Personne de ressource bien avisée du football burkinabè, Laurent Blaise Kaboré, ancien président de l’USO et ancien vice-président de la Fédération burkinabè de football, en homme bien averti, fait une analyse poignante et pointue de la 22e Coupe du monde.

L’organisation de la compétition

D’abord au plan institutionnel : cette édition a montré que l’Europe, l’Amérique, n’ont pas le monopole de l’organisation réussie de grands évènements à l’échelle mondiale. La Coupe du monde qui vient de s’achever, aux dires du président Giovanni Infantino lui-même, a été la mieux organisée de l’histoire de cette compétition. Il ne faut pas voir dans une telle appréciation, « une défense de chapelle » qui reviendrait à dire que le président de la FIFA ne pouvait pas dire autre chose que ce qu’il a dit à propos de l’organisation de cette compétition. Les statistiques parlent d’elles-mêmes et donnent raison à Infantino.

Ce qui est intéressant, c’est de voir, qu’il n’est pas celui qui a attribué l’organisation de cette édition au Qatar. Ceux qui l’ont fait, qui étaient à la tête de la FIFA ont été contraints d’une manière ou d’une autre par la finance internationale à quitter leurs postes avec tous les problèmes que les différents argentiers notamment américains leur ont causés. Je comprends qu’après avoir refusé l’organisation de la Coupe du monde de 2018 à l’Angleterre, allié naturel des USA pour élire la Russie (ennemie stratégique des USA), puis celle de 2022 aux USA au profit du Qatar, la pilule ne pouvait pas passer auprès des grands argentiers du football mondial.

Mais bon, ceci relève d’un autre niveau de réflexion. Ce que je voudrais dire, c’est de reconnaitre que ceux qui ont contesté l’attribution de l’organisation de la Coupe du monde au Qatar ont eu tort. Leur argument principal consistait à dire que ce pays n’est pas celui de football comme si en 2010, l’Afrique du Sud était un pays de culture footballistique bien supérieure aux autres pays candidats à l’organisation de l’édition de 2010. Oui, certains pourraient dire que c’était le tour de l’Afrique d’organiser la Coupe du monde.

Pareil argument ne tient pas la route car le tour de l’Afrique était en 2006, mais on a choisi de donner cela à l’Allemagne qui a fait pression sur les instances de la FIFA. Là aussi, c’est une paire de considération. Ce qu’il faut retenir, c’est bien l’idée que tout pays qui ambitionne organiser la Coupe du monde de football et qui en a les moyens, doit pouvoir le faire avec le soutien de toute la communauté de cette compétition. Or, le Qatar, Dieu seul le sait, a d’énormes moyens. Quid des droits de l’homme ? Que nenni. Tous les pays qui ont organisé de par le passé la Coupe du monde respectaient-ils les droits de l’homme plus que le Qatar ? Je n’en sais rien. Et même si cela était le cas.

De la période retenue pour la compétition

L’autre reproche revenait à dire que la période de cette compétition n’est pas compatible avec la saison sportive dans le monde. Cet argument ne tient pas non plus la route du fait que toutes les parties du monde ne jouent pas au football au même moment. Le championnat brésilien ne coïncide pas avec celui de la France ni celui de l’Espagne, les compétitions sud-américaines de football, comme la Copa Libertadores, ne coïncident pas avec la League des champions européenne…

D’ailleurs, les différents pays d’Europe, ne jouent-ils pas en novembre-décembre au foot ? Ou est-ce une manière de nous faire accepter sans broncher la suprématie européenne, occidentale ? Ne nous laissons pas divertir par certains médias notamment français qui tentent, autant qu’ils le peuvent, de noircir le tableau du Qatar. Et, on sait pourquoi. Si la France avait gagné cette édition, nous aurions droit à d’autres discours. Donc que le Qatar ait réussi son organisation, je ne peux que m’en réjouir car cette réussite est aussi celle de tous les pays que l’on tient en marge de la marche du foot mondial.

Et félicitations au Qatar, à tous ces acteurs (Sepp Blatter, Michel Platini, pour ne citer que les plus grandes victimes) qui ont cru au Qatar car étant convaincus que le foot, s’il prétend à l’universalité, ne saurait être l’apanage de quelques pays.

Option apolitique de la FIFA

Sur le plan de la vision du football, je me réjouis du retour avec insistance de la FIFA à maintenir son principe inaliénable de garder le football dans son absolue neutralité. Point de politique, point de religion, point de discrimination.

Voyez-vous, c’est important que la FIFA maintienne le cap de telles valeurs et convictions. Le football, en particulier, le sport en général, demeure la seule activité de notre terre capable de fédérer toutes les énergies humaines dans un même élan de communion. Si l’on n’y prend garde et par distraction, l’on laisse infiltrer dans le milieu du sport certaines pratiques ou tendances discriminatoires, l’humanité ira plus vite à sa perte. Et Dieu seul sait que des tentatives d’intégrer des éléments destructeurs ont eu lieu durant cette coupe.

J’en veux pour preuve, la tentative de l’Allemagne de rentrer au Qatar avec son message de soutien à l’homosexualité. On me dira qu’il s’agit de respect des droits de l’homme. Je veux bien. Je n’ai rien contre les homosexuels. Mais, n’est-ce pas que le respect des droits de l’homme impose à chaque individu, à chaque nation, le respect des valeurs en vigueur dans un pays ?

Le sacre de l’Argentine

Au plan du jeu dans son ensemble, je pense que les 64 matches ont été d’un niveau très élevé. Nous avons assisté à des matches vivants tactiquement et techniquement surtout dans un esprit de fair-play qui nous a donné un très beau champion : l’Argentine. Rien à dire sur le sacre de ce pays de très grande tradition footballistique.

Quand je regarde cette équipe, je pense à tous ces grands joueurs que ce pays a donné au foot depuis 1986, date de leur sacre sur le sol mexicain : Fernando Redondo, Abel Balbo, Gabriel Omar Battistuta alias « Batigoal », Gabriel (Gabi) Heinze, Pablo Aymard, Hernan Crespo, Juan Sébastien Veron, Juan Riquelmé, Xavier Zannetti, Xavier Pastore, Diego Simeone (l’entraineur actuel de l’Athlético de Madrid), l’ancien entraineur du PSG, Mauricio Pochettino, etc.

Pour moi, la victoire de l’Argentine est aussi la victoire de Diego Maradonna à titre posthume. Depuis 2010, il n’a cessé de pousser Messi à développer ce côté guerrier qui lui manque pour devenir un véritable Leader à même de remporter ce fameux mondial. Maradonna toujours reprochait à Messi de manquer de tempérament fort. Certes, il reconnait que son talent est incomparable.

Il est le meilleur joueur de son époque. Mais il lui manque cet esprit de soldat indispensable à la conquête du trophée mondial. Ensuite, lorsque Scaloni a été nommé sélectionneur de l’Argentine, Maradonna a été le seul à le critiquer sévèrement. Il lui a dénié son statut d’entraineur d’une grande équipe comme celle de son pays. C’est vrai que le pédigrée de Scaloni ne plaidait pas à sa faveur au moment de sa nomination. Pour Maradonna, un tel acteur ne pouvait pas amener son équipe nationale au sommet du football. La suite lui a donné tort. Mais, sa colère et ses critiques ont poussé Scaloni à beaucoup travailler.

Comme on ne répond pas à Maradonna, parce que personne ne vous soutiendra, il a choisi de se concentrer sur son travail, convaincu que réussir devient une obligation pour lui. Et pour ce faire, il s’en est remis à Messi qui, pour la première fois de son parcours en sélection, a eu toute la latitude de composer avec son sélectionneur les équipes qu’il voulait afin de l’accompagner dans sa mission. Nous l’avons vu à la Copa America passée. Nous l’avons vu aussi durant ce mondial : un Messi guerrier, combatif, agressif, souvent en colère contre tous ceux qui obstruaient le chemin de son équipe.

Ce nouveau tempérament de Messi a été décisif dans le triomphe de l’Argentine. Il montre qu’il ne suffit pas d’avoir du talent, fût-il celui de Messi pour gagner des compétitions internationales. A ce talent, il faut de la Grinta comme disent les Espagnols. Il ne faut pas voir dans cette analyse, l’apologie de la dictature dans une équipe de football. Il convient simplement de comprendre que dans une équipe, quoiqu’il en soit, il faut toujours un leader au service duquel les autres joueurs se mettent à disposition.

Quand de surcroit, ce leader est un extra-terrestre c’est-à-dire un joueur au talent hors-norme, qui peut faire gagner son équipe à tout moment, il faut le faire. On « déplorera » le privilège fait à untel joueur en acceptant, parfois, ses excès. Mais c’est bien normal. Il n’y a pas de grand joueur normal. Comme tout artiste d’ailleurs. Si vous êtes « normal », vous ne pouvez pas réaliser l’impensable, faire œuvre de génie.

La preuve, le Portugal qui est venu avec d’énormes joueurs qui avait, de mon point de vue, les joueurs les plus forts individuellement pris, n’a pas su créer cet environnement autour de Cristiano Ronaldo. Le sélectionneur l’a considéré comme tout autre joueur de son équipe : suprême erreur. Et ce n’est pas une victoire à 3-0 au détour d’une faible équipe qui change la donne. On n’est pas cinq (05) fois Ballon d’or au hasard. Pour me résumer, je dirai qu’une équipe de foot, c’est un groupe uni, soudé, autour d’un leader qui en est la locomotive. Or, Dieu seul sait que les passionnés de foot rêvaient d’une confrontation entre les deux monstres du foot mondial des 20 dernières années : Messi vs Cristiano Ronaldo.

La participation des équipes africaines notamment le parcours du Maroc

La dernière édition de la Coupe du monde a montré un niveau de jeu, de compétition assez intéressant du football africain. Quoiqu’on dise, nos équipes ont été performantes. Tactiquement et techniquement, il y a des motifs de satisfaction à tirer pour l’ensemble des cinq équipes avec pour point de fierté extrême, le parcours du Maroc. Sur ce point, justement, il y a d’énormes enseignements à retenir. D’abord, le Maroc nous a montré que rien ne s’obtient par hasard dans le football.

Depuis quelques années, je suis les innovations, les réformes conduites au Maroc en la matière. Ce pays a engagé un ensemble de réformes visant à organiser, moderniser l’ensemble des structures des sports de ce pays. A titre illustratif, le Roi a investi plus de 65 millions d’Euro dans la rénovation des infrastructures, de la détection des jeunes talents, de la formation, la contribution de l’expertise nationale et internationale, de l’organisation des compétitions.

Si nous sommes très fiers du parcours du Maroc à cette Coupe du monde, nous devons surtout nous inspirer du travail qui est fait en amont des résultats sur le terrain et dans les compétitions par les acteurs du football de ce pays. Cette idée est très importante au regard des mutations, changements, modifications opérés dans le football mondial avec le projet des changements de quotas de participation.

Le passage à neuf équipes pour l’Afrique

L’idée d’augmenter le nombre de participants par continent, de façon générale, m’inquiète. Je me demande si avec cette augmentation, nous serons encore dans un format de compétition très élitiste. Ne nous voilons pas la vue : la Coupe du monde draine autant de monde, de passionnés du foot, charrie autant de passion, d’investissements de tout genre, parce qu’il s’agit d’une compétition rare.

Elle ne se déroule qu’une fois les quatre ans et avec un nombre réduit de pays participants. Je crains qu’en étendant le nombre d’équipes à la phase finale, l’on enlève ce côté élitiste, piquant, rarissime qui caractérise une compétition de cette envergure. C’est vrai, le format éliminatoire peut être rapidement trouvé. Il suffirait par exemple, de faire un tirage au sort de l’ensemble des équipes à répartir en neuf poules.

Les premiers de chaque poule se verront qualifiés Ipso facto pour la phase finale. Pour les pays africains notamment ceux du Sud Sahara, je me demande si nos Etats, nos Fédérations nationales de football auront les moyens financiers, logistiques, matériels suffisants pour soutenir un tel rythme de compétition. Si tel n’est pas le cas, je crains qu’au finish, ce projet ne débouche sur une « mondialisation ultralibérale » du football qui ne tiendrait compte que de la rentabilité financière, économique de la Coupe du monde, du football ; toutes choses qui accentuera l’érosion footballistique de nos pays qui peinent déjà à maintenir des compétitions nationales du fait de l’omnipotence des médias occidentaux qui font tourner en boucle les matches de football de l’Europe.

L’arbitrage vidéo ou la VAR

Cette Coupe du monde a aussi montré les limites de la VAR. Et les discussions ne sont pas encore estompées sur la question de l’arbitrage durant cette compétition. Mais, je crois que dans l’ensemble, l’arbitrage a été logique, cohérent. Certes, avec quelques erreurs, mais cela demeure dans la nature de l’œuvre humaine : imparfaite par essence. Souvenez-vous du premier match entre l’Arabie Saoudite et l’Argentine, du match du Ghana contre le Portugal dans lequel, un penalty contestable a été donné au Portugal. Une des idées phares de cette compétition était celle du « Zéro faveur au pays organisateur » comme cela a toujours été le cas lors de nombreuses compétitions précédentes. Mais, de là à refuser au Qatar, je crois que c’était fort. Mais bon, le football restera toujours avec son arbitrage fait d’incertitudes malgré les efforts des technologies.

Yves OUEDRAOGO

Laisser un commentaire