Pargui Emile Paré, insurgé d’octobre 2014 : « Les attentes du peuple ne sont pas comblées »

L’homme politique, Pargui Emile Paré, qui se considère comme un insurgé permanent, a conduit, le 30 octobre 2014, le premier groupe de personnes qui est entré à l’Assemblée nationale pour empêcher la modification de l’article 37 de la Constitution. A l’occasion de l’an V de l’insurrection populaire, celui qui est devenu secrétaire à la formation politique du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), revient sur les attentes du peuple insurgé et les raisons du dévoiement de ses aspirations.

Sidwaya (S.) : Le Burkina Faso commémore aujourd’hui le 5e anniversaire de son insurrection de 2014. Vous avez été de ceux qui sont descendus en premier lieu à l’Assemblée nationale pour empêcher la modification de la Constitution. Quel regard portez-vous sur l’après insurrection ?

Pargui Emile Paré (P.E.P.) : Effectivement, j’étais à la tête du premier peloton qui est entré à l’Assemblée nationale et le reste des insurgés a suivi. Cet événement me reste très mémorable. Cinq ans après, il y a lieu de faire le point et de dire certaines vérités. Dire que je suis satisfait de l’après insurrection, serait me mentir à moi-même, parce que je le dis en fonction des objectifs de ce soulèvement. Quand vous avez vu ce peuple s’insurger comme un seul homme, c’est inédit au Burkina Faso et dans le monde. Ce fut véritablement une insurrection populaire. Je voyais des vieux de 70 ans, des catholiques avec leur croix au cou, des musulmans, des protestants, les femmes de tous les âges et les jeunes, marcher à mes côtés. Un tel événement qui a eu un caractère populaire et national, ne doit pas être minimisé. C’est l’aspiration profonde au changement, une situation éminemment révolutionnaire. Le peuple a fait le diagnostic pour empêcher un régime décadent, dictatorial et antidémocratique qui voulait se tailler une Constitution sur mesure. On voyait ces jeunes et femmes, lever le poing, chanter l’hymne national, l’hymne révolutionnaire pour exprimer leur volonté de voir s’opérer une rupture totale. Mais cette insurrection a été très vite récupérée par la petite bourgeoisie civilo-militaire et juriste. L’insurrection demandait la rupture totale avec l’ancien régime. De ce point de vue, le premier acte, qui devait avoir lieu, c’était la suspension de la Constitution et la dissolution de toutes les institutions qui ont failli. Très vite, avec le ministre en charge de l’Administration territoriale d’alors, le colonel Auguste-Denise Barry, qui a eu le courage de suspendre le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), des pressions l’ont amené à lever cette suspension. Hors, du point de vue historique, une telle insurrection devait permettre de suspendre et de dissoudre toutes les institutions politiques, administratives, sociales et économiques de l’ancien régime. Malheureusement, on a continué avec l’ancienne Constitution et on l’a accompagnée d’une Charte, pour remplacer le Parlement, le gouvernement et le chef de l’Etat. Mais les autres institutions sont restées en l’état. C’est pourquoi, nous disons aujourd’hui que les attentes du peuple insurgé ne sont pas comblées. A l’époque, j’ai tenté d’influer sur le mouvement quand le président, Yacouba Isaac Zida avait demandé à chaque insurgé de faire des propositions pour la Transition. Je lui ai envoyé, à travers la Ligue des électeurs du Burkina (LEB), une proposition recommandant de dissoudre la Constitution et de mettre en place une conférence nationale des insurgés à la Maison du peuple, où on allait statuer sur le bilan de l’ancien régime et qu’il en sorte les nouveaux organes de transition comme le président, le gouvernement, le Conseil constitutionnel, la CENI, le nouveau Code électoral, la nouvelle Constitution …, avant d’aller aux élections. Il ne nous a pas écoutés. Nous avons dû subir ce que le courant bourgeois avait concocté et ils ont amené la révolution dans un cul de sac et aujourd’hui. Tout le monde est d’avis que la seule aspiration du peuple qui a été comblée, c’est la tenue d’élections démocratiques et transparentes et la limitation consacrée du nombre de mandat présidentiel.

S. : A vous écouter, l’insurrection a été dévoyée dès la Transition.

P.E.P. : Bien-sûr. Le problème de l’insurrection, c’est que les forces qui la conduisaient n’étaient pas homogènes. Il y avait des forces éminemment de gauche, révolutionnaires qui voulaient approfondir cette insurrection jusqu’à une révolution véritable. Et il y avait une aile libérale qui, en réalité, cherchait un compromis avec l’ancien pouvoir. A mon avis, cette aile a été hégémonique, au détriment de l’aile révolutionnaire. On comprend donc tous les compromis de la Transition, puisque le CDP et ses alliés, n’ont pas été dissouts. Bien au contraire, nous les avons mis dans les organes de la Transition, pire, dans l’écriture de la nouvelle Constitution. Je ne crois pas que les aspirations des insurgés étaient de s’asseoir encore avec l’ancien régime pour écrire une nouvelle Constitution, le fondement même de l’Etat, au nom de la réconciliation, de la paix et de la stabilité. Mais où sont cette paix et cette stabilité ? Le président Blaise Compaoré continue de diriger le CDP à partir de la Côte d’Ivoire. Comment un peuple peut-il chasser un président, qui va dans un pays voisin du Burkina Faso, change de nationalité un mois après et continue d’influencer la politique nationale ? Véritablement, je suis outré par la situation actuelle.

S. : Pourquoi le pouvoir démocratique qui a succédé à la Transition n’a-t-il pas rectifié le tir?

P.E.P. : Le problème de ce pouvoir est que l’ancien régime a très bien préparé son coup et les « transitionnaires » aussi. Parce que le président Roch Christian Kaboré a gagné les élections au 1er tour avec 53% des voix. C’est dire qu’il a la légitimité et la légalité pour gérer le pouvoir. Mais on a constaté que les « transitionnaires » ont pris des décisions anticipées laissant les conséquences au pouvoir qui allait venir. Si je prends le cas des magistrats et de la justice, ils ont pris les textes que le président Kaboré a trouvés et qu’il fallait appliquer. Cela a été le coup de départ de la fronde sociale jusqu’à aujourd’hui. La deuxième difficulté dans laquelle le président est tombé, c’est qu’on a laissé l’ancien pouvoir évoluer dans la Transition. Celui-ci a voulu récupérer le pouvoir par le coup d’Etat de septembre 2015 pour stopper la Transition et empêcher l’élan révolutionnaire de gauche, notamment le MPP, d’accéder au pouvoir après. Ce coup d’Etat n’était pas contre la Transition, mais pour empêcher le MPP de prendre le pouvoir. Avec la résistance populaire qui s’en est suivi, la Transition a pu suivre son cours jusqu’à la fin.
Quand le président Kaboré a pris le pouvoir, à peine le gouvernement a été nommé, que les attaques terroristes ont commencé jusqu’à nos jours. Encore que l’ancien régime avait conscience, que l’armée était désorganisée et affaiblie. Puis, avec sa branche qui est dans l’administration et dans l’économie, les crimes politiques, économiques et de sang n’ont pas été jugés. L’ancien régime est donc resté détenteur de ces moyens financiers avec l’appui de ses opérateurs économiques et de ses cadres dans l’administration. Les difficultés actuelles du régime MPP à satisfaire les attentes des insurgés tirent leur source de là.

S. : Qu’est-ce qui doit être fait alors pour redonner espoir au peuple ?

P.E.P. : Il faut repartir aux objectifs du peuple insurgé. Le premier était la suspension de la Constitution et des institutions, l’élaboration d’une nouvelle loi fondamentale, base des refondations de l’Etat de droit. Actuellement, on fait tout pour qu’on n’ait pas une nouvelle Constitution et elle est devenue un serpent de mer. Et qui la bloque ? Ce sont des anciens du régime que nous avons appelés pour rédiger cette Constitution, alors qu’ils étaient dans la quatrième République. J’ai dit au président Roch qu’à sa place, je ferai comme le président Alassane Ouattara de Côte d’Ivoire. Il a promis que s’il prend le pouvoir, il passera à la troisième république avec un ticket président -vice-président. Six mois après, il l’a fait et le Burkina, quatre ans après, est incapable de le faire. Donc le président du Faso est en train de terminer son mandat sous la bannière d’une Constitution que le peuple insurgé a rejeté en 2014. De mon point de vue, au lieu d’aller à des élections, il nous faut une nouvelle Constitution, qui n’est d’ailleurs pas celle qui a été actuellement rédigée et dite consensuelle. Je suis contre ce texte qui ne diffère en rien pas fondamentalement de celle de la quatrième république. Le seul choix, c’est un régime parlementaire. Toutes les insurrections se sont terminées par un régime parlementaire comme celle du 3 janvier 1966 au Burkina, parce que le peuple se retrouve dans le Parlement et non dans un régime présidentiel qui amène toujours des dérives monarchiques, autoritaires et une possible patrimonialisation du pouvoir. Tous les pays, dits de gauche sont dans les régimes parlementaires et non présidentiels qui par définition sont pour les bourgeois. Et je pense qu’il n’est pas tard d’aller à cette Constitution.

S : L’autre serpent de mer de l’insurrection, c’est le procès qui tarde à reprendre. A votre avis, qu’est-ce qui coince ?

P.E.P. : Tout cela est dû à la manière dont l’après insurrection a été gérée. Cette question devait être gérée par la Charte de la Transition qui en son article 18 a créé toutes les commissions de travail La première sous-commission était la sous-commission vérité-justice-réconciliation. Où sommes-nous avec elle ? Où sont la vérité, la justice et la réconciliation ? Les « chartiers » et les révolutionnaires devaient résoudre ce problème avant d’aller aux élections. Nous avons continué avec les institutions de la quatrième république et celles de Blaise Compaoré, y compris la justice. Il fallait une réforme profonde de la justice pour que la nouvelle puisse atteindre l’objectif de la sous-commission vérité-justice-réconciliation. On est resté avec les juges acquis et comment voulez-vous que les dossiers avancent ? Nous les insurgés nous sommes très énervés de la manière dont on traite les dossiers pendants en justice. Ailleurs, une fois le pouvoir chassé, les questions fondamentales, qui ont tenu le peuple en haleine, sont urgentes à résoudre. On traine les pas avec les dossiers Norbert Zongo, Thomas Sankara et autres, alors que quand nous étions à l’opposition, nous disions que c’est Blaise Compaoré qui bloquait les dossiers. Cinq ans après son départ, les dossiers sont toujours bloqués. Ce sont les mêmes institutions de la quatrième république, les mêmes magistrats qui continuent de les gérer. Comme on a chanté que la justice est indépendante, le président Kaboré n’a aucune influence sur ces dossiers et on ne peut rien lui imputer. Pour moi, l’indépendance de la justice se conçoit lorsque les juges sont élus au suffrage direct ou indirect au sein de la justice.

S : Etant au pouvoir, comprenez-vous les plaintes des victimes de l’insurrection ?

P.E.P. : Le procès de l’insurrection devait être jugé par la Transition ou à défaut, être vidé au plus vite par le nouveau pouvoir. Mais comme on a opposé à l’ancien pouvoir, l’indépendance de la justice, les textes juridiques ne permettent plus au pouvoir d’avoir une influence sur les dossiers pendants. Il faut l’indépendance, mais après des réformes de la justice. Sinon vous prenez la justice en l’état et vous déclarez qu’elle est indépendante. Je me souviens dès le début de la Transition, le président Michel Kafando avait ordonné la réouverture du dossier Thomas Sankara. Quatre ans après, on tourne toujours et on nous parle d’ADN. Est-ce qu’on a besoin de l’ADN pour savoir qui a tué Sankara ? Le fond du dossier n’est pas de savoir si c’est lui qui est vraiment enterré au cimetière de Danoen, mais de savoir l’auteur du crime. Ce qui m’écœure, c’est que les avocats mêmes de Sankara disent que le dossier avance. Le jugement des dossiers des insurgés, ce sont des flagrants délits. Des gens ont tiré sur des enfants. On m’a personnellement tiré dessus, mais j’ai eu de la chance. De quelle enquête a-t-on besoin pour juger ce dossier. Si on a pu juger le putsch manqué aussi rapidement, le dossier de l’insurrection devrait l’être aussi. Le fait aujourd’hui est que c’est notre justice qui est en cause. Je me dis que le peuple va à un moment donné en avoir marre. Il y a des risques qu’il aille réclamer démocratiquement la vérité et la justice à la justice. On risque d’aller aux élections avec des bourreaux de l’insurrection, ce qui est encore dramatique. Pourtant du point de vue politique, les bourreaux de l’insurrection, c’est-à-dire tous ceux qui ont soutenu le régime Compoaré, ont tous fait leur mea-culpa au peuple. Le CDP, l’ADF/RDA bien d’autres partis ont fait la même chose. C’est la partie judiciaire qui reste.

S : Si l’insurrection était à refaire, est-ce que vous allez mener encore le peloton ?

P.E.P : « On va modifier la constitution coute que coute », disait l’ancien Premier ministre, Yonli Paramanga. Pour paraphraser cette personnalité, si l’insurrection était à refaire, j’allais la refaire, parce qu’elle n’est pas un acte décrété par quelqu’un, ni un acte isolé. Ce sont les conditions objectives de la situation socio-politique et économique d’un pays qui déterminent l’avènement d’une insurrection.

S. : A l’ occasion de l’an V de l’insurrection, quel message avez-vous à l’endroit du peuple insurgé?

P.E.P. : J’estime que le peuple insurgé a donné sa confiance à un certain nombre de leaders militaires, de la société civile et de partis politiques. Et ce peuple insurgé suit avec minutie. Après l’insurrection, nous avons créé le Conseil citoyen pour le suivi de la transition et de la révolution d’octobre. Aujourd’hui, je suis au MPP et non plus de la société civile, mais tous les insurgés suivent si véritablement, le MPP incarne toujours ces aspirations. La majorité du peuple ne dit pas que nous avons la totale responsabilité, mais certains commencent à désenchanter et à penser que nous sommes en train de brader les acquis de l’insurrection. De ce point de vue, je demande au peuple insurgé de suivre la gouvernance actuelle, d’être critique dans le sens de corriger et de rectifier, parce que Roch Marc Christian Kaboré et le MPP font partie du peuple insurgé. Il ne faut donc pas jeter l’eau du bain avec le bébé, mais avoir le courage de critiquer la gouvernance et de faire pression sur la justice, sans prendre la place du juge, pour qu’on accélère les dossiers pendants. L’autre appel, c’est la dimension sociale de l’insurrection, en étant critique sur les déviations sociales que nous jugeons incorrectes, notamment en termes de lutte contre la corruption, la réduction du train de vie de l’Etat…

Interview réalisée par
Jean-Marie TOE

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