Assainissement en situation d’urgence : ces villages-propres qui préservent la dignité humaine

L’engagement communautaire en matière d’assainissement prend de plus en plus de l’envol dans la région du Centre-Nord. Malgré leur situation de vulnérabilité, les populations mobilisent leurs propres ressources pour se doter des centaines de latrines afin de mettre Fin à la défécation à l’air libre (FDAL). Ces infrastructures ont permis de déclencher 329 villages, de déclarer 87 autres FDAL et de certifier 36 villages FDAL, contribuant ainsi à l’atteinte de l’objectif zéro Défécation à l’air libre (DAL) d’ici à l’horizon 2030.

Balo (nom d’emprunt du fait de l’insécurité, ndlr), village « ressuscité » ! Réinstallée en avril 2023, cette bourgade de la province du Sanmatenga (Kaya), région du Centre-Nord, fait de l’engagement communautaire en matière d’assainissement, son cheval de bataille. En cette matinée du vendredi 27 septembre 2024, nous sommes à la porte de ce hameau de culture. Un panneau géant implanté à notre droite décrit la conduite à tenir : « Non à la défécation à l’air libre dans notre village ! ». Cette information écrite en rouge est dupliquée en mooré, accompagnée d’images illustratives. Depuis le 13 janvier 2024, cette localité est certifiée Fin de défécation à l’air libre (FDAL).

La présidente du CAV/Q, Sanata Mando, mobilise régulièrement la communauté de Litenga pour des journées de salubrité.
Depuis que le bébé d’Alimata Zoungrana défèque dans un pot, il tombe moins malade.

Et ce, après neuf mois de sensibilisation sur l’impact sanitaire lié à la Défécation à l’air libre (DAL) menée par l’association Action communautaire de développement du Centre-Nord (ACD/CN), en partenariat avec l’UNICEF, dans le cadre de la mise en œuvre de l’approche Assainissement total piloté par les communautés (ATPC). Huit mois après cette prouesse, une équipe de Sidwaya fait le constat. A l’école primaire publique du village, les toilettes mises à la disposition des employés de l’entreprise en charge de la construction de l’Ecole nationale des enseignants du primaire (ENEP) de Kaya présentent un visage sain. Au marché, un groupuscule de jeunes assis devant un kiosque joue au damier. Une chanson de Bob Marley (la sagesse et l’espoir) interprétée par Sams’k Le Jah tient le petit monde en haleine. Un bidon usé de couleur jaune sert de poubelle. Visiblement, la plupart des hangars qui servent de commerce ont reçu quelques coups de balai. Au domicile du Conseiller villageois de développement (CVD), A. Sawadogo (prénom abrégé du fait de la situation sécuritaire, ndlr), par ailleurs membre du Comité d’assainissement des villages ou de quartiers (CAV/Q), l’hygiène a pris ses quartiers. Cour proprement balayée, aucun plat ni marmite ne traine par terre. Sa famille d’une vingtaine de membres possède deux latrines. Bouillard, cendre et savon sont déposés devant les toilettes auxquelles un balai est spécialement dédié.

Kadiata Bamogo lavant ses mains avec de la cendre après ses besoins naturels.

« Avant l’approche ATPC, le village ne disposait que de cinq latrines. Mais avec la prise de conscience, nous avons construit 21 latrines sur fonds propres en un trimestre », se réjouit le conseiller. Avec ses 26 latrines plus celles de l’école, le village a mis fin à la DAL. Selon le conseiller, la DAL a un impact sur la santé, la nutrition, le bien-être et la dignité des enfants et des femmes. « La présence de matières fécales dans la nature entraine des maladies diarrhéiques, parasitaires et respiratoires ainsi que la détérioration de l’état nutritionnel des enfants », précise-t-il.

Préserver l’intimité

Quadragénaire multipare de sept enfants, Z. Sawadogo et sa famille (26 membres) ont banni la DAL depuis deux ans. Ils ont construit deux latrines dont une sur fonds propres à hauteur de 75 000 F CFA et l’autre offerte par l’UNICEF. « Avant, on déféquait chez les voisins ou dans la nature. C’était un calvaire », se remémore-t-elle, avec un brin de regret. A l’entendre, l’approche ATPC a permis d’améliorer leur cadre de vie. « On ne savait pas qu’on pouvait réaliser une latrine avec un peu de moyens … », confesse dame Sawadogo. Elle et ses deux coépouses balaient la cour à tour de rôle. Les plats et marmites sont lavés et rangés dans des paniers, les pots des enfants hermétiquement fermés par des couvercles. La bouse des bœufs est stockée dans deux fosses de compost. Pour Z. Sawadogo, une bonne hygiène réduit certaines maladies telles que le paludisme, la diarrhée, les maux de ventre et les infections.

« Actuellement, si ma nourriture tombe par terre, je peux la reprendre sans crainte », ironise-t-elle. L’hygiène dicte aussi sa loi dans la cour de la secrétaire-adjointe du CAV/Q, M. Sawadogo. Sa famille de cinq membres dispose de deux latrines dont une construite sur initiative de son mari et l’autre sous le coaching de l’ACD/CN. Voile solidement noué à la tête, pot et bouillard en mains, elle revient des toilettes. Notre interlocutrice se souvient encore de ses navettes entre la brousse ou la cour des voisins juste pour se soulager durant deux décennies. « Quand tu pars en brousse pour te soulager, tu n’as pas la tête tranquille, parce que quelqu’un peut te surprendre à tout moment », se rappelle dame Sawadogo. A ses dires, une latrine préserve l’intimité de la femme, surtout en période de menstrues. La cour de M. Sawadogo force l’admiration : ustensiles de cuisine lavés et rangés, les jarres inutilisées renversées au sol pour empêcher les gîtes larvaires, sources de prolifération des moustiques responsables du paludisme et de la dengue. Les trous des latrines sont aussi couverts par des morceaux de planches. B. Ouédraogo et L. Sawadogo sont également des références en matière d’assainissement. Chacune dispose d’une latrine, depuis deux ans, érigée dans le cadre de l’ATPC. Leurs latrines sont équipées de dispositif de lavage des mains : bouillard d’eau, cendre ou savon, serpillère et désinfectant. Pour L. Sawadogo, le simple fait de « ranger » les excréments humains dans un seul endroit rend l’environnement sain.

Confection des couches réutilisables

La latrine de B. Ouédraogo possède un dispositif de lavage des mains.

Nos interlocutrices fabriquent des serviettes réutilisables pour une bonne Gestion hygiénique des menstrues (GHM). Pour maintenir leur statut FDAL, le CAV/Q initie mensuellement des porte-à-porte pour sensibiliser les populations sur les bonnes pratiques et interdits en matière d’hygiène et d’assainissement. Son combat actuel est de veiller à ce que des étrangers ne défèquent plus aux alentours du village. Litenga, commune rurale de Korsimoro, est également certifié, le 30 janvier 2024. En cette matinée du samedi 28 septembre 2024, nous sommes à l’entrée de cette bourgade de 96 ménages dont 140 déplacés internes. La présidente du CAV/Q, Sanata Mando, nous accueille au pied de leur panneau annonçant la FDAL. Elle nous conduit à son domicile. Devanture proprement nettoyée, ses deux coépouses s’attèlent au découpage de gombo frais rempli dans une brouette. Les bambins faufilent dans tous les sens. La famille (25 membres) de la présidente du CAV/Q de Litenga utilise deux latrines construites sur fonds propres à hauteur de 50 000 F CFA chacune. La page de la DAL est donc tournée depuis belle lurette. Même les tout-petits en sont conscients. « Si un enfant veut déféquer, il saisit son pot et prend la direction de la latrine tout en informant sa maman. Cela prouve que les tout-petits ont intégré l’hygiène dans leur vie quotidienne », se félicite l’époux de Sanata Mando, Issaka Sana, par ailleurs CVD de Litenga. A l’entendre, l’approche ATPC leur a permis de réaliser neuf latrines en un trimestre, en plus des 12 latrines que possède le village. Zénabo Mando et Alimata Zoungrana sont des mères allaitantes. Leurs enfants défèquent dans des pots.

« Avant, je ne pouvais pas faire une semaine sans aller à l’hôpital avec mon bébé. Mais depuis qu’il défèque dans un pot, il peut faire trois mois sans tomber malade », constate dame Zoungrana. Des rencontres hebdomadaires sont organisées pour rappeler aux populations les bonnes pratiques d’hygiène et d’assainissement. 50 femmes et jeunes filles de Litenga sont bénéficiaires de la formation en fabrication de couches réutilisables, de colorants et de savon liquide. Cependant, le manque d’eau potable est un autre défi à relever. Le village ne dispose que d’une seule pompe et en cas de panne, les populations se ravitaillent au barrage, selon Issaka Sana. Les populations en appellent donc aux bonnes volontés afin de leur faire d’autres forages dans le village.

Maintenir le statut

Komtenga figure parmi les sept villages certifiés dans la commune de Korsimoro depuis le 1er février 2024. Rihanata Zoungrana (48ans) et Kadiata Bamogo (47ans) ont banni la DAL depuis l’arrivée de l’approche ATPC. Construites en banco, leurs latrines ont chacune un dispositif de lavage des mains de fortune constitué de bidons de cinq litres avec une corde flottante au sol et un sachet noir contenu de la cendre accroché au mur. Les bidons sont soutenus par des bois et la corde est utilisée par des orteils pour laver les mains. Avec ces moyens de bord, ces paysans arrivent à assainir leur cadre de vie. « Avant, j’étais régulièrement au centre de santé avec mes enfants. Maintenant, ils ne tombent malades qu’une ou deux fois par an. Ce qui nous permet de faire des économies pour assurer leur scolarité », se réjouie dame Bamogo. Selon le président du CAV/Q, Noufou Ouédraogo, Komtenga possède 43 latrines dont huit construites dans le cadre de l’approche ATPC et 35 autres grâce à l’appui de deux projets pilotés par la mairie de Korsimoro au bénéfice de 650 personnes. Lui et son équipe inspectent les cours familiales chaque quinzaine de jours afin de maintenir leur statut FDAL.

L. Sawadogo s’est dotée d’une latrine à travers l’approche ATPC.

« Nous connaissons plusieurs villages qui avaient atteint le statut FDAL, mais actuellement, ils ont rechuté dans l’insalubrité. Nous ne voulons pas vivre cette situation », prévient le président du CAV/Q. Issaka Ouédraogo est le maçon ayant construit les huit latrines à Komtenga. Selon lui, les latrines sont de modèle Sand-Plat avec une profondeur de 2m et une largeur de 1m. Il apprécie la qualité de la construction des fosses avec des parpaings et le fer utilisé pour la dalle. A écouter le maçon, dans l’approche ATPC, le creusage de la fosse et la super construction reviennent au bénéficiaire. Alors que la confection des briques de la fosse et de la dalle, l’octroi de deux tôles et d’un tuyau PVC et le paiement de la main d’œuvre du maçon sont pris en charge par les partenaires. Selon la superviseure WASH à l’ACD/CN, Zénabo Sawadogo, la DAL est une pratique responsable des maladies diarrhéiques, du paludisme, de la dengue, des parasitoses intestinales, des conjonctivites, de la galle, de la bilharziose, etc. « Les femmes et les enfants sont les plus vulnérables, car une petite infection liée au manque d’hygiène peut entrainer une grave maladie avec pour conséquence des décès maternel et infantile », avertit-elle.

300 latrines réalisées en neuf mois

Eu égard à la prise de conscience des communautés, la superviseure WASH préconise la mise à échelle de l’approche ATPC sur tout le territoire national. Selon le président de l’ACD/CN, Samuel Bamogo, du 1e juin 2023 au 28 février 2024, l’approche ATPC a permis de réaliser 300 latrines dont 60 avec l’appui financier de l’UNICEF et 240 auto-construites par les communautés dans le Sanmatenga. A l’entendre, ACD/CN a joué le rôle de coaching pour l’engagement communautaire. Il poursuit que 5 300 femmes et filles sont formées en confection des serviettes hygiéniques réutilisables et 100 jeunes maçons volontaires, sur la construction de latrines (Sand-Plat). Pour le représentant-résident de l’UNICEF au Burkina, John Agbor, en 2022, 22% des ménages ruraux au Burkina avaient accès à des installations sanitaires adéquates et la DAL concernait encore 47% de la population nationale. Dans la région du Centre-Nord, ce taux d’accès se situe à 17%. Une raison suffisante pour l’UNICEF, selon lui, de s’engager au côté du gouvernement burkinabè et d’autres partenaires pour augmenter les installations sanitaires, aider à changer les comportements et réduire la pratique de la DAL. Pour lui, l’approche ATPC amène les populations à comprendre les méfaits de la DAL et à utiliser leurs propres ressources pour y mettre fin tout en stimulant la solidarité communautaire. C’est pourquoi, John Agbor exhorte les villages certifiés FDAL à maintenir le cap pour garder un environnement sain au bénéfice des enfants. Au Burkina, l’assainissement reste toujours un maillon faible du développement. De ce fait, d’énormes efforts restent à fournir pour l’atteinte de l’objectif zéro DAL d’ici à l’horizon 2030 à l’échelle nationale. Selon le Directeur régional en charge de l’assainissement du Centre-Nord (DRA/CN), Gaël Yaméogo, au niveau national, le Taux d’accès à l’assainissement (TAA) est passé de 27,5% en 2022 à 28% en 2023 contre 18,8% et 19,5% pour la région du Centre-Nord sur la même période.

36 villages certifiés FDAL au Centre-Nord

La situation de mise en œuvre de l’ATPC au niveau national, poursuit-il, à la date du 31 décembre 2023 fait état de 3 379 villages déclenchés (37,9%), 990 villages déclarés FDAL (11,1%) et 495 villages certifiés FDAL (5,6%) contre 308 villages déclenchés (31,9%), 55 villages déclarés FDAL (5,7%) et 8 villages certifiés FDAL (0,8%) pour la région du Centre-Nord. A la date du 26 septembre 2024, souligne M. Yaméogo, avec le soutien des partenaires, le Centre-Nord enregistre 329 villages déclenchés (34%) dont 87 déclarés FDAL (9,01%) et 36 certifiés FDAL (3,7%). Cette hausse progressive du TAA se justifie par la réalisation des latrines en milieux rural et urbain. Selon le rapport-bilan du premier semestre 2024 de la Direction générale de l’assainissement, des eaux usés et excréta (DGAEUE), en termes de réalisations, on dénote au total 10 978 latrines familiales en milieu rural et 3 567 latrines familiales en milieu urbain contre 415 blocs de latrines publiques et institutionnelles. Quant à la programmation révisée des activités, à la date du 30 juin 2024, pour le milieu rural, l’on passe de la réalisation de 36 872 à 40 122 latrines familiales avec le passage d’un coût de 6,09 à 6,48 milliards F CFA.

Pour le milieu urbain, en dehors des prévisions de l’ONEA qui n’ont pas subi de changement, les prévisions des autres acteurs passent de 219 à 695 latrines familiales à des coûts respectifs de 60,319 millions et 114,796 millions F CFA. Pour atteindre la FDAL dans la région du Centre-Nord, selon Gaël Yaméogo, une note d’orientation et un guide de mise en œuvre de l’ATPC ont été élaborés pour prendre en compte la situation sécuritaire dans la mise en œuvre de l’ATPC et l’orientation de l’ensemble des acteurs dans les communes accessibles en vue de la FDAL. Pour que les villages certifiés FDAL maintiennent leur statut, il suggère, entre autres, la poursuite de la promotion de bonnes pratiques d’hygiène et d’assainissement au sein des communautés, l’organisation des journées de salubrité au moins une fois chaque deux semaines dans les villages, la mise en place d’un plan d’action FDAL dans les villages et sa mise en œuvre par les CAV/Q.
Quant aux partenaires, M. Yaméogo propose de passer à l’étape de prise en charge de la question d’hygiène, à savoir assurer des activités de promotion de déchets et valoriser les différentes chaines de l’assainissement dans une nouvelle vision holistique qui part des latrines à la valorisation en passant par le transport
des boues de vidange et la station.

 Emil Abdoul Razak SEGDA
Segda9emil@gmail.com

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