La crise sécuritaire que connait la région du Centre-Nord a affecté le bon déroulement des activités scolaires. Les attaques terroristes se sont manifestées, parfois, par des agressions, des violences physiques et des menaces contre des acteurs éducatifs, des incendies d’infrastructures éducatives, des destructions de matériels didactique et pédagogique, entrainant la fermeture de plusieurs établissements à tous les niveaux. Malgré cela, l’offre éducative se poursuit grâce à l’engagement des acteurs et des mesures de résilience mises en œuvre.
Comme partout ailleurs, au Burkina Faso, la rentrée scolaire 2024-2025 est effective depuis le mois d’octobre. En ce mois de novembre finissant, les élèves des établissements primaires ont déjà fait leurs premières évaluations. La région du Centre-Nord, malgré les conséquences de la crise sécuritaire sur son système éducatif est également dans cette dynamique.
Responsables administratifs, encadreurs pédagogiques, enseignants et acteurs de la société civile se sont donné tous les moyens nécessaires pour assurer la poursuite des enseignements dans cette partie du pays. La région, en effet, est durement affectée par les
attaques terroristes. Bourzanga, dans la province du Bam, Barsarlgo et Pensa dans le Sanmatenga, Tougri et Yalgo dans le Namentenga demeurent les localités les plus affectées. Et Kaya, le chef lieu de la région, se retrouve être le lieu de convergence des familles touchées. Selon les chiffres provenant des responsables provinciaux, 64 414 Elèves déplacés internes (EDI) ont été identifiés pour cette année scolaire, déjà en cours.
Nous sommes au mercredi 20 novembre 2024. En cette matinée, tout comme dans les autres provinces, les élèves du Sanmatenga sont en classe avec leurs enseignants. Ousmane Bagobri est enseignant à l’école centre B de Kaya, l’une des plus grandes dans la Circonscription d’éducation de base(CEB) de Kaya I. Il est 9 heures lorsque nous le retrouvons au milieu de plus d’une centaine d’élèves dans sa classe de CP2. Il nous rassure que les activités scolaires se déroulent normalement. M. Bagobri soutient que cela est identique dans le reste de la province et, au delà, dans les zones reconquises de la région.

Cette continuité des enseignements, dans ce contexte de crise, fait-il savoir, est à l’actif de l’ensemble des acteurs.
Selon lui, à tous les niveaux, des efforts sont consentis, à tout moment, pour assurer la poursuite des activités éducatives. « Nous apprécions les efforts qui sont faits pour accompagner la résilience de l’école à sa juste valeur.
Relever les défis de cette continuité éducative
Il y a beaucoup d’acteurs locaux et de l’administration qui ne cessent de nous appuyer pour relever les défis de cette continuité », confie M. Bagobri. Pour lui, il n’y a pas de raison de baisser les bras face à cette situation qui est en passe d’être un vieux souvenir, au regard des acquis sur le terrain. « Nous devons toujours nous donner, maintenir le cap et donner le savoir à nos enfants », indique-t-il, tout en invitant ses collègues à toujours porter haut ce sacerdoce pour lequel ils (les enseignants) sont toujours reconnus.
Il estime que tout le corps enseignant, avec l’appui des premiers responsables, jusqu’au plus haut, sont déterminés à relever les défis auxquels fait face la région, notamment sur la question de l’éducation. C’est le cas de Ousmane Gansonré, directeur de l’école de Tangasgo, dans la CEB de Kaya I. Avant d’occuper ce poste, M. Gansonré, la quarantaine bien sonnée, servait à l’école de Wendboulgou, dans la CEB de la commune rurale de Pissila. Rappelant ses douloureux souvenirs, il raconte avoir vécu des incursions d’hordes terroristes dans son école. Malgré tout, dit-il, lui et ses collègues ont tenu à y demeurer pour sauver l’année scolaire. Mais, c’est lorsque la localité a été attaquée en faisant des victimes, se souvient-il, que la population a déguerpi, les enseignants avec. « Nous étions obligés de délocaliser les classes de CM1 et CM2 dans un autre site pour pouvoir achever l’année. C’est quand la population a quitté le village que nous avons été redéployés », explique-t-il. Dans son nouveau poste, à la CEB de Kaya I, il dit poursuivre avec la même détermination sa vocation d’enseignant. Cette détermination, fait-il remarquer, il la doit aux soutiens multiformes de ses supérieurs hiérarchiques et bien d’autres acteurs. « Nous avons été vraiment encouragés par nos supérieurs hiérarchiques en recevant régulièrement leurs visites. Et, cela nous galvanisait à continuer les cours », se rappelle Ousmane Gansonré. Il invite les responsables en charge de l’éducation à poursuivre dans cette lancée tout en souhaitant le renforcement des capacités des enseignants. L’objectif, estime-t-il, est de les amener à être encore plus résilients dans cette situation de crise. « Nous souhaitons plus de formations par rapport à cette situation pour que nous puissions continuer à dispenser le savoir aux enfants », espère Ousmane Bagobri.
Des approches inclusives adoptées

Cette résilience est reconnue et appréciée par les responsables régionaux en charge de l’éducation et les encadreurs pédagogiques. En effet, pour Isidore Dianda, Chef de la circonscription d’éducation de base (CCEB) de Kaya 1, la bonne organisation et le bon déroulement des activités scolaires est la résultante de la détermination de ses collaborateurs tant administratifs que de terrain à savoir les enseignants, mais aussi des Forces de défense et de sécurité(FDS) et des Volontaires pour la défense de la patrie(VDP) pour leurs actions de sécurisation. Le CCEB reconnait, du fait de la crise, qu’il y a un flux important d’élèves nécessitant des sites d’accueil. Mais, confie M. Dianda, des dispositions ont été prises dans ce sens. « Nous avons donné des instructions pour que tous les élèves déplacés internes soient acceptés. Nous avons décidé de nous réorganiser en créant de nouvelles écoles pour décongestionner les classes et redéployer les enseignants pour pouvoir absorber les flux des élèves », décrit M. Dianda. Pour accompagner cette démarche, des mesures ont été prises pour plus d’efficacité.
Il cite entre autres, la sécurisation pour l’accès aux écoles fonctionnelles par les FDS, la formation des enseignants sur l’éducation en situation d’urgence, l’instauration des cantines scolaires, etc. Ces initiatives, foi du CCEB, ont permis aux enseignants d’adopter des approches inclusives pour pouvoir prendre en compte tous les enfants, quel que soit leur statut. Des dispositifs de suivi, à travers des visites d’écoles et des rencontres, ont également été renforcés pour pouvoir suivre le travail des enseignants afin qu’ils restent engagés pour la poursuite de l’offre éducative. A cet effet, laisse entendre le CCEB, des journées d’excellences culturelles et sportives, des journées dites de détente et de résilience sont organisées pour encourager les acteurs éducatifs dans leur élan. « Pour certains, ce n’est plus de l’engagement. C’est de la passion de donner le savoir dans cette situation. Malgré les effectifs et le contexte difficile, nos enseignants sont toujours actifs sur le terrain », se réjouit M. Dianda. Par ailleurs, il appelle ses collaborateurs à plus d’engagement et de résilience pour l’atteinte des objectifs pour le bien des élèves. Ceux-ci sont reconnaissants des autorités en charge de l’éducation pour l’ensemble des actions menées pour leur garantir un enseignement de qualité en dépit des dures épreuves que la région traverse. Elève déplacé interne en classe à l’école communale D de Kaya, Rahim Ouédraogo, a, lui, salué le mérite de leurs enseignants.
La contribution des ONG saluée

Lesquels, selon lui, demeurent déterminés à leur apporter le savoir, promettant de faire un bon résultat en fin d’année scolaire. « Nous sommes fiers de pouvoir être à l’école et disons merci à nos maitres pour ce qu’ils font », affirme Rahim Ouédraogo.
Les parents d’élèves s’en enorgueillissent également. Le président de l’Association des parents d’élèves (APE) du Sanmatenga, Hamado Ouédraogo, affiche une grande satisfaction au regard des efforts fournis par l’administration scolaire. Le sexagénaire dit observer surtout de l’engagement du corps enseignant dans l’accomplissement des programmes d’activités, malgré les répercussions de l’insécurité. Et, pour accompagner les efforts consentis, l’APE, selon M. Ouédraogo, en fonction de ses moyens, n’est pas en reste. Pour sa part contributive, il relève que l’APE apporte des appuis pour la réfection des salles de classe et des tables-bancs, pour un bon fonctionnement des cantines scolaires et pour l’octroi de matériels didactiques au corps enseignant.
« Nous ne pouvons que reconnaitre le mérite de tous les acteurs éducatifs face à cette situation qui nous a été imposée », note M. Ouédraogo, relevant au passage l’apport significatif des ONG dans ce sens. Au nombre de celles-ci, le président APE mentionne entre autres, Plan International, UNICEF, Catholique relief Service(CRS), EDUCO, etc. Du reste, tous ces partenaires reconnaissent les efforts fournis par l’Etat pour la résilience de l’éducation dans les zones à fort défi sécuritaire. « Le constat révèle la résilience exceptionnelle des communautés et des acteurs éducatifs face aux défis énormes que vit le système éducatif, dans ce contexte particulièrement difficile », observe en effet, Saïdou Kiendrebeogo, chef de projet : « Education de qualité et protection contre la violence dans le Centre-Nord du Burkina Faso », au Bureau de Plan International de Kaya. Faisant de l’accès à l’éducation son leitmotiv le plus absolu, affirme-t-il, Plan International, est co-lead du Cluster éducation dans la région, contribuant ainsi à la coordination des actions concernant le système éducatif. Au nombre des activités menées par Plan International en faveur de la résilience scolaire, Saïdou Kiendrebeogo mentionne, à titre d’exemple, la construction et la réhabilitation de salles de classe, l’équipement d’établissements scolaires, l’équipement d’établissements en forages, la mise en place d’Espaces temporaires d’apprentissage (ETA) et la formation des enseignants en gestion de classes d’urgence et en soutien psychosocial.
Des taux de succès appréciables

En outre, Plan International, à entendre son représentant à Kaya, a aussi œuvré à la distribution de kits scolaires, au soutien aux frais des APE pour le primaire, aux frais de scolarité pour les classes du post-primaire et du secondaire. La structure, au-delà de ce qui a été énuméré, poursuit M. Kiendrebeogo, mène des sensibilisations à l’importance de l’éducation auprès des communautés locales et a travaillé à renforcer les capacités des comités de gestion des écoles pour une meilleure gouvernance. « Les efforts sont appréciables, mais les besoins restent toujours énormes. D’où la nécessité pour tous les acteurs qui accompagnent l’Etat, à s’engager davantage avec plus de synergies des actions », relève M. Kiendrebeogo. Qu’à cela ne tienne, estime-t-il, les activités menées ont obtenu des résultats encourageant, notamment en ce qui concerne l’amélioration à l’accès à l’éducation, le retour et le maintien de 72 475 enfants à l’école ainsi que l’amélioration de la qualité de l’enseignement, etc.
Ces résultats sont salués par le directeur provincial de l’enseignement préscolaire, primaire et non formel du Sanmatenga, Barkibila Sawadogo. Il précise qu’un taux de succès de 78,03% a été réalisé à l’examen du CEP, l’an dernier dans la province. Les provinces du Bam et de Namentenga, ont, elles, réalisé respectivement un taux de succès de 86,45% et 88,73%. A l’entendre, toutes les actions mises en œuvre dans le cadre de la résilience du système éducatif découlent des directives du secrétariat technique de l’éducation en situation d’urgence. Cette structure qui met en œuvre la Stratégie de scolarisation des élèves dans les zones à fort défi sécuritaire(SSEZDS), explique M. Sawadogo, trace les lignes de conduite pour les différentes structures déconcentrées pour l’atteinte des objectifs de l’éducation en situation d’urgence. « Au niveau déconcentré, nous avons des renforcements des capacités pour permettre aux enseignants d’être outillés à des thématiques, à des formations qui vont leur permettre de mieux prendre en charge les enfants », fait-il savoir. M. Sawadogo explique que des sensibilisations sont menées à l’endroit de l’ensemble de la communauté éducative pour accompagner les stratégies développées pour plus d’efficience dans leurs mises en œuvre. Et, souligne le directeur provincial, sur le plan pédagogique, des approches innovantes sont adoptées à l’effet de permettre un meilleur encadrement des grands effectifs. Il s’agit de la pédagogie différenciée, de groupe, les classes alternées, etc. « Le niveau de résilience est satisfaisant. On a vu des engagements de toutes sortes pour assurer cette continuité. Il y a des enseignants qui prennent des risques pour donner l’éducation à tous les niveaux et sont présents aux postes là où c’est possible. Pour l’examen du CEP, il a fallu cet engagement pour que l’examen se passe dans certaines localités », confie-t-il.
Au demeurant, il exhorte l’ensemble des acteurs, des partenaires du système éducatif national à continuer dans cette dynamique pour réussir le relèvement de l’éducation dans la province et partant sur toute l’étendue du territoire national. C’est d’ailleurs dans ce sens que s’inscrivent les partenaires sociaux, notamment les syndicats qui avouent accompagner les actions menées. Dans ce contexte, le Syndicat national des enseignants de l’éducation de base (SYNATEB), déclare son coordinateur régional dans le Centre-Nord, Issouf Ouédraogo, sensibilise ses membres à l’accompagnement du processus, relève les difficultés susceptibles de constituer un frein à la résilience et fait des propositions pour plus d’efficacité.
Garder le cap, le souhait de l’administration scolaire
« Nous apprécions ce qui est déjà fait avec l’ensemble des partenaires en termes d’amélioration de l’accès à l’éducation, d’absorption du flux des élèves, en termes de dotation de matériels didactiques, de renforcement des capacités sur de nouvelles approches pédagogiques », reconnait-il. Cependant, M. Ouédraogo préconise une meilleure coordination des interventions des partenaires pour une gestion plus rationnelle des besoins. Par ailleurs, il plaide pour un renforcement des conditions de travail des enseignants à travers surtout la diligence dans la correction de leurs indemnités. « Il faut se pencher sur cette question pour donner encore plus de motivation aux enseignants qui sont sur le terrain pour leur permettre d’être encore plus résilients », suggère Issouf Ouédraogo.

Le directeur régional de l’enseignement préscolaire, primaire et non formel du Centre-Nord, Moussa Ouédraogo, qui reconnait la pertinence de cette question salue l’engagement des acteurs. « Chacun a pris la pleine mesure de la situation en s’investissant au mieux pour relever le défi », dit-il en substance. Toutefois, il estime que des difficultés inhibent parfois la mise en œuvre des mesures prises dont la question de la mobilité. Qu’à cela ne tienne, aux dires du directeur régional, l’implémentation de la Stratégie de scolarisation des élèves des zones à fort défi sécuritaire (SSEZDS) a permis de rester résilient et de sauver beaucoup d’enfants. « Nous qui sommes dans ces zones pouvons en témoigner. S’il n’y avait pas cette stratégie, de milliers d’enfants allaient se retrouver dans la rue. Elle a permis de planifier des constructions de salles de classe et de former les enseignants sur de nouvelles approches pédagogiques », explique le responsable régional, Moussa Ouédraogo. De son avis, c’est l’engagement de tous les acteurs, notamment l’appui des ONG et la mise en œuvre des mesures édictées par le gouvernement qui ont valu le résultat de 81, 66% réalisés au CEP par la région lors des examens scolaires 2023-2024. Un résultat, estime-t-il, supérieur aux années antérieures avec 77,99 % en 2023 et 64,16 % en 2022. Satisfait donc des acquis, fruit de la résilience des uns et des autres, M. Ouédraogo exhorte les acteurs impliqués pour la continuité de l’offre éducative, à « garder le même cap » pour toujours être capables de faire face à la répercussion de la crise sécuritaire sur le système éducatif dans cette partie du pays des « Hommes intègres ».
Soumaïla BONKOUNGOU
La résilience et la question de la motivation
« Eduquer ou périr ! », tel est le credo des acteurs de l’éducation du Centre-Nord. Ils se sont approprié ce cri du cœur de l’illustre historien, Joseph Ki-Zerbo, qui rappelle l’impérieuse nécessité d’éduquer, quel que soit le contexte dans lequel se trouve une nation. En effet, malgré la crise securitaire et ses corollaires, l’offre éducative se poursuit grâce aux efforts fournis par l’ensemble des acteurs, au grand bonheur des élèves et de leurs parents. Cependant, la question de la motivation (financière) des enseignants dans les zones reculées est perçue par beaucoup comme susceptible de renforcer davantage la résilience pour l’atteinte des objectifs de l’éducation en situation d’urgence.
S.B.
La SSEZDS, une panacée de la résilience
La Stratégie de Scolarisation des élèves des zones à fort défi sécuritaire (SSEZDS) est appréciée comme la clé de voute de la résilience du système éducatif. Lancée en 2019, sa vision est qu’à l’horizon 2024, le Burkina Faso bénéficie d’un environnement scolaire sain, pacifique et sécurisé qui garantit et favorise la continuité efficace des activités d’enseignement/apprentissage sur toute l’étendue du territoire national. Son implémentation dans la région du Centre-Nord, doublée de l’engagement des acteurs, a permis au système éducatif d’être résilient face aux effets néfastes de la crise sécuritaire. Cela, en collaboration avec les interventions de partenaires qui font de l’accès à l’éducation leur credo. C’est pourquoi, la reconduction de cette Stratégie est souhaitée par les acteurs, pour que la continuité éducative dans la région se renforce et partant dans les autres localités touchées par la crise sécuritaire.
S.B.