La 10e session extraordinaire de la Conférence ministérielle africaine sur l’environnement (AMCEN) et les consultations régionales de la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULCD), s’est tenue, du 30 août au 6 septembre 2024, à Abidjan en Côte d’Ivoire, sur le thème : « Renforcer les ambitions de l’Afrique pour réduire la dégradation de terres, la désertification et la sécheresse ». Le point focal de la CNULCD au Burkina, Dambatia Lazare Tagnabou, appelle les pays africains, à se mobiliser en synergie, pour mieux affronter le phénomène à la COP 16, en décembre prochain.
Sidwaya (S) : La sécheresse est devenue un
problème planétaire, avec de sérieuses conséquences sur la sécurité alimentaire et le développement socio-économique. Quelle est l’ampleur au Burkina ?
Dambatia Lazare Tagnabou (D.L.T.) : Ces dernières années, du point de vu spatial et intensité, la sécheresse a été ressentie sur tous les continents du monde, en termes de hausse de la température sur la terre. Les insuffisances pluviométriques ont causé de grands dommages au niveau de l’agriculture et de l’élevage. Nous avons vu des images insoutenables récemment, qui découlaient de ces sécheresses que beaucoup de pays africains ont vécues. Le Burkina a vécu des sécheresses à des périodes très échelonnées, comme celles des années 70 et 74, qui ont constitué un déclic d’une certaine prise de conscience. Cela a permis à nos décideurs politiques, d’avoir des organisations stratégiques, telles que la mise en place du Comité permanent inter-Etats de lutte contre la sécheresse dans le Sahel (CILSS) et des dispositifs en matière de technologies et de recherches, pour pouvoir nous adapter. Nous avons élaboré un Plan national de gestion intégrée de la sécheresse, qui doit être assorti de plans d’actions. Nous conscientisons également les communautés et tous les acteurs, afin qu’ils puissent mieux s’organiser
et faire face à ce phénomène.
S : Pour réduire les épisodes de sécheresse, il faut réduire les émissions de CO2 et mettre fin aux activités humaines non conformes. Quelles sont les actions concrètes que les pays en voie de développement doivent entreprendre ?
D.L.T. : Aujourd’hui, nous ne pouvons plus continuer d’abuser ou d’user de la terre, comme de par le passé, parce que la sécheresse nous impose des comportements responsables. Les pays en voie de développement doivent d’une part, adopter des méthodes de productions et des technologies appropriées, qui tiennent compte de la préservation de l’environnement. D’autre part, consommer des produits qui suivent le rythme de la terre et tenir compte des gestes quotidiens, car tout geste à une conséquence écologique sur l’environnement. Au Burkina, dans le domaine scientifique, la recherche s’investit. Nous avons aussi beaucoup d’Organisations de la société civile (OSC), mobilisées pour être des bons « intendants » de la terre. Sur le plan institutionnel, l’Etat prend des dispositions pour l’élaboration de plans et de documents stratégiques.
S : Quelles sont les ambitions communes de l’Afrique, pour réduire la dégradation des terres ?
D.L.T. : Les pays africains doivent éviter les interventions cloisonnées et se mobiliser en synergie, pour vaincre ce fléau. Nous sommes en train d’aller à une Conférence mondiale sur la désertification, la sécheresse et la dégradation des terres. Une des grandes rencontres, jamais organisée par l’Afrique, c’est-à-dire, la COP16. Elle aura lieu, du 2 au 13 décembre 2024, à Riyad en Arabie saoudite. L’Afrique a une voix, celle de faire adopter un protocole juridiquement contraignant sur la sécheresse. Nous devons nous organiser pour nous faire entendre et que la communauté internationale accepte qu’aujourd’hui, la sécheresse doit occuper sa vraie place et avoir sa pleine considération au sein des dispositifs de cette convention.
S : Au Burkina, comme dans d’autres pays africains, l’accès à la terre par les femmes demeure une polémique. Quels sont les plaidoyers faits lors des grandes conférences, pour que cet accès soit équitable ?
D.L.T. : Au niveau international, il y a eu des recommandations très fortes lors des conférences, qui exigent que lors des grandes décisions ou en matière de législation, que les femmes soient représentées à une proportion importante, afin que leurs préoccupations soient prises en compte dans l’organisation de la gestion du territoire. Au pays des Hommes intègres, la femme a accès à la terre, mais elle ne peut pas la contrôler, parce que traditionnellement, elle n’est pas garante. Nous avons un ministère dédié à la femme et dans presque tous les ministères, il y a des points focaux genre. En matière d’agriculture, lorsqu’on fait des activités d’aménagement et de production, il y a toujours une part importante qui revient à la femme. On reconnait que la femme constitue une main d’œuvre très importante. Elle est l’actrice principale de la société et elle a sa place
et sa pleine considération dans nos sociétés. Aujourd’hui, dans la plupart des OSC et des organisations de production, ce sont les femmes qui sont plus dynamiques et elles ont accès à la terre. Elles disent souvent qu’elles produisent, mais elles n’arrivent pas à écouler. Quel contraste, si nous allons encore soutenir que la femme n’a pas accès à la terre ?
S : Le changement climatique provoque des inondations, lessive les sols et noie parfois les cultures. Quelles sont les actions concrètes à mener par les pays du Sahel pour atteindre l’autosuffisance alimentaire ?
D.L.T. : Nous devons revoir notre rapport avec la nature et user de management envers la terre, pour limiter l’évolution du climat. Les scientifiques travaillent pour réorienter nos systèmes de production. Il nous faut des technologies appropriées, issues des résultats de la recherche, mais pas des technologies qui nous seront proposées et qui ne répondront pas à nos contextes naturels. Les spéculations et la destination des terres doivent être revues. C’est à ce rythme que nous allons pouvoir relever le défi. La première ligne budgétaire de l’Afrique, c’est la terre. Nous avons beaucoup de richesses. Il n’y a pas de raison que l’Afrique ne puisse pas s’auto suffire. Nous sommes à la porte de 2030, mais nous avons espoir pour le Burkina. Les productions du cacao, de l’avocat et de la cola, sont une réalité aujour-d’hui. Les producteurs apprennent à aller vers l’eau, en utilisant l’eau souterraine pour produire de grandes superficies. Avec ce génie créateur libéré, le peuple burkinabè est en phase de pouvoir produire suffisamment pour nourrir les
Burkinabè.
S : Comment se présente la désertification au Burkina et quelles sont les mesures prises pour l’atténuation ?
D.L.T. : Au point 3 des Objectifs de développement durable (ODD 15), il s’agit de la gestion des écosystèmes. Pour la mise en œuvre de cette ODD, chaque pays devait pouvoir définir la situation de référence sur la dégradation de ses terres. Le Burkina a adhéré à ce processus. Avant, il y avait le Plan d’actions national de lutte contre la désertification. Quand nous avons élaboré notre Neutralité sur la dégradation des terres (NDT), nous avons fixé des cibles nationales volontaires, qui devaient nous permettre de restaurer plus de cinq millions d’hectares, à l’horizon 2030, parce que ce plan se rallie à celui stratégique de la convention. Dans ce processus de la NDT, nous devons travailler à réduire ou limiter la déforestation. Il y a des mesures associées, telles que les sensibilisations, aménagements pastoraux, reboisement et l’utilisation des engrais biologiques. Jusque-là, cet engagement n’a pas été évalué, parce que le processus vient d’être lancé où tous les pays doivent réviser. C’est en fonction de cette nouvelle situation, que nous verrons si nous avons progressé, régressé ou sommes restés stables.
Interview réalisée
par Afsétou SAWADOGO