Pr Jean Marie Dipama, climatologue : « Face au changement climatique, il faut miser sur la technologie »

Le changement climatique est perceptible un peu partout dans le monde. Il fausse les données et a un effet induit sur la vie des populations à travers leurs activités (agriculture, élevage, commerce, etc.). A travers cette interview, le professeur de climatologie et Pr titulaire de Géographie à l’université Ouaga 1, Pr Joseph- Ki-Zerbo, Jean Marie Dipama donne plus d’explications sur le phénomène.

Sidwaya (S) : Qu’est-ce que le changement climatique ?
Jean Marie Dipama (J.M.D.) : Le changement climatique est lorsque les conditions normales de l’état de l’atmosphère évoluent dans une tendance dont la stabilité perdure sur une période donnée en une série normale, c’est-à-dire une trentaine d’années en climatologie. C’est aussi lorsque les conditions atmosphériques dans un environnement donné se modifient dans une tendance qui se stabilise sur une période relativement longue. En rappel, l’atmosphère est cette enveloppe essentiellement gazeuse qui entoure la plupart des corps célestes dont la planète terre.

S : Quel rôle particulier joue cette enveloppe gazeuse ?
J.M.D. : Chaque gaz joue un rôle fondamental dans l’atmosphère qui, en enrobant notre globe terrestre, s’interpose entre la terre et le rayonnement solaire. C’est cette atmosphère qui absorbe le rayonnement solaire et le transforme en énergie calorifique qu’elle diffuse au niveau de la terre. Aussi, notre enveloppe gazeuse a un filtre ou une couche isotherme qui maintient la température constante à la surface de la terre. C’est l’ensemble de ces conditions qui déterminent le climat à la surface de la terre.

S : Quelle est la nouvelle configuration de la carte climatique ou même pluviométrique du Burkina Faso ?
J.M.D. : Sur la base des études que j’ai menées à l’échelle du Burkina Faso, la configuration de la carte climatique s’observe au niveau des isothermes, c’est-à-dire, les températures et également au niveau des quantités d’eau recueillies au Burkina Faso tant au niveau de leur distribution spatiale que de leur quantité. Du point de vue des températures, il y a vingt ans de cela, on avait l’isotherme 27°C, c’est-à-dire, pour les températures minimales, le Burkina Faso était recouvert à sa partie Sud-Ouest par la ligne de température 27°C. Mais, de plus en plus, cette ligne est en train de quitter le Burkina Faso, ce qui veut dire que de façon tangible, nous observons une remontée ou un relèvement des températures. Par exemple, les quantités d’eau recueillies, la répartition dans le temps et dans l’espace pose problème parce que la plupart de cette eau est reversée maintenant en si peu de temps contrairement aux années antérieures où elle pouvait s’étaler sur cinq à six mois.

S : A l’échelle locale, quels peuvent être en général, les mobiles du changement climatique ?
J.M.D. : Les causes du changement climatique ne sont pas à envisager à l’échelle locale, car tout se conçoit dans la globalité de l’atmosphère terrestre. Dans le cas du Burkina Faso, ce n’est pas un pays fortement industrialisé par conséquent émet moins de CO2 par rapport à des pays comme le Japon, la Chine, la France, la Russie et les Etats- Unis. Néanmoins, au Burkina Faso, ce qui peut être un facteur de changement climatique, c’est surtout la pollution et la dégradation des ressources forestières. En guise d’explication, lorsque la végétation est assez fournie, elle peut être un puits à carbone parce que les arbres en utilisant le CO2 pour la photosynthèse absorbent ce gaz à effet de serre et contribuent ainsi à résorber la quantité de ce gaz dans l’atmosphère. Toutefois, en détruisant les ressources forestières, nous réduisons la capacité d’absorption du CO2.

S : Les producteurs récoltent de faibles rendements du fait de l’insuffisance de la pluviométrie. Que leur faut-il pour s’y adapter ?
J.M.D. : L’on ne peut pas dire que les saisons sont mauvaises de nos jours du fait du changement climatique, car il nous revient de plein droit de mettre en place la technologie nécessaire pour faire face à toutes ces disparités climatiques. Aller au-delà de l’adaptation pour ne pas voir le changement climatique comme un obstacle ou une entrave au développement. Ces réalités, au contraire, doivent nous amener à repenser nos modes de vie, notre façon d’appréhender la nature et à mettre notre esprit de créativité en branle pour transformer ces contraintes en opportunités en termes de résilience. Sur le plan de la production agricole, les chercheurs peuvent être mis à profit pour faire produire d’autres types d’espèces variétales qui s’accommodent au climat actuel.

S : Les semences améliorées peuvent-elles être la solution d’adaptation au changement climatique ?
J.M.D. : Les semences améliorées, entre autres, peuvent constituer une solution d’adaptation au changement climatique. Aussi, il faut repenser toutes les pratiques agricoles comme en Israël où la technologie agricole est développée face au désert. Au lieu de gaspiller, il faut une utilisation rationnelle des ressources. Au-delà des recherches, les pratiques doivent évoluer.

S : Comment pouvez-vous expliquer qu’un changement climatique en Chine ait un effet induit en Afrique ?
J .M.D. : Un changement climatique en Chine peut avoir un effet induit en Afrique car notre atmosphère n’est pas compartimentée. C’est la même enveloppe gazeuse qui entoure la terre. Nous disons d’un point de vue scientifique que l’atmosphère est un continuum si bien que les effets de quelque comportement que ce soit en un lieu donné peuvent être néfastes au Burkina Faso.

S : Pensez-vous que la conférence annuelle sur le climat peut lutter efficacement contre le changement climatique ?
J.M.D. : Ce conclave fait suite à la Cop 21 à Paris où de bonnes résolutions ont été prises et reconfirmées en 2017. Sur le devenir du climat, les enjeux pour les pays ne sont pas les mêmes. A ce titre, nous ne pouvons pas nous réunir et prendre des engagements qui ne vont pas être suivis, qui sont dévoyés ou torpillés par d’autres parce que nous n’avons pas les mêmes intérêts. Il faut se rendre à l’évidence que ce sont les intérêts économiques qui sous-tendent toutes les politiques actuelles en faveur du climat. Tant que cette rencontre peut contribuer à éveiller les consciences, tant mieux. Sinon le principe de la Cop découle en 1992 du sommet de Rio de Janeiro où on a mis en place la Convention cadre des Nations unies pour le changement climatique avec de bonnes résolutions pour le 21e siècle. C’est grave si nous en sommes aujourd’hui à chercher des voies et moyens pour le bien-être du climat. Où sont passés les protocoles, les conventions depuis 1992 ?

Interview réalisée par Boukary BONKOUNGOU

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