Forêt de Gourga dans le Yatenga : l’écocide d’un «patrimoine mondial»

Selon le maire de Ouahigouya, Boureima Basile Ouédraogo, le processus pour doter le prix Nobel d’une charte foncière est lancé.

Le soleil culmine au zénith, ce mercredi 29 mai 2019. En cette journée caniculaire, un vent chaud et sec souffle sur le village de Gourga, dans la province du Yatenga, région du Nord. Il fait 42 degrés Celsius à l’ombre. Dans ce conglomérat d’habitats spontanés, formant un véritable labyrinthe, notre véhicule de reportage se fraie difficilement un passage. Un, deux, trois tours de volant, nous voilà sur un autre sentier. A gauche comme à droite, des maisons de fortune bordent la route. Dans cette partie Nord de Gourga, les concessions en terre battue poussent comme des champignons. Les maçons qui montent brique après brique se soucient peu de notre présence. Ils jettent quelques regards furtifs sur nous. Notre chemin est obstrué par endroit. Le temps d’observer ces constructeurs, une plaque nous indique : «Forêt Bangr Raaga». Daba à l’épaule droite, machette à la main gauche, Yacouba Sawadogo, le héros de la lutte contre la désertification sur cette terre aride du Yatenga avance lentement vers nous. Mine déconfite, le prix Nobel alternatif 2018 marmonne quelques mots : «je suis allé constater un peu les dégâts…». Désespéré et essoufflé par une chaleur de plomb, le septuagénaire prend place sur une banquette. La voix tremblotante, le ciel semble lui tomber sur la tête. «Les habitants n’épargnent plus rien dans la forêt. De jour en jour, c’est avec désolation que je constate les diverses agressions», se désole-t-il.

Des attributaires de parcelles ont commencé à ériger des villas.

Ce cultivateur a réussi la prouesse de faire pousser près de 90 espèces d’arbres sur des terres arides. Ce long combat contre l’avancée du désert, Yacouba Sawadogo l’a mené durant 40 ans, grâce à la force de ses bras, avec pour seuls outils, sa petite daba et sa détermination. Pour réussir cette gigantesque œuvre, il a quitté son commerce de pièces détachées à Ouahigouya qui lui rapportait mensuellement 300 000 F CFA pour se replonger dans une technique ancestrale : le zaï. Elle consiste à creuser des trous et à les remplir de déchets organiques en saison sèche avant de semer les graines. Les termites, attirées par le compost, creusent des galeries permettant de retenir et répartir l’eau à l’arrivée des pluies. En plus, il faut faire des cordons pierreux pour limiter l’érosion et conserver l’humidité du sol. Malgré le scepticisme des habitants de son village vis-à-vis de son projet, l’écolo persévère.

Les premières années sont difficiles. Il se bat seul contre les caprices de la nature et les railleries de son entourage. «C’est dans le travail et la ténacité que l’on récolte les fruits de ses efforts», clame-t-il. A force de persister, quelques années plus tard, baobabs, papayers, pruniers et acacias fleurissent dans sa forêt de 27 hectares et des dizaines d’espèces animales la peuplent. L’insécurité alimentaire devient un vieux cauchemar pour les villageois. Les rendements agricoles triplent. Aujourd’hui, sa forêt est un véritable rempart contre l’avancée du désert. Cette titanesque œuvre lui a valu, le 23 novembre 2018 à Stockholm, le Right Livelihood Award ou prix Nobel alternatif pour sa contribution contre la désertification. Mais, ce poumon écologique de cette partie du pays est aujourd’hui en danger.

Environ 5 hectares engloutis

Quotidiennement, Yacouba fait la ronde pour dissuader d’éventuels agresseurs de l’espace forestier qu’il a créé. Car, des actions anthropiques menacent la survie de son domaine. Au cours de notre randonnée, les moineaux s’envolent. Les chants d’hirondelles font place à ceux des tourterelles. Dans le domaine forestier, de somptueuses villas sont aussi perceptibles. Des tonnes d’agrégats, des briques et du sable fin y sont entreposés par endroit. Sur des dizaines de mètres, des bornes sont solidement fixées. Des fondations de maisons sont érigées dans l’espace forestier. Fatoumata Kindo est attributaire de la parcelle N°4 du lot 19. Malgré les supplications du septuagénaire, elle a tenu mordicus à ses 506 mètres carrés.

«Les autorités communales de l’époque lui ont proposé trois parcelles pour qu’elle abandonne son projet de construction. Nous avons même envoyé une délégation pour la supplier, mais elle a catégoriquement refusé», regrette M. Sawadogo. Contre vents et marées, Mme Kindo a abattu une centaine d’arbres quadragénaires pour ériger sa bâtisse. D’autres attributaires de parcelles n’hésitent pas à lui emboîter le pas. Les espèces utilitaires comme les acacias, les combrétacées, les nérés…ont été dessouchées. Le défenseur de la nature supplie parfois les propriétaires d’épargner la vie de certaines plantes fréquemment utilisées dans la pharmacopée traditionnelle. Comment en est-on arrivé à cette situation ? Les lotissements de 2003 ont empiété sur le domaine forestier. Les lots 17, 18, 19, 20, 21, 22 ont été attribués à des particuliers. Environ cinq hectares, soit 49 165 mètres carrés de sa portion ont été engloutis par les lotissements. 70 parcelles se trouvent alors enclavées dans l’espace forestier. Seules 13 parcelles sur 14 dans le lot 19 lui ont été restituées. Pourquoi ? Difficile pour le défenseur de l’environnement d’y répondre. Pendant que le soleil poursuit sa course, le mercure monte. La chaleur écrasante force une colonie d’abeilles à quitter leurs ruches.

Leurs bourdonnements, nous obligent à leur «céder» le passage. «Il fait tellement chaud qu’elles quittent leurs ruches pour venir se désaltérer», lance Lookman Sawadogo, le fils de Yacouba. Nous poursuivons notre chemin. Les agressions sont multiples dans la forêt. Le septuagénaire n’est pas au bout de ses peines. La forêt de Gourga n’est ni bornée, ni clôturée. Elle est de facto, dans le collimateur de nombreux spéculateurs fonciers. Ces derniers n’hésitent pas à morceler par endroit des parcelles de forêt pour les brader. De tous les côtés, le constat est alarmant. Des dizaines de mètres carrés ont fait place à des terrains anarchiquement bornés. «Nous avons plusieurs fois sommé des gens d’arrêter de construire. Mais, ils persistent», témoigne le forestier David Yaméogo. Ne dit-on pas que l’homme est un loup pour l’homme ? «Souvent, ils nous disent que ce sont les villageois qui leur ont vendu des portions de terre. Certains, nous montrent même leurs reçus d’achat», déplore l’agent Yaméogo. Pire, des propriétaires terriens de la zone non lotie, à proximité du domaine forestier, n’hésitent pas à franchir leurs limites spatiales pour y implanter des bornes. «Nous ne savons pas d’où, ils viennent avec les bornes pour les implanter dans la forêt», affirme Yacouba Sawadogo. Au nez et à sa barbe, l’œuvre de sa vie est en train d’être détruite.

Plus de 100 millions F CFA à investir

Face à toutes ces agressions, il a été contraint de repousser les limites de sa forêt. «Je n’ai pas le choix, puisqu’ils détruisent tout sur leur passage», dit-il. Malheureusement, le prix Nobel alternatif ne possède aucun titre de propriété. Donc, à son éternel problème de documents, se greffent désormais l’occupation anarchique de sa forêt, les coupes abusives de bois, les spéculations foncières et la divagation des animaux. Pour sécuriser son patrimoine, il a entrepris, depuis des dizaines d’années, diverses démarches qui n’ont pas abouti. Plusieurs maires se sont succédé à la tête de l’exécutif communal de Ouahigouya, mais aucun n’a pu le rétablir dans ses droits.

«Nous avons eu plusieurs rencontres avec les autorités communales sans qu’aucune décision ne soit formalisée par écrit», se souvient-il. Le ministère de l’Environnement, celui en charge de l’urbanisme et le cadastre, ont mené sans succès des réflexions pour lui octroyer un titre foncier. «Nous avons fait le devis pour le bornage qui s’élevait à 2 500 000 F CFA. Le dossier a été introduit, mais rien n’a été fait jusqu’en fin 2016», se remémore-t-il. Le dossier est à quel niveau ? Yacouba Sawadogo n’a aucune réponse. L’obtention d’un titre de propriété est un long processus qui peut prendre plusieurs années. Selon le receveur des domaines et de la publicité foncière du Yatenga, Issouf Nyampa, pour obtenir un titre de propriété, le vieillard doit s’attacher les services techniques pour se faire établir un plan de situation et un projet de sylviculture. Ensuite, un acte de cession à l’amiable de droits fonciers doit être fourni par les services domaniaux en accord avec les chefs de terres et les Conseil villageois de développement (CVD). Si cet acte est signé, les services de l’urbanisme, de l’environnement, du cadastre, et la mairie doivent donner leur quitus pour l’établissement du projet d’arrêté de cession provisoire à soumettre au ministre des Finances, chargé des domaines.

Ensuite, le prix Nobel devrait s’acquitter de la Taxe de jouissance (TJ) pour obtenir l’attestation de cession provisoire. «Après, il faudra évaluer les investissements dans la forêt, c’est-à-dire, la valeur de chaque arbre qui doit être 20 fois le prix la TJ», explique-t-il. En clair, la taxe de jouissance coûte 20 F CFA le mètre carré. Ce qui équivaut à 200 000 F CFA, l’hectare. Pour ses 27 hectares, il devrait s’acquitter de la somme de 5 400 000 F CFA pour avoir la taxe de jouissance. Or, le titre foncier est égal à 20 fois le coût de ladite taxe. C’est-à-dire que la valeur totale des arbres plantés devrait s’élever à 108 000 000 F CFA, pour qu’on lui délivre enfin un titre foncier. Dans le cas contraire, ce patrimoine mondial sera toujours à la merci des prédateurs de tout acabit… Car, le vieux Sawadogo ne disposera d’aucun document officiel. «Espérons qu’il n’y ait pas des gens qui ont déjà borné des parties dans la forêt avec des titres», s’inquiète M. Nyampa.

«Il ne peut pas se plaindre…»

Selon une source au service cadastral qui a requis l’anonymat, si Yacouba n’a pas de titre de propriété, il ne peut pas se plaindre des agressions. «S’il n’arrive pas à obtenir le document, on peut rentrer dans son domaine sans souci», prévient la même source. Pour le maire de Ouahigouya, Boureima Basile Ouédraogo, tout détenteur d’une parcelle qu’elle soit attribuée ou pas, est tenue d’avoir des papiers authentiques prouvant qu’il en est le propriétaire. «Lorsqu’on a fait le lotissement, la forêt avait été identifiée. Une partie était réservée à la forêt communale et une autre à un espace vert qui a été ensuite loti et attribué. Yacouba a voulu intégrer l’espace vert à sa forêt.

Ce qui a été fait», explique l’édile. Malheureusement, relève-t-il, il y a eu des attributaires de parcelles dans la forêt et tous ont été désintéressés, sauf une dame. Aujourd’hui, souligne M. Ouédraogo, il n’y a pas de problème majeur, car des démarches sont en cours pour que celle-ci y renonce. Il ajoute : «Les riverains n’ont pas du tout forcé la forêt. Ils ont été attributaires. Des négociations sont en cours pour que de façon apaisée, on puisse lui remettre sa forêt», relate le maire. Issa Ouédraogo est attributaire d’une parcelle de 496 mètres carrés depuis 2004. L’an dernier, c’est avec la «bénédiction» du service cadastral de la mairie qu’il a érigé sa villa de type F3. «Lorsque, la parcelle m’a été attribuée, j’ignorais qu’elle était située dans une forêt. Mais avant la construction, la mairie m’a rassuré qu’elle ne faisait pas partie de la forêt. J’ai payé toutes les taxes à hauteur de 300 000 F CFA. J’ai tous mes documents.

Il ne me reste que le permis urbain d’habiter», explique-t-il. Issa dit qu’il ne cédera son lopin de terre que si, la mairie accepte le dédommager à la hauteur de ses investissements. «J’habite la maison depuis le 1er septembre 2018. J’ai commencé à la bâtir avec un prêt de 7 millions F CFA et d’autres revenus», lance-t-il. Selon le maire Ouédraogo, un expert procédera bientôt à des études pour délivrer une charte foncière à Yacouba Sawadogo afin de lui restituer sa forêt. Quand pourrait-il obtenir cette charte foncière ? «Ce sont des démarches administratives, je ne peux vous le dire. L’expert ira avec les services du domaine ou du cadastre, c’est ensemble qu’ils verront. C’est un processus qui est lancé. Nous veillerons à ce que le vieux ait tous les documents», promet-il. Face aux diverses menaces de destruction de ce «patrimoine mondial», le bourgmestre affirme qu’actuellement le conseil municipal n’a pas suffisamment de moyens pour clôturer la forêt. «Nous avons des problèmes financiers. Même si nous l’envisageons, ce ne sera pas pour demain», prévient-il.

Des espèces menacées

Comme, Yacouba Sawadogo est attributaire du prix Nobel alternatif, avance-t-il, la commune pourra, peut-être, approcher certains bailleurs afin d’avoir les moyens pour délimiter définitivement la forêt. «Nous ferons tout notre possible pour qu’elle soit classée comme un patrimoine communal, pour qu’on ne puisse pas la violer», clame Boureima Ouédraogo. Poumon écologique de Ouahigouya, l’importance de cette forêt n’est plus à démontrer. Elle sert aux recherches pédologiques, agricoles, à l’éducation environnementale…Elle est également un vivier pour les produits de la pharmacopée traditionnelle. En attendant la concrétisation de toutes ces promesses, les espèces végétales sont en péril. Les acacias, les dattiers du désert, les pruniers, les gommes arabiques et autres se meurent. Des clandestins coupent les arbres à but lucratif ou pour les transformer en bois de chauffe, mettant en danger l’écosystème, cette forme de réponse aux changements climatiques, dans cette zone où le désert avance à grands pas. «Lors des patrouilles dans la forêt, j’entends souvent des bruits secs. Des gens viennent couper les arbres. Ils sont conscients que ce qu’ils font n’est pas bien. C’est pourquoi, ils viennent nuitamment avec des camions pour le faire et disparaitre», confirme le forestier David Yaméogo.

«Je suis meurtri…»

Pour son combat contre l’avancée du désert, Yacouba Sawadogo est devenu une fierté mondiale. Même, s’il a eu de la satisfaction morale et de la reconnaissance au plan national et international, il est aujourd’hui désespéré. «Je suis meurtri…La sécurisation de la forêt est un véritable problème pour moi», déclare-t-il. Le regard pointé vers l’horizon, il craint de ne rien laisser aux générations futures. Les promesses des ONG, des structures de défense de l’environnement, des personnes physiques et morales, des autorités, il en a reçu ! Mais sur le terrain, aucune action pour l’aider à protéger la forêt n’est visible. Face à cette inaction, le septuagénaire compte sur tous les amoureux de la nature et les personnes de bonne volonté pour sécuriser sa forêt. Pour Yacouba Sawadogo, le plus pressant est de reconstituer la forêt dans son intégrité, afin d’empêcher l’avancée du désert et ses multiples conséquences pour l’homme et la nature. La forêt nécessite plus d’attention des dirigeants, des autorités locales et des acteurs de l’environnement, estime le forestier Yaméogo. «Le vieil homme se bat seul pour la sécuriser. Pour un prix Nobel, il n’a pas le soutien qu’il faut pour protéger ce patrimoine mondial.

Le monde entier nous a fait honneur, à nous de nous assumer», estime-t-il. «Lors de mes voyages, je suis régulièrement interpellé sur le rôle de nos autorités dans la sécurisation de cette forêt. Mais chaque fois, j’ai la tête baissée. Des personnes veulent nous aider, mais pour eux, le premier pas doit venir de nous», affirme le vieux Sawadogo. Désemparé, le héros de la lutte contre la désertification rêve de léguer l’intégrité de l’œuvre de toute sa vie à l’humanité. Mais il redoute que ses efforts pour stopper l’avancée du désert ne soient réduits au néant…

Abdel Aziz NABALOUM
emirathe@yahoo.fr


     Il faut agir !

Pour son combat contre l’avancée du désert, Yacouba Sawadogo est devenu une icône dans la lutte contre la désertification à travers le monde. Ses efforts lui ont permis de glaner en plus du prix Nobel alternatif, des lauriers  Prix  de la fondation Hander Wasser, Prix des Nations Unies Land For Life…). Il est régulièrement invité à travers le monde pour partager son expérience.  Cet Officier de l’Ordre national a montré à la face du monde que la lutte contre la désertification n’est pas un vain mot. Adulé, son œuvre est en train d’être réduite à néant par ses concitoyens. Pire, sans que personne ne pipe mot. Ne dit-on pas que nul n’est prophète chez soi ? Une mesure spéciale doit être prise par les autorités compétentes pour lui accorder un titre de propriété. Nous devons tous contribuer à la protection de l’environnement. Il est temps d’agir vite pour sauver le couvert végétal du vieux Yacouba et par-délà son pays.

A.A.N

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