Le Congolais Denis Mukwege a reçu, le lundi 10 décembre 2018 à Oslo en Norvège aux côtés de l’Irakienne Nadia Murud, ex-esclave des djihadistes, le prix Nobel de la paix. Les efforts du gynécologue de 63 ans ont retenu l’attention du jury après l’«échec » de 2013. En effet, depuis deux décennies, le Congolais, connu sous le nom de « l’homme qui répare les femmes », consacre sa vie aux victimes de violences sexuelles dans son hôpital de Panzi, à l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), une région déchirée par des violences chroniques. Un engagement au nom de sa patrie qui lui a valu des menaces de mort. En 1989, malgré un travail bien rémunéré en France, il décide de retourner au bercail pour s’occuper de l’hôpital de Lemera, dont il devint médecin directeur. En 1996, lors de la première guerre du Congo, son centre hospitalier est pris pour cible. Il échappe de justesse à la mort, alors que plusieurs malades et infirmiers sont assassinés.
Il se réfugie alors en Nairobi au Kenya, avant de se résoudre à regagner sa mère-patrie. Avec l’aide d’une ONG, Dr Mukwege fonde l’hôpital Panzi à Bukavu où il se voit confronté aux mutilations génitales pratiquées sur les femmes. Profondément affecté par ces barbaries, le fils de pasteur décide d’ajouter une corde à son arc, en enfilant « son gilet jaune » de défenseur des droits humains. Dans une région où le viol collectif est utilisé comme arme de guerre, il se spécialise dans la prise en charge des femmes victimes d’agressions sexuelles, leur apportant une aide médicale mais aussi psychique, économique et juridique.
A l’occasion de la cérémonie officielle de remise de son prix, le médecin de Bukavu a encore fait parler de lui à travers son discours direct, émouvant et interpellateur. « Je viens d’un des pays les plus riches de la planète. Pourtant, le peuple de mon pays est parmi les plus pauvres du monde. La réalité troublante est que l’abondance de nos ressources naturelles (or, coltan, cobalt et autres minerais stratégiques) alimente la guerre, source de la violence extrême et de la pauvreté abjecte au Congo », a-t-il déclaré à la tribune.
Puis de lancer une invite à la communauté internationale, afin de prendre en compte le rapport du projet Mapping, qui, à ses yeux, est en train de moisir dans le tiroir d’un bureau à New York. « Il a été rédigé à l’issue d’une enquête professionnelle et rigoureuse sur les crimes de guerre et les violations des droits humains perpétrés au Congo. Ce rapport du projet Mapping établi par le Haut-Commissariat des Nations unies aux Droits humains, décrit pas moins de 617 crimes de guerre et crimes contre l’humanité et peut-être même des crimes de génocide », a-t-il soutenu. Le gynécologue a invité ses compatriotes au travail, car le spectre de la violence ne s’est guère dissipé. A quelques jours des élections en RDC, prévues pour le 23 décembre 2018, le prix Nobel de la paix reste pessimiste quant à l’issue favorable du scrutin. Convaincu qu’il s’agit d’une parodie d’élection, Denis Mukwege interpelle la communauté internationale sur le regain de violences, qui pourrait en découler et la responsabilité des parties prenantes à œuvrer pour la paix.
Abdoulaye BALBONE