alors âgée seulement de 13 ans et en classe de CM2, elle affirme que ce mariage ne lui aurait pas permis d’avoir un « avenir meilleur ». « Je rêvais de devenir une sage-femme, pour aider mes mères et mes sœurs à donner vie », confie-t-elle. Après quatre années blanches, le centre Maria-Goretti l’a remise sur le chemin de l’école cette année scolaire, mais elle avoue rencontrer d’énormes difficultés. « Mes parents m’ont mis en retard. Actuellement quand je prends mes cours, je n’arrive pas à me concentrer », admet Mariam, 17 ans.
Déscolarisée du fait du terrorisme et mariée de force à 16 ans, Valentine Ouédraogo a aussi fui le foyer conjugal. Désormais loin des siens et de son « époux légitime », elle est de retour en classe, grâce au soutien des religieuses. « Je travaille beaucoup, car j’ai fait cinq années blanches. Je lis et fais beaucoup d’exercices pour me rattraper. J’ai envie de réussir pour me faire pardonner auprès de ma famille. Mon père est toujours en colère, car je l’ai désobéi. Mais je vais réussir pour aider ma famille. Elle est déplacée aujourd’hui et souffre beaucoup », soutient Valentine, les yeux remplis de larmes.
Maintenir les filles à l’école
Face à cette violation des droits de l’enfant, le gouvernement, la société civile, les partenaires techniques et financiers se mobilisent. Sur le terrain, ils sensibilisent les populations, recueillent, instruisent et forment les victimes et plaident auprès des décideurs pour le maintien des filles à l’école, tout en sanctionnant les auteurs et complices de cette pratique néfaste. « La priorité, c’est de sensibiliser à tous les niveaux pour qu’on évite de faire entrer les filles dans le mariage à un bas âge. Quand une fille est scolarisée, c’est un gain pour tout le monde. D’abord pour sa famille, pour ses parents, pour elle-même, pour son futur époux et ses futurs enfants. C’est toujours mieux d’attendre qu’elle ait l’âge de se marier et de choisir avec qui elle veut se marier », commente Afsétou Lamizana de l’ADEP.
En plus de la sensibilisation, la CONAMEB mène des plaidoyers auprès des décideurs afin qu’ils adoptent des textes en faveur de la protection et de la promotion des droits des enfants. « … et le mariage d’enfant fait partie des violations des droits de l’enfant », rappelle Eulalie Yerbanga. Elle se convainc que l’éducation est la clé pour venir à bout de ce fléau qui ruine la vie des enfants, en particulier des filles et les empêche de participer au développement du Burkina. « L’éducation est la base du développement d’un pays. Si les filles ne vont pas à l’école, elles ne pourront pas contribuer au progrès du pays. Donc, les marier très tôt les empêche d’aller à l’école et d’apporter leur pierre à l’édifice », déclare Mme Yerbanga.
La sœur Véronique Kansono du centre Maria-Gorreti, plaide pour un assouplissement des coutumes, vis-à-vis de la jeune fille, surtout en cette période de lutte contre le terrorisme. « Avec le mariage d’enfants, nos filles sont des martyres de nos coutumes et de l’insécurité. (…) Nos coutumes pèsent lourdement sur nos filles, surtout aujourd’hui. Elles sont riches mais il faut les aménager », intercède la religieuse. Elle souligne que la nécessité d’inscrire et de maintenir les filles à l’école, car, selon elle, l’éducation est le meilleur moyen de leur offrir un avenir meilleur. L’école est bénéfique, insiste-t-elle.
Sans instruction, la fille reste confinée dans des rôles secondaires, ajoute la Sœur Véronique Kansono. C’est pourquoi, le centre prévoit de construire une passerelle afin d’y dispenser des cours d’appui aux pensionnaires. En attendant, les filles apprennent plusieurs métiers comme le tissage, la couture, la coiffure, le maraîchage, la restauration… « Nous leur fournissons les bases pour qu’elles puissent devenir autonomes. Nous les formons aux activités génératrices de revenus. Une chose est de demander de ne pas marier la fille précocement, mais si elle ne va pas à l’école, elle n’a pas appris un métier, elle ne peut pas s’auto-suffire », reconnait la responsable du foyer. A défaut donc d’aller à l’école, Assèta Sawadogo qui est arrivée au foyer en 2022, âgée de 16 ans, se retrouve dans le « salon » de coiffure et de couture. Rosine Zagré, 15 ans, quant à elle, apprend à tricoter et à faire de la pisciculture. La Sœur Véronique Kansono dit qu’à travers la formation aux métiers, les filles victimes de mariage forcé ont la possibilité de réussir et de reprendre leur vie en main. Pour de nombreuses victimes, cela signifie aussi un retour dans les salles de classe. « Tout ce que je veux, c’est aller à l’école comme mes camarades. Je ne veux pas me marier actuellement », plaide Fatimata.
Djakaridia SIRIBIE
dsiribie15@gmail.com
Un fardeau pour les filles
Au Burkina, une fillette sur deux est mariée avant ses 18 ans et une sur dix avant ses 15 ans, selon l’UNICEF. Bien que le pays ait réalisé des progrès significatifs contre cette pratique néfaste et illégale, nombreuses sont les filles à être contraintes de se marier, du fait de l’insécurité. Au sein de plusieurs communautés, le mariage d’enfants est pratiqué pour diverses raisons. De gré ou de force, les enfants notamment les filles sont « offertes », sans qu’elles n’aient la possibilité de décider ou de choisir. Telle une épée de Damoclès, elles sont hantées par les désidératas de leurs géniteurs. Mariées très tôt contre gré, le plus souvent à un « inconnu », les filles y vivent le martyr et voient leurs perspectives d’avenir limitées. D’autant plus que dans la plupart des cas, se marier précocement rime avec abandon scolaire. Aussi, les filles mariées sont susceptibles de tomber enceintes avant que leur corps ne soit complètement mature, ce qui augmente les risques de complications graves liées à la santé. En outre, le mariage demande une maturité psychologique ou mentale. Ce qui expose les adolescentes mariées de force, à des dépressions. Si les mariages d’enfants pouvaient se justifier, jadis, aujourd’hui, ces raisons sont obsolètes. Les filles devaient aller l’école et avoir la possibilité de choisir leur conjoint à l’âge de la majorité. Etre instruite rime avec accès à l’emploi, à de meilleurs revenus, à une autonomisation pour la fille.
D. SIRIBIE
Julie Rose Ouédraogo, magistrate : « Le succès de la lutte contre le mariage d’enfants repose sur la volonté et l’engagement politiques »
Militante des droits humains, depuis plus de 23 ans, la magistrate Wend-Zoodo Julie Rose Ouédraogo, décrypte dans cet entretien, les dispositions de la législation burkinabè qui condamnent le mariage d’enfant. Aussi, elle plaide pour un engagement des autorités contre le phénomène.
Sidwaya (S.) : A partir de quel âge, parle-t-on de mariage d’enfants ?
Julie Rose Ouédraogo (J.R.O.) : L’article 1er de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE ou CDE) définit l’enfant comme l’être humain âgé de moins de 18 ans sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable. La Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant (CADBE) reprend la même définition de l’enfant mais elle exclut la possibilité d’une acquisition plus tôt de la majorité. Ce qui engage les Etats signataires de la CADBE a fixé à 18 ans au moins, l’âge de la majorité. Au Burkina Faso, l’article 554 du Code des personnes et de la famille en vigueur (le nouveau Code n’a pas encore été adopté par l’ALT) dispose que le mineur est l’individu de l’un ou de l’autre sexe qui n’a pas encore l’âge de 20 ans accomplis. Le Burkina Faso, faut-il le préciser a ratifié la CADBE. En se référant aux dispositions de l’article 2 de la CADBE, l’on pourrait dire que le Burkina Faso a fixé la barre plus haute en ce qui concerne l’âge de la majorité (20 ans au lieu de 18 ans). Tenant compte de notre législation sur l’âge de la majorité, les mariages entre des individus n’ayant pas encore l’âge de 20 ans peuvent être considérés comme étant des mariages d’enfants car ceux-ci sont des mineurs. Aux termes des dispositions de l’article 238 du Code des personnes et de la famille (CPF), le mariage ne peut être contracté qu’entre un homme de plus de 20 ans et une femme de plus de 17 ans. Ces dispositions pourraient s’analyser à une « légalisation » par le Burkina Faso des mariages d’enfants pour ce qui concerne uniquement les femmes, car l’âge requis pour la femme (17 ans révolus) est inférieur à l’âge de la majorité (20 ans). En plus, il est permis que pour « motif grave » le juge autorise le mariage entre un homme de 18 ans et une femme de 15 ans. L’appréciation du « motif grave » est laissée au juge. Mais l’on peut penser aux cas de grossesse. Cette incohérence dans notre législation entre l’âge de la majorité et l’âge légal du mariage justifie les actions des organisations de la société civile qui plaident pour une harmonisation entre l’âge pour le mariage et l’âge fixé par la CADBE pour la majorité, c’est-à-dire 18 ans, aussi bien pour la femme que pour l’homme.
S. : Quelles sont les sanctions prévues par la loi, en cas de mariage d’enfants ?
J.R.O. : Il faut préciser que pour le Code pénal, le mariage concerne toutes les formes d’union, pas seulement les mariages célébrés par l’officier de l’Etat civil mais aussi les mariages célébrés selon les règles religieuses, coutumières … Les sanctions en matière de mariage sont prévues aux articles 531-1 et suivants du Code pénal. L’article 531-4 condamne d’une peine de prison de six mois à deux ans, quiconque contraint une personne au mariage. Et la peine est de 1 à 3 ans lorsque la victime est mineure. Les mariages civils célébrés en violation des règles qui régissent le mariage encourent la nullité.
S. : Pourquoi malgré la sensibilisation et la répression, le phénomène continue, selon vous ?
J.R.O. : Selon les différents rapports d’études sur la thématique, le phénomène trouve ses origines dans certaines pratiques ou croyances traditionnelles. Et quand des pratiques sont enracinées dans des croyances, leur abandon n’est pas facile. A titre d’exemple, on a la croyance selon laquelle une fille dès qu’elle a ses menstrues ou lorsqu’elle est en grossesse, ne doit plus rester dans la cour familiale. On marie alors très tôt la fille afin d’éviter ces situations. Dans certaines contrées du Burkina Faso, on assiste toujours aux pratiques de « dons » de fille ou de promesse de fille en mariage dès leur naissance, aux pratiques « d’échanges ». Il y a également la pauvreté qui peut pousser certains parents à marier leurs enfants (généralement les filles) afin de réduire leurs charges familiales. Une autre cause non négligeable est la recherche de confort ou de bien-être par certaines filles mineures victimes de violences familiales ou vivant dans une situation d’extrême pauvreté. Elles trouvent ainsi leur refuge dans le mariage.
S. : Comment doit-on lutter contre le mariage des enfants ?
J.R.O. : Il faut comprendre les motivations profondes de la pratique et trouver les réponses adéquates. Par exemple la scolarisation et le maintien des enfants, surtout les filles, à l’école sont proposés comme des solutions pouvant contribuer à éliminer les mariages d’enfants. Cela découle du constat que la non-scolarisation ou la déscolarisation précoce favorise le mariage d’enfants (des filles notamment). Toutefois, il faut veiller à ce que les solutions proposées aboutissent à des résultats positifs et convaincants. Le succès dans la lutte contre les mariages d’enfants repose surtout sur la volonté et l’engagement politiques. L’adoption du nouveau CPF offre ainsi une opportunité d’harmoniser l’âge du mariage à l’âge de la majorité car le mariage est une institution très importante pour laquelle l’on doit s’assurer que ceux qui s’y engagent ont pleinement conscience de la portée de leur décision et des responsabilités qui s’y attachent. Ne dit-on pas que la famille fondée sur le mariage est la cellule de base de notre société. L’un des défis pour le développement durable d’un pays repose sur l’éducation de qualité à offrir aux enfants afin de leur permettre de développer tout leur potentiel. Cette éducation de qualité ne saurait prospérer dans un contexte de mariages d’enfants. Le politique est donc interpellé dans la lutte pour l’élimination des mariages d’enfants.
Enfin, il est impératif d’intensifier les campagnes de sensibilisation contre les mariages d’enfants en impliquant les leaders communautaires. Les informations sur les conséquences graves du phénomène des mariages d’enfants sur la santé sexuelle et reproductive des filles/femmes doivent être vulgarisées (accouchements difficiles pouvant provoquer des décès ou des maladies telles que les fistules, la stérilité…) à titre dissuasif.
Interview réalisée par
Djakaridia SIRIBIE