Dans un contexte de crise humanitaire due à la situation sécuritaire, des femmes, au Burkina Faso, contraintes de quitter leurs localités pour d’autres plus sécurisées, font face à plusieurs défis mais elles ne restent pas les bras croisés. Au 31 mars 2023, la région de l’Est du pays (Fada N’Gourma) enregistrait 219 719 déplacés dont 50 540 femmes, selon les données statistiques du Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR). Avec l’aide de l’Etat et ses partenaires, ces femmes déplacées internes développent des initiatives pour reconstruire leur vie. Immersion dans l’univers de ces battantes de la ville de Fada N’Gourma.
Il est 9 heures 17 minutes à Fada N’Gourma, ce mercredi 4 décembre 2024. Malgré le froid mordant, les grandes artères de la ville grouillent de monde. Dans la zone à habitats spontanés du secteur 1 de la cité de Yemdabli, notamment au marché, l’ambiance est particulière. Chacun vaque à ses occupations, sans perdre de temps. Ici, la vie continue, coûte que coûte. Au cœur de ce tumulte, à quelques jets de pierres de la voie principale, se dressent des hangars de fortune en paille. Goundi Thiombiano, 40 ans et mère de sept enfants, est une Personne déplacée interne (PDI).

Elle occupe l’un de ces hangars, où elle exerce le métier de coiffeuse. Elle vient de tresser sa première cliente de la journée contre 300 F CFA. Avec cette modeste somme, dame Thiombiano, tout sourire, confie que ses enfants ne dormiront pas le ventre creux. « Si Dieu le veut, j’aurai encore une autre cliente. Nous ne sommes qu’au début de la journée », s’encourage-t-elle. Avant l’arrivée des groupes armés, Goundi Thiombiano vivait « paisiblement » avec son époux et ses enfants, à Madjoari, une commune située à une centaine de kilomètres de Fada N’Gourna. Mais tout a basculé le jour où le village a été attaqué et les populations sommées de déguerpir. Au cours de ces évènements tragiques, dame Thiombiano a perdu son fils aîné de 24 ans, laissant derrière lui, une épouse et un nourrisson de trois mois. Quant à son époux, il demeure jusque-là introuvable. Les rescapés ont alors pris la direction de Fada N’Gourma, la capitale de la région de l’Est. Au bout de six jours de marche, ils arrivent à destination. Privée de ses biens et se retrouvant sans soutien, Goundi Thiombiano va d’abord négocier un toit auprès de bonnes volontés. Malheureusement, au regard de l’affluence des PDI, elle n’obtiendra pas gain de cause.
La persévérance
Elle se contentera de deux maisonnettes qu’elle loue à
6 000 F CFA le mois pour loger sa famille. C’est le début d’une autre vie.
« J’ai commencé avec mes enfants à enlever des nénuphars dans un marigot pour les vendre afin d’avoir de quoi manger », explique-t-elle.
Par la suite, la famille Thiombiano décide de ramasser du sable pour le vendre comme agrégats de construction. Là encore, tout ne fonctionne pas comme prévu. Le marché est morose et le sable devient de plus en plus rare. « Nous pouvions faire un mois avec nos tas de sable sans avoir de clients. Par coup de chance, nous pouvons tomber sur un client. Ce qui nous rapporte 5 000 F CFA ou plus », témoigne Mme Thiombiano. Malgré ces difficultés, elle arrive à épargner la somme de 50 000 F CFA. Elle utilise la moitié de cette somme pour acheter des vivres et l’autre moitié pour acquérir du matériel de coiffure. Aujourd’hui, Mme Thiombiano évolue tant bien que mal dans la coiffure. Son souhait est d’agrandir son activité vitale pour sa famille.
« Chaque jour, j’implore le Tout-puissant afin qu’il m’accorde la santé et bénisse ce que je fais. Je demande aussi aux bonnes volontés de me venir en aide afin de mettre ma famille à l’abri des besoins», soutient-elle.

Comme cette battante, elles sont nombreuses les femmes ayant fuies leurs villages sous la menace des terroristes pour trouver refuge à Fada N’Gourma. Elles exercent diverses Activités génératrices de revenus (AGR). C’est le cas de Claire Bougma, 26 ans, mariée et mère de deux enfants. Elle a quitté Taabo, son village natal pour se retrouver à Fada N’Gourma. A ses débuts, Claire Bougma faisait du porte-à-porte pour laver le linge dans les familles. Avec les petites économies de ce boulot, elle réussit à louer une maisonnette au marché pour le petit commerce, à savoir la vente de condiments, de l’attiéké et des beignets. Pour développer son commerce, elle ne manque pas d’initiatives.
« Parfois, lorsque je suis en manque d’argent, je demande aux grands commerçants qui me livrent la marchandise à crédit », confie-t-elle. C’est grâce à son commerce qu’elle arrive à subvenir aux besoins de sa famille, car son mari est toujours en quête d’emploi. « Mon époux a suivi son ami pour travailler sur un site d’orpaillage. Je n’ai pas d’autre choix que de me battre pour nourrir mes enfants », déclare-t-elle.
Sovou Koamaninpo, 37 ans, mariée, mère de cinq enfants, est aussi une PDI. Elle a quitté son village Haaba, pour s’installer avec son époux à Fada N’Gourma, depuis 2023. Ses conditions de vie semblent plus reluisantes que celles de Goundi Thiombiano et de Claire Tougma. Elle et son époux étaient des commerçants au village jusqu’au jour où les terroristes ont intimé l’ordre de quitter le village. C’est ainsi que le couple s’est retrouvé à Fada N’Gourma. Aujourd’hui, le mari gère une boutique de transfert d’argent et l’épouse poursuit son activité de vente d’ustensile de cuisine. « Quand j’étais au village, j’avais commandé de la marchandise d’une valeur de plus d’un million F CFA. Je n’ai pu écouler qu’environ 300 000 F CFA de marchandises avant notre départ. J’ai abandonné le reste de mes marchandises là-bas, car au regard de la distance, il m’était difficile de les transporter sur les 125 km à parcourir », précise dame Koamaninpo.
Elle refuse l’oisiveté

C’est avec le montant en sa possession, poursuit-elle, qu’elle a relancé son activité. Même si la situation n’est pas reluisante comme au village, le couple rend grâce à Dieu, car à Fada N’Gourma, il vit en paix et arrive tant bien que mal à honorer les besoins de la famille. Pour preuve, le couple a pu s’acheter un lopin de terre dans une zone à habitats spontanés où il a construit une maison pour se faire un toit. Goundi Thiombiano, Claire Bougma et Sovou Koamaninpo ont réussi à mener les activités grâce à leurs efforts personnels. Contrairement à elles, certaines PDI de la cité de Yendabli ont eu le privilège d’être soutenu par l’Etat ou des structures partenaires. Tiamba Thiombiano, 22 ans, mariée et mère d’un enfant, originaire de Nagré, Rachidatou Kina, 26 ans, mère d’une fille de trois ans et S.Y. (qui a requis l’anonymat) 42 ans, mère de sept enfants font partie de ces heureuses bénéficiaires. Tiamba Thiombiano a quitté son village, Nagré, avec sa famille d’une vingtaine de membres en 2019, lorsqu’elle était en classe de 3e du fait de l’insécurité, pour la ville de Fada N’Gourma. Déscolarisée et ne voulant pas restée oisive, dame Thiombiano décide de s’inscrire dans un centre d’apprentissage de coiffure dénommée : « Belle épine ». Elle va se limiter à un an de formation au regard du coût élevé de la formation :
100 000 F CFA par an. Cependant, elle n’abdique pas de sitôt.
La bouée de sauvetage de l’Etat et de ses partenaires
Elle va poursuivre sa formation, pendant trois ans, dans les petits salons de coiffure où le coût est relativement abordable : 25 000 F CFA l’an. En plus de l’aide d’urgence apportée aux PDI dès leur accueil, le ministère en charge de l’action humanitaire les accompagne dans la formation et l’apprentissage de métiers. Selon le Directeur régional de l’action humanitaire et de la solidarité nationale de l’Est, Jean-Paul Ouédraogo, les services sociaux et les partenaires appuient les PDI notamment les femmes pour la création d’AGR.
A titre illustratif, il note que dans le cadre de mise en œuvre du projet 1 000 métiers par le ministère de l’Action humanitaire et de la Solidarité nationale, 335 femmes et filles PDI et hôtes de la région dont 185 pour la commune de Fada N’Gourma ont bénéficié de formation en teinture-tissage, de kits d’installation et de fonds de roulement à hauteur de 100 000 FCFA par personne pour les 2 phases. Egalement dans le cadre du 8 mars 2024, il soutient que 54 femmes ont bénéficié de formation sur la transformation des produits locaux et appuis en technologies. « De plus, dans le cadre de la mise en œuvre du projet corridor 100 femmes (PDI, hôtes, personnes handicapées, veuves de FDS et VDP etc.) ont bénéficié des formations et kits d’installation », affirme-t-il avant d’ajouter qu’avec l’appui du Programme alimentaire mondial (PAM), 1 800 ménages PDI ont bénéficié de formation et équipement en kits d’installation. Aux côtés du gouvernement, des partenaires œuvrent à soutenir les femmes déplacées internes. Ainsi, à l’issue de sa formation, grâce à l’association « Tin Seri », Tiamba Thiombiano est bénéficiaire du projet Wildaf. Elle va suivre à Ouagadougou, deux ateliers de renforcement de capacités en gestion avant de recevoir un kit d’installation.

« Cet accompagnement m’a beaucoup aidé. Mon mari et moi étions des élèves. C’était vraiment difficile pour avoir à manger », avoue-t-elle. Désormais, les conditions de vie de la famille se sont nettement améliorées. « Il y a des jours où je peux encaisser entre 10 000 et 20 000 F CFA. Mon mari aussi se débrouille avec un tricycle qu’un commerçant lui a confié », affirme-t-elle, avec un brin de sourire.
Rachidatou Kina, 26 ans, mère d’une fille de trois ans est aussi une femme battante. Elle a perdu son époux, un soldat de l’armée burkinabè en 2020 à la suite d’une attaque terroriste à Tankoualou. Après la tragédie, elle sera abandonnée par sa belle-famille. Malgré ce choc, dame Kina ne désarme pas. Grâce au soutien de sa mère et de l’association féminine « Tin Seri », elle évolue aujourd’hui dans la restauration. Elle a reçu des formations en restauration et pâtisserie. A l’issue de sa formation, l’association lui a offert du matériel pour débuter son activité. « J’ai appris à préparer les mets locaux, les croquettes et les gâteaux d’anniversaire. J’ai aussi reçu un congélateur, un four et quelques assiettes », relève-t-elle, tout en remerciant les donateurs. La veuve gère un petit restaurant au secteur 1 de Fada N’Gourma. Ses clients peuvent se procurer de la soupe de poisson, du riz au gras ou accompagné d’une sauce, de la salade, de la sucrerie et de la boisson alcoolisée. En termes de recette quotidienne, Rachidatou Kina confie atteindre souvent la barre de 30 000 F CFA voire plus. C’est grâce au restaurant qu’elle arrive à subvenir à ses besoins et à payer la scolarité de sa fille.
Une prise en charge psychologique

S.Y, 42 ans, mère de sept enfants, quant à elle, a bénéficié de l’accompagnement de l’association « Yam Wékré ». Cela fait deux ans qu’elle vit à Fada N’Gourma où elle aide une femme à préparer du « soumbala ». Par moment, elle prend le risque de se rendre en brousse pour chercher du bois de chauffe qu’elle vend aux ménages. Elle a été formée en saponification. Son souhait est d’obtenir du matériel pour débuter ce métier et faire du commerce de condiments. Pour ce faire, elle a le regard tourné vers les bonnes volontés. Mais en attendant cette aide, elle est suivie par l’association « Yam Wékré » pour une prise en charge psychologique du fait d’un traumatisme. Selon la monitrice de l’association « Yam Wékré » (qui intervient à Fada N’Gourma depuis 2021), Fati Thiombiano, pour le volet humanitaire, le dossier de S.Y. a été envoyé à l’action sociale car elle était dénutrie au moment de la prise en charge psychologique. « Il fallait une prise en charge rapide alimentaire », soutient-elle. Dans la même veine, la présidente de l’association « Tin Seri », Ramatou Nassouri, assure que sa structure plaide auprès de l’Etat et des Organisations non gouvernementales pour une prise en charge des Violences basées sur le genre (VBG) car la plupart des femmes déplacées internes ont subi des traumatismes.

« Si elles ne sont pas déchargées de ce traumatisme, il n’est pas évident qu’elles arrivent à mener convenablement une AGR », martèle Ramatou Nassouri. D’où son SOS auprès de toute bonne volonté pour soutenir ces braves femmes. Effectivement, reconnait le Directeur régional de l’action Humanitaire et de la solidarité nationale de l’Est, les violences à l’égard des femmes demeurent une réalité.
Avec la situation sécuritaire difficile, déclare-t-il, on note une exacerbation des cas de VBG. A titre d’exemple, il confie que la direction régionale en charge du genre a enregistré 934 cas de VBG au cours de l’année 2024. Pour soulager les femmes et conformément au protocole de prise en charge des cas de VBG, les gestionnaires de cas assurent la prise en charge sur la base des principes directeurs notamment le droit à la sécurité, à la confidentialité, à la dignité et à l’autodétermination et la non-discrimination, assure Jean-Paul Ouédraogo.
Abdoulaye BALBONE