Le procès Thomas Sankara et douze autres victimes s’est poursuivi, le lundi 10 janvier 2022, au Tribunal militaire de Ouagadougou avec les auditions par visioconférence des témoins, Aziz Fall et Thierry Secrétan. Le procès-verbal d’audition de feu Salifou Diallo a aussi été élu.
Le procès Thomas Sankara et douze autres victimes au Tribunal militaire de Ouagadougou délocalisé à Ouaga 2000 s’est poursuivi, le lundi 10 janvier 2022 avec les auditions par visioconférence du témoin, Aziz Fall, par ailleurs coordonnateur de la Campagne internationale justice pour Thomas Sankara (CIJS). M. Fall a été cité par la partie civile pour livrer au tribunal, toute information susceptible de contribuer à la manifestation de la vérité.
Le témoin, 59 ans, résidant à Dakar au Sénégal a indiqué qu’il a eu l’honneur d’accompagner l’épouse de Thomas Sankara, Mariam Sankara dans la manifestation de la vérité du dossier Thomas Sankara. Depuis 1997, a-t-il soutenu, la Campagne, avec 22 avocats et plusieurs groupes de personnalités entamaient, au nom de la veuve Mariam Sankara et de ses enfants, une procédure judiciaire devant toutes les instances juridiques du Burkina Faso avant d’être déboutée de façon grotesque, après 5 ans d’efforts.
Selon le témoin, face au manque d’indépendance judiciaire au Burkina, la CIJS a porté l’affaire devant le Comité des droits de l’Homme de l’ONU, le 15 octobre 2002. Dans sa déposition, Aziz Fall a confié avoir reçu un appel de feu Salifou Diallo en août 2004 qui expliquait qu’il n’était pas impliqué dans le dossier.
Aux dires de M. Fall, Salifou Diallo, malade à l’époque et ayant peur pour sa vie, lui a parlé d’un document qui lui aurait été soutiré pendant un sommet France-Afrique. A l’écouter, Salifou Diallo aurait laissé entendre que le document retraçait le complot qui a abouti à l’assassinat du père de la Révolution.
« Il disait que le document montrait que le coup avait été orchestré par la France et le dédouanait et qu’il était à sa recherche. A cette époque, Salifou Diallo en voulait à des Français qui à son avis avaient un double jeu », a relevé Aziz Fall. Le témoin a, par ailleurs, précisé qu’il ne croit pas à tout ce que M. Diallo lui avait déclaré.
« Dans nos investigations, nous avons des informations qu’il a été actif puisqu’il faisait des aller-retour entre le conseil, la radio nationale et le domicile de Blaise Compaoré » a-t-il avancé. Le témoin Fall a en outre soutenu que la CIJS a subi des intimidations et des tentatives de corruption pour la détourner de son objectif. « En novembre 2004, j’ai reçu la visite d’un homme d’affaires camerounais venu me corrompre.
Il m’a tendu un document qu’il a sorti d’une mallette remplie de liasses de billets de banque et m’a dit de signer et de classer le dossier Sankara. Toute chose que j’ai refusée » a déclaré Aziz Fall. A son avis, lorsque les commanditaires se sont rendu compte que la piste de la corruption était impossible, ils ont commencé à s’attaquer aux membres de la campagne. En témoigne l’incendie du véhicule de maitre Bénéwendé Stanislas Sankara.
Le témoin a par ailleurs laissé entendre qu’il ne comprenait pas pourquoi la déposition de Salifou Diallo n’a pas été reversée dans le dossier.
Le discours du 17 février 1984
A la suite de M. Fall, le témoin Thierry Secrétan a aussi fait sa déposition par visioconférence depuis Paris en France. Photographe et réalisateur, M. Secrétan, né le 10 juin 1955 à Paris, a relevé que les informations qu’il détenait ne sont pas de première main, car n’étant pas à Ouagadougou au moment des faits.
A l’écouter, il a fait la connaissance de Thomas Sankara après son discours du 17 février 1984 à Bobo-Dioulasso. Dans ce discours, Sankara aurait déclaré avoir reçu l’aide « clandestine » précieuse du Ghana pour l’avènement de la Révolution au Burkina. Selon M. Secrétan, ce discours n’était pas du goût de John Jerry Rawlings.
Le président ghanéen lui a donc demandé de venir à Ouagadougou avec son ministre des affaires étrangères le 18 février pour demander à Thomas Sankara de faire une déclaration contraire au discours tenu à Bobo-Dioulasso. Au cours de notre mission, le président Sankara n’a pas voulu revenir sur son discours, a-t-il précisé. Pour le témoin, les agences de renseignements des puissances occidentales étaient au parfum du rôle de Jerry Rawlings dans la prise du pouvoir de Thomas Sankara.
Il a noté que les camions du commando de Pô venus à Ouagadougou, le 4 août 1983, ont été envoyés à Blaise Compaoré par Rawlings. Ce soutien du président ghanéen, a précisé le témoin, inquiétait Houphouët Boigny de la Côte d’Ivoire et Eyadema Gnassingbé du Togo. M. Secrétan a aussi mentionné dans sa déposition, la visite de Thomas Sankara à Accra, quinze jours avant son assassinat. « J’étais à cette rencontre.
Elle portait sur la question des syndicats. Mais Rawlings revenait sur les divergences entre Sankara et Blaise. En réponse, son hôte disait toujours qu’il gérait la situation et qu’il n’avait pas besoin d’une médiation du Ghana », a signifié le témoin. Lorsque le drame est survenu, Rawlings n’a jamais pardonné l’assassinat de Thomas Sankara, car il était convaincu de l’implication de Blaise Compaoré, a-t-il ajouté.
Après le témoignage de Thierry Secrétan, le tribunal a demandé la lecture de la déposition de Salifou Diallo faite, le 14 janvier 2016, devant le juge d’instruction. Dans sa déposition, Salifou Diallo a indiqué que le président Thomas Sankara lui avait demandé de rédiger un document pour orienter les groupuscules révolutionnaires vers un parti unifié.
A son avis, Thomas Sankara a proposé qu’il soit le futur secrétaire de l’organisation à venir. Il a alors rédigé un document de 7 pages qu’il a remis, le 4 octobre 1987, au président qui a intégré ses observations. Selon son témoignage, cette proposition sera débattue à la réunion du 15 octobre. Le jour de la réunion, Blaise Compaoré n’étant pas au conseil, le président Sankara lui a demandé d’aller recueillir ses amendements.
« J’étais chez Blaise et je notais ses observations lorsque des tirs ont retenti. Blaise m’a demandé si c’était des coups de feu. Je n’ai pas répondu et quelque temps après son chauffeur Maïga est venu. Les deux se sont vus à l’intérieur. Lorsqu’ils sont ressortis, Blaise m’a demandé d’aller chercher Gabriel Tamini pour le conduire à la radio. C’est par la suite que nous avons appris ce qui s’est passé.
Si Thomas ne m’avait pas envoyé chez Blaise Compaoré, je serais mort », a-t-il relevé dans sa déposition. Après la lecture de la déposition de Salifou Diallo, l’audience a été suspendue aux environs de 12 heures 30. Elle reprend ce matin avec l’audition par visioconférence d’autres témoins notamment, Moussa Diallo, Stéphane Smith suivie de la déposition de certaines victimes ou familles de victimes qui souhaitent s’exprimer.
Abdoulaye BALBONE