Alram Nguebnam, directeur de la Compagnie théâtrale le réseau: « Le conte doit être introduit dans le système éducatif formel »

Pour le directeur de la CTR, Alram Nguebnam, le conte est un outil pédagogique irremplaçable

Autrefois outil d’éducation, le conte est de plus en plus délaissé avec l’avènement de l’enseignement classique. Dans l’interview qu’il a accordée à Sidwaya, le directeur de la Compagnie théâtrale le réseau (CTR), Alram Nguebnam, évoque, entre autres, le rôle de cet art dans la transmission des valeurs culturelles.

Sidwaya (S.) : Comment est venue l’idée de la création du Festival nuit du conte au village ?

Alram Nguebnam (A.N.) : Au départ, il y avait un festival “fils des nuits du conte” que nous organisions tous les derniers mercredis du mois, depuis 2001. Mais, à partir de 2006, nous avons décidé de le transférer au village de Sissamba, dans la région du Nord. Car, le conte est un outil d’éducation de nos ancêtres et son milieu naturel idéal est le village. Il est tombé dans les oubliettes à la faveur de l’éducation occidentale. C’est pourquoi, nous avons essayé de le faire renaître en ville avant de le ramener au village.

S. : Quel bilan faites-vous après 13 années d’édition de ce festival ?

A.N. : Le bilan est positif, d’autant plus que les villageois manifestent de plus en plus de l’engouement. Le chef de Sissamba a même construit une case pour abriter le festival. Nous avons débuté l’évènement avec deux villages. Et actuellement, nous en comptons une dizaine qui prend part à ce festival. A chaque édition, nous organisons des sessions de formation en faveur des enfants et enseignants du primaire.

Le but est de donner aux enfants le goût de cet art traditionnel afin qu’ils puissent l’assimiler à nouveau. Quant aux enseignants, ils parviennent à mieux véhiculer les messages des contes contenus dans les livres. Car, le conte était, faut-il le rappeler, un outil de formation de nos ancêtres, à travers des séances d’initiation.

S. : Face à la mondialisation et à l’avènement d’internet, pensez-vous que le conte a encore sa place dans notre société contemporaine ?

A.N. : Evidemment, le conte reste irremplaçable. Au départ, il était un moyen dont se servaient les mères pour distraire leurs enfants. Lorsqu’elles se sont rendus compte que les enfants aimaient les animaux, il a alors fallu créer des histoires à travers cet art traditionnel pour éveiller leur curiosité. Plus tard, le conte a été un outil d’enseignement dans les camps d’initiation.

S. : Qu’est-ce qui, selon vous, peut être fait pour redonner au conte sa valeur d’antan ?

A.N. : Pour redonner au conte sa valeur ancestrale, les autorités politiques doivent l’introduire dans le système éducatif formel en tant que matière d’enseignement depuis le pré-scolaire jusqu’au supérieur. Cette mesure sera un vrai moyen pour faire revivre le conte en tant qu’outil de renforcement du système éducatif occidental.

Ce qui donnera plus de valeur à la culture burkinabè. Le problème de développement des pays africains est beaucoup plus d’ordre culturel. Et il faut utiliser des moyens culturels pour briser certaines barrières afin de déclencher un développement harmonieux du continent. Par exemple, la Chine a pu se développer en 33 années, grâce à sa propre culture pour devenir actuellement la première puissance économique mondiale.

S. : En quoi le conte constitue-t-il un outil pédagogique pour la jeunesse aujourd’hui ?

A.N. : Par le conte, on informe d’abord, on fait passer des connaissances à travers ses idées et en faisant passer ses connaissances, on enseigne l’art de vivre dans la société . Cet art est un outil pédagogique inégalable. En utilisant le conte dans les langues maternelles, la compréhension des messages et l’assimilation des autres matières enseignées deviennent plus faciles.

S. : Le Burkina Faso, à l’instar d’autres pays, est confronté à une perte des valeurs avec à la clé, une montée grandissante de l’incivisme. Le conte peut-il être considéré comme l’une des solutions à ce fléau ?

A.N. : Le conte est vraiment l’une des solutions dans la lutte contre l’incivisme. Car, il éduque, réprimande ou met en garde de manière détournée sans heurter de manière frontale. On crée des contes avec des personnages du monde végétal et animal qui posent des actes ignobles et qui subissent les conséquences néfastes de leurs actes. Ces “leçons” ont indéniablement un impact sur le public . Ce qui permet aux gens de réagir positivement. Le conte distrait et conscientise.

La responsabilité est partagée entre les autorités, les parents et les enfants eux-mêmes, en ce sens qu’il s’agit de tout un système. Je ne lance pas la pierre à la jeunesse. Les parents n’ont plus le temps d’éduquer leurs progénitures. Ils sont laissés à eux-mêmes, c’est la rue qui les éduque. Aujourd’hui, l’autorité de l’Etat est un vain mot. Or, à notre époque, nous avions peur des autorités. Mais, comme je l’ai dit tantôt, le conte peut être envisagé comme l’une des solutions au phénomène de l’incivisme, à condition qu’il soit à nouveau accueilli au sein des familles.

Emil SEGDA
Segda9emil@gmail.com

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