Handicapés visuels: la bataille pour dompter le numérique

Les personnes aveugles et malvoyantes luttent pour ne pas être en marge de l’évolution technologique. En dépit du développement de nouveaux logiciels adaptés à leur handicap, elles peinent à profiter des facilités qu’offrent les téléphones, smartphones et ordinateurs.

A 20 ans, Elisé Ouédraogo est un mordu des réseaux sociaux, toujours hyper connecté. Souffrant de cécité, il reste pourtant très actif sur Facebook, Whatsapp, Messenger, Youtube… En vacances à Ouagadougou, il passe une bonne partie de son temps sur la toile. Quand il ne publie pas sur les réseaux sociaux, il s’y rend pour «liker», commenter ou partager ce que d’autres ont posté. Elisé a récemment mis une nouvelle photo sur son profil. Plusieurs personnes ont réagi à travers des «J’aime» et des commentaires. Pour faire montre de reconnaissance, il répond à ses amis. Privé de vue, Elisé développe d’autres sens pour «assouvir» ce désir. Sa première botte secrète pour interagir avec ses amis virtuels, c’est la synthèse vocale de son smartphone qu’il a activée. Ensuite, il y a les applications, ces programmes informatiques téléchargés sur internet qui l’aident à effectuer les tâches souhaitées. Avec ces outils, les interlocuteurs d’Elisé à l’autre bout oublient presque sa déficience. Le regard vide, le téléphone accroché à l’oreille droite, le jeune homme s’isole pour lire les réactions des uns et des autres sur sa photo. Mais, à proximité, on peut entendre un élément sonore, à haute voix : «X a commenté votre photo». Ensuite : «Jolie photo mon frère». La magie de la technologie aidant, le téléphone n’a plus aujourd’hui trop de secrets pour Elisé. « On a des applications parlantes dont Talk-back, Shine+ qui nous permettent de manipuler à notre guise le téléphone», explique-t-il. Comment s’y prend-il exactement? Même si au début, il a fallu perdre de nombreuses batailles dans la «guerre du numérique», Elisé se targue aujourd’hui de passer pour un as en la matière. Lorsque le téléphone portable est déverrouillé, une voix féminine notamment indique tout ce qui est affiché sur l’écran, l’heure, la date… Après l’accès libre au menu du téléphone, Elisé pianote sur l’écran tactile jusqu’à retrouver l’application souhaitée, grâce au son émis.

«Les développeurs de TIC ont pensé à nous»

Ensuite, il clique sur celle-ci pour l’ouvrir. Il procède de la même manière pour le choix de l’option. Avec le téléphone portable doté d’un système Androïd, Elisé atteste que les personnes aveugles et malvoyantes peuvent travailler sans assistance.
Ramadan Traoré est un autre handicapé visuel. Lui également utilise un téléphone de grande marque. A l’aide de programmes informatiques propres à l’appareil, il dit être à l’aise quand il surfe sur les réseaux sociaux. «J’ai des applications grâce auxquelles je peux manipuler le téléphone avec la voix uniquement. Il faut juste donner les instructions vocales et l’application les reproduit», se réjouit le jeune. Et d’expliquer : «Je fais mes photos tout seul avec mon portable. Quand je fixe l’appareil sur mon visage, le téléphone m’oriente. La voix me dit : il y a un visage, l’éclairage est net». Ramadan écoute la musique sur Youtube, fait des recherches sur le moteur Google, s’informe sur les sites des médias, interagit sur Facebook et Whatsapp avec ses amis.
A l’image d’Elisé et de Ramadan, il existe aujourd’hui de plus en plus de personnes aveugles et malvoyantes qui tentent de s’approprier les TIC. Monique Somé, la trentaine révolue, est secrétaire d’une structure associative basée à Ouagadougou. En cette matinée du vendredi 4 octobre 2019, elle s’attelle à mettre en forme un document d’une trentaine de pages. Elle est malvoyante. Pour effectuer ses tâches, elle a équipé son ordinateur de bureau de baffles, de casques, de synthèse vocale et d’un logiciel de lecture d’écran. Ces deux derniers éléments lui permettent d’accéder aux données. «Le logiciel suit et dit tout ce que je fais», explique Mme Somé. A la place du clavier classique, son ordinateur est doté d’un clavier braille. Pour elle, il n’y a pas de grandes différences avec les autres ordinateurs, à la différence que les personnes déficientes visuelles n’utilisent pas la souris. Car celle-ci ne leur est d’aucune utilité. Elles utilisent les touches du clavier pour piloter l’ordinateur. Monique procède par le système de raccourcis pour effectuer les mises en forme du texte. «Ces dernières années, pour les handicapés visuels, l’informatique a fait des progrès géniaux. Les développeurs de TIC ont pensé à nous», affirme-t-elle.

Manque de confidentialité

Elisé, Ramadan, Monique, peuvent être considérés comme des privilégiés. Pour nombre de handicapés visuels, les TIC, notamment les téléphones «intelligents» ou smartphones demeurent des outils presqu’inaccessibles. «Trop durs à manipuler», se plaint, pour sa part, Mariam Kaboré, une autre personne handicapée visuelle, qui utilise un téléphone sans système Androïd. Pour se faciliter la tâche, elle a même recours aux sons des touches du clavier. « Je préfère les portables qui ont les touches sensibles, grosses et bombées. La touche de repère est le 5. Je sais également que la touche 5 est au milieu du clavier», détaille-t-elle. Grâce à la touche de repère et au son émis, Mme Kaboré parvient tant bien que mal à composer quelques numéros qu’elle dit avoir mémorisés (pour les cas d’urgence), et quelques rares fois, à rédiger des messages, à écouter la musique et la radio. Pour le reste, Mariam fait appel à ses filles. «Pour ce qui est des textos, je n’ai pas cette facilité à lire et à écrire les messages. A chaque fois, je suis obligée de faire appel à quelqu’un, sinon je perds certaines annonces et promo (bonus…) des compagnies de téléphonie», affirme-t-elle. Et d’ajouter : «Quand une personne me donne son numéro, je lui demande de me biper. Cela me permet de garder le numéro. Arrivée à la maison, je fais enregistrer». Son utilisation du téléphone portable est très limitée. Des réseaux sociaux, elle n’en a cure ou presque, du fait de son état. Elle se contente toujours de téléphones de première génération. Même là, elle affirme s’en sortir difficilement avec ses téléphones «anciens modèles» sans les cours spéciaux de sa fille, surtout lorsqu’elle décide de se procurer un nouveau.
«C’est ma fille qui m’initie à la manipulation des nouveaux téléphones sans quoi, je ne crois pas que je m’en sortirai toute seule», assure-t-elle. Mais, ce qui irrite le plus Léon Ouédraogo, un autre déficient visuel, est moins l’initiation au téléphone que le manque de confidentialité. Il est le délégué des élèves de l’Association burkinabé pour la promotion des aveugles et malvoyants (ABPAM). A ce titre, le jeune est assez sollicité par ses camarades, pour être leur interface auprès de l’association. «Je peux écrire le message. Mais quand j’en reçois, je fais appel à un voyant pour le lire et répondre. Il se pose donc un problème de confidentialité», déclare Léon. Il en est de même pour les appels manqués. La plupart des non-voyants utilise les TIC à minima. Etant dans le même état que les autres, Paul Ouédraogo a lâché prise. Natif de Sabou, dans le Boulkiemdé, il a tout simplement abandonné le «combat». «C’est mon fils qui tient le téléphone. C’est trop compliqué pour moi», avoue-t-il.
Le sexagénaire, agropasteur, a pourtant utilisé le téléphone portable, quelques mois durant. Après, il s’est résigné et a confié sa «communication» à son fils. «C’est de sa génération», dit-il. En réalité, le vieux Paul n’a jamais pu et su faire usage, à lui seul, de son téléphone, malgré les multiples séances d’apprentissage.

Améliorer l’inclusion sociale…

Il a toujours eu recours aux services d’un tiers. «Je n’ai jamais pu maîtriser les touches du téléphone. Je ne faisais que décrocher les appels, je ne pouvais pas en émettre», explique M. Ouédraogo. Las de tenir un objet dont il a du mal à se servir, le déficient visuel a abandonné les TIC.
Pourtant, aujourd’hui, les technologies de l’information et de la communication sont d’une importance capitale. Elles contribuent au développement de la société de l’information, stimulent l’innovation, offrent des moyens d’agir aux populations, donnent accès à l’information et encouragent la croissance socio-économique. L’ABPAM a décidé de faire profiter à ses membres les nombreux avantages liés au numérique et à internet. A Ouagadougou, la structure a ouvert un centre d’initiation et de formation, afin de promouvoir l’outil informatique auprès des handicapés visuels. «Les TIC sont une opportunité pour améliorer l’inclusion sociale de la personne handicapée visuelle», souligne Christophe Oulé, président de l’Union nationale de l’ABPAM. Le moyen de communication le plus efficace des déficients visuels reste le braille. Sauf que, déplore M. Oulé, nombre d’entre eux ne savent pas lire. «Aujourd’hui, avec les TIC, nous pouvons recevoir une correspondance, même en papier, nous le lisons et préparons notre réponse. Cela nous fait gagner en estime de soi », affirme-t-il.
A côté de l’ABPAM, d’autres structures se battent également pour la cause des personnes aveugles et malvoyantes dans le domaine des TIC. L’Agence nationale de promotion des TIC (ANPTIC) en est une. Quoi qu’ayant déjà développé plusieurs initiatives, elle promet un «bond technologique» pour révolutionner l’usage des TIC. Le chef de département Promotion des TIC, Serge Landry Batta, annonce, qu’un appel à projet sera lancé pour le développement de programmes de formation, auquels toutes les structures, sans distinction aucune, pourront prendre part. «De façon spécifique, on ne met pas un accent particulier sur les personnes vivant avec un handicap. En tout cas, pas pour l’instant», reconnaît M. Batta. La problématique de l’accès des aveugles aux TIC reste donc entière au Burkina Faso.

Djakaridia SIRIBIE
dsiribie15@gmail.com

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