Sékou Sangaré de la CEDEAO : «La transhumance se complexifie avec le changement climatique»

La transhumance, un maillon fort dans le développement économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest et du Sahel est une priorité de la Commission économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Le commissaire de l’Agriculture, de l’Environnement et des Ressources en eau, Sékou Sangaré donne sa vision sur ce système de production. Interview !

Sidwaya (S) : Quelle lecture faites-vous de la transhumance frontalière?
Sékou Sangaré (S.S.): La transhumance transfrontalière est un mode d’élevage basé sur la mobilité des éleveurs et de leurs troupeaux. Elle s’impose, car à un certain moment de l’année, notamment pendant les périodes sèches, il n’y a pas d’eau pour que les animaux puissent s’abreuver ni de pâturage. A cause de ces deux éléments majeurs, les éleveurs sont obligés de se déplacer. Mais, ce déplacement peut se faire en vue d’accéder à des marchés pour vendre le bétail à de meilleurs prix et subvenir ainsi à leur besoin domestique. Ils se déplacent des pays qui sont reconnus en matière d’élevage notamment, le Burkina Faso, le Mali, le Niger et le nord du Nigéria.

S : Quels sont les couloirs existants au sein de la CEDEAO ?
S.S. : Dans notre région, nous avons trois grands couloirs. Le couloir central qui rassemble autour du Ghana, des pays comme la Côte d’Ivoire, le Togo, le Bénin, le Nigéria, le Burkina, le Mali, le Niger dont une partie du cheptel se déplace énormément vers les pays côtiers. Il y a un grand courant d’échange au niveau du couloir central. Le couloir de l’Est est également une zone de transhumance autour du Tchad qui implique la République du Tchad, la République Centrafricaine, le Cameroun, le Niger et le Nigéria. Nous avons organisé en fin septembre à Ndjamena une réunion autour de ce couloir de l’Est. Le troisième grand couloir regroupe la Gambie, le Sénégal, la Guinée Bissau, la Sierra Leone, le Libéria et la Côte d’Ivoire autour de la Mauritanie. Les animaux ne respectent pas les différents couloirs qui sont délimités et cela engendre parfois des conflits avec les agriculteurs.

S : La transhumance est l’une des priorités de l’organisation. Quelles sont les principales actions qui sont mises en œuvre au niveau de la commission pour son développement ?
S.S. : La transhumance est une question prioritaire. Le fait nouveau c’est que depuis quelques décennies, elle se complexifie par le changement climatique, les conditions de vie difficiles, le déplacement prématuré des animaux, car la saison sèche arrive plutôt que dans le passé. Il y a aussi l’accroissement de la population, l’augmentation des superficies agricoles. En sus, l’espace fait l’objet de beaucoup de compétition entre les agriculteurs et les éleveurs qui veulent successivement des champs et de l’eau ou du fourrage pour leur bétail. A cela s’ajoute le terrorisme qui donne l’occasion à certains de faire des amalgames, car tous les conflits dans l’espace ne sont pas uniquement entre agriculteurs et éleveurs.

S : La CEDEAO prône la libre circulation des personnes et des biens. Pour la filière de la transhumance, il y a des obstacles qui débouchent malheureusement sur des conflits. Quelles en sont les causes?
S.S. : Il s’agit d’une mauvaise application et compréhension. Selon la réglementation, le cheptel doit être accompagné par des bergers qui doivent avoir un âge minimum de 18 ans. Il faut également au minimum un gardien pour 50 bœufs, mais l’on peut trouver des situations où un berger de moins de 18 ans dirige 300 ou 500 bœufs. Dans ce cas, la surveillance n’étant pas efficace, des problèmes peuvent provenir. Il arrive aussi que les troupeaux ne respectent pas l’utilisation de ces couloirs de transhumance et se créent d’autres couloirs pour accéder aux pays voisins. Après leur installation, s’il n’y a pas d’infrastructures d’accueil comme l’eau, les aménagements, il peut y avoir des conflits, car les animaux ont besoin de se nourrir.

S : Des règlementations communautaires ont été adoptées pour faciliter la transhumance. Quels sont les principaux obstacles à leur domestication au niveau des pays ?
S.S. : Nous voulons une transhumance apaisée, sans mort d’homme dans un contexte de non-violence qui passe dans un cadre réglementaire où les règles sont définies et connues de tous. Nous avons une réglementation depuis 1998 sur les règles de la transhumance. Elle précise que aller d’une zone à une autre (dans un autre pays) il faut que l’animal ait une carte internationale de transhumance indiquant le nom du propriétaire, la zone de départ et souligne si l’animal est porteur sain pour permettre de faciliter l’identification et mieux gérer les difficultés. Pour une transhumance, il faut en plus, des comités nationaux de transhumance, connaître le trajet du troupeau des jours à l’avance, le statistique. Dans les pays d’accueil, il est nécessaire d’organiser les couloirs de transhumance pour faciliter le déplacement des animaux et ce, sans qu’ils n’empiètent les cultures, les plantations des agriculteurs. Depuis 2003, il y a une deuxième réglementation exécutive notifiant les dispositions pratiques à prendre. Elle est basée sur le dialogue et le respect des textes. C’est pourquoi, au niveau local, il convient de créer des possibilités de rencontre à l’approche des périodes de transhumance et respecter les textes. Par exemple, les bergers ne peuvent rentrer dans un pays que pendant le jour pour être accueillis. En cas de conflits, il faut que les sages, au niveau local, composés de représentant des élus, des éleveurs, des agriculteurs puissent se retrouver pour gérer les conflits.

S : Le poids économique des pays comme la Côte d’Ivoire et le Nigéria n’impacte-t-il pas les décisions de la CEDEAO sur la transhumance ?
S.S. : La Côte d’Ivoire et le Nigéria sont aussi des pays à la fois agricoles et d’élevage. La Côte d’Ivoire, malgré toute sa puissance dans la production du cacao, produit beaucoup d’anacardes, mais est également un grand pays d’élevage. C’est la même situation au Nigéria les éleveurs qui y sont se déplacent avec leur troupeau tout comme les éleveurs du Mali et d’ailleurs. Le Nigéria ; a défini récemment des politiques qui permettront de sédentariser les petits et gros éleveurs de sorte que ce qu’ils vont chercher ailleurs, ils les trouvent sans se déplacer sur plusieurs distances, car le véritable problème, c’est de faire des centaines de kilomètres avec un animal. Celui-ci dépense toute son énergie dans le déplacement et dévient très peu productif. Conséquence, la viande d’un tel animal n’est pas de bon goût. L’éleveur a intérêt à mieux valoriser son animal s’il veut le vendre. Que le déplacement se passe dans un rayon de distance optimale qui ne dégrade pas la qualité du bien économique.

S : Quand une puissance comme le Nigéria décide de fermer ses frontières, cela n’impacte pas la transhumance ? Qu’est-ce que la CEDEAO fait pour y remédier ?
S.S. : Je crois que la fermeture de la frontière du Nigéria n’est pas liée à la question de la transhumance. Il y a des transhumants Nigérian qui vont au lac Tchad par exemple. Une décision a été prise par le gouvernement fédéral pour des raisons liées à la mauvaise application des textes de la communauté par les uns et les autres. Au sein de la CEDEAO, nous encourageons la valorisation des produits de la région ; malheureusement, les pays membres de la commission exportent des produits comme le riz, les poulets, le poisson les réemballent avec les étiquettes locales et essayent de les réexpédier sous forme de label de la production nationale. C’est compte tenu de cette situation que le gouvernement du Nigéria a essayé de mettre en place une période probatoire pour évaluer ces mesures. Si chacun décide d’être sérieux dans l’application des textes, nous pouvons développer un bassin d’emplois, créateur de revenus pour les populations.

S : Quels sont les freins à l’application des mesures ?
S.S. : Les freins qui existent découlent de la mauvaise application et de la méconnaissance des textes. Il faut que chaque pays, aussi bien les pays de départ que ceux d’accueil soient conscients que l’élevage est une activité économique. Il rapporte aussi bien aux pays du Sahel, à leurs éleveurs, à la population, mais aussi aux pays qui les accueillent. Nous consommons du yaourt importé alors que chaque matin, des femmes au Sahel jettent des volumes de calebasse de lait parce qu’elles n’ont pas été achetées. Pourquoi ne pas développer nos marchés intérieurs et faire en sorte que les produits du Sahel puissent être valorisés. Depuis le mois de juillet à Lomé nous avons eu une réunion avec les organisations professionnelles, nous les appuyons avec des moyens pour préparer des projets de transformation de la mini laiterie. Nous allons accélérer ce processus.

S : Quel est l’apport de l’élevage au sein de l’espace communautaire ?
SS : L’élevage représente après le pétrole, un volume d’échange de plus d’un demi-milliard de dollars annuellement au niveau de la région. Il y a des revenus extrêmement importants qui sont dégagés dans un contexte où la filière élevage est moins valorisée. Une ville comme Lagos de plus de 20 millions d’habitants consomme par jour plus de 600 camions de bœufs. Chaque camion a, au moins, 40 animaux.

S : Quel est l’impact de la recrudescence de l’insécurité sur l’économie de
l’élevage?
S.S. : Au Burkina tout comme au Mali, le bétail quitte de plus en plus dans les zones de conflits pour venir dans des zones dites sûres. Au Niger c’est le même constat. La réunion de concertation de haut niveau a souligné un autre cas : de plus en plus, les éleveurs vont en transhumance et ne reviennent plus. Nous allons prendre des dispositions pour mieux gérer cette situation. Il faut pour y remédier, un retour à la paix et à la sécurité dans l’ensemble des pays. Cette priorité a été prise en compte au sommet des chefs d’Etat tenu à Ouagadougou. Des moyens doivent être donnés aux Forces de défenses et de sécurité pour protéger la population et contrer le terrorisme, le grand banditisme, car tant qu’il y a de l’insécurité, aucune activité ne peut prospérer. Nous venons en outre, de mettre en place un instrument financier qui permettra d’apporter des innovations et des financements aux exploitations agricoles dans la région qui sera gérée par la banque d’investissement et de développement de la CEDEAO. Nous nous fixons un objectif de 80 millions de dollars.

Entretien réalisé par

Mariam SOMDA Depuis Accra

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