Dans ce département, province du Poni (Gaoua), plusieurs villages revivent. Contraints au déplacement forcé par les obscurantistes, les habitants de ces bourgades sont de retour chez eux, grâce aux efforts des forces combattantes combinés à la résiliente des populations. Réinstallés, ils réapprennent à vivre, non sans difficultés. En mi-juillet 2024, nous avons séjourné dans ces localités qui retrouvent peu à peu leur vie d’antan.
Solo (nom d’emprunt), mercredi 17 juillet 2024. Il est 7 h. Une torpeur matinale règne dans ce village d’une des communes de la province du Poni sur la route nationale N°11 (axe Gaoua-Banfora). La pluie y est tombée toute la nuit. Des cris d’oiseaux et les chants de quelques coqs se font entendre. A l’entrée ouest du village, un checkpoint dressé par les populations, plus précisément les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) de la localité. Le drapeau du Burkina Faso fixé sur un bout de bois y flotte fièrement comme pour signaler leur degré d’attachement à la patrie. Pendant que certains VDP contrôlent les entrées et les sorties du village, d’autres sont assis juste à côté sous un hangar autour d’un thé, tous, arme en point. « Nous n’avons pas le droit de contrôler les pièces d’identité. Nous vérifions juste ce que les passants transportent », laisse entendre un du groupe, en faction. Dans le village, les premiers habitants à se réveiller commencent à vaquer à leurs occupations. Solo revient de loin. Le 17 décembre 2022, suite à des attaques répétées des terroristes, le village s’était vidé de ses habitants. Les déplacés se sont éparpillés dans plusieurs localités telles que Loropéni, Kampti, Gaoua, voire Bobo-Dioulasso.
Des stigmates du terrorisme
Le passage des terroristes à Lokosso a laissé des stigmates toujours visibles à certains endroits du village. C’est le cas du Centre de santé et de promotion sociale (CSPS) situé en plein cœur du village. L’installation de plaques solaires qui alimentaient le centre en électricité a été vandalisée et n’a toujours pas été rétablie. La porte du dépôt pharmaceutique qui avait subi le même sort a quant à elle été réparée. Le chef VDP, se remémore du passé douloureux et relève le manque de vigilance de la population en son temps. « Tout a été préparé. Ils faisaient des rencontres nocturnes. Malheureusement nous n’avons pas été vigilants », relate-t-il avec regret. Après avoir été « chassés », les villageois, à en croire le chef VDP, ont sollicité l’intervention de l’armée pour assurer leur dignité « perdue ». La suite, l’armée a formé les volontaires qui, au prix de leur vie, ont accepté de veiller sur le village, sans même réclamer un sou. Après la formation, ils ont été déployés sur le terrain. Aujourd’hui, leur chef se réjouit que cette page soit conjuguée au passé dans son village. « Nous rendons grâce à Dieu pour le calme retrouvé », se félicite-t-il, les yeux rivés vers le ciel comme pour dire merci à Dieu et à l’armée pour tous leurs sacrifices consentis afin de libérer le village. Depuis le 24 décembre 2023, grâce aux actions conjuguées de l’armée et des VDP, les habitants de Solo sont de retour sur la terre de leurs ancêtres. A leur retour, les villageois ont subi quatre attaques. Malgré tout, ils ont décidé de résister. La dernière attaque date du 20 janvier 2024. Aujourd’hui, le calme y règne.
Les villageois, cultivateurs pour la plupart, ont repris leurs travaux champêtres en cette saison pluvieuse. A quelques encablures des habitations se trouve un bas-fond rizicole.
Produire beaucoup pour bien manger
Ce jour, dans cette rizière, des jeunes organisés en association sont heureux de retrouver les champs surtout après la campagne agricole manquée de la dernière saison pluvieuse. Munis de leurs houes, le cœur à l’ouvrage, ces jeunes chantent en labourant la terre. « La saison passée, nous n’avons pas pu cultiver et c’était la galère. Nous nous réjouissons de retrouver notre village pour travailler afin de nous nourrir », déclare l’un d’entre eux. Ce dernier était exilé à Darsalamy, un village à quelques kilomètres de Bobo-Dioulasso où il affirme qu’il avait du mal à avoir une terre pour cultiver. Propriétaire de terres, celui qui retrouve peu à peu sa dignité a décidé d’en donner à ses frères qui sont dans le besoin. « Tout le monde doit avoir à manger », soutient-il. Outre le riz, le maïs, le haricot, le sésame, le sorgho ont entre autres été emblavés. Le plus grand souhait des villageois qui y mettent toute leur énergie, est de réussir cette campagne agricole. C’est le cas de D. Traoré, la joie sur le visage de retrouver son village natal après l’avoir quitté. « Notre retour s’est fait après la campagne agricole et étant à majorité cultivateurs, la vie n’était pas du tout facile pour nous », fait-il savoir. Tout en saluant l’Etat d’avoir accompagné gratuitement dans le labourage de certains champs, son objectif, « produire beaucoup pour bien manger ». Même son de cloche pour sa femme.
« Nous nous débrouillons actuellement pour avoir de quoi en manger. Si la pluviométrie est abondante, nous mangerons bientôt à notre faim », espère M. Traoré, tout en remerciant Dieu de lui avoir permis de retrouver son village après une période très difficile.
Reprise du service public
Plus loin se trouve le CSPS. Ce service public, a également repris ses activités dans le village. De la salle de consultation à la salle d’hospitalisation en passant par la maternité, tous les services fonctionnent normalement. A l’absence de l’infirmier chef de poste, nous n’aurons pas de plus amples informations mais les agents de santé trouvés sur place rassurent que les activités ont repris pour le plus grand bonheur des villageois. L’école, elle, devrait attendre la rentrée prochaine si tout se passe bien, confie notre interlocuteur. Derrière le CSPS, des enfants profitent de leurs vacances même si cette année, l’école de Solo était fermée. Pour l’année scolaire qui s’annonce, le chef VDP a la ferme conviction que l’école pourra rouvrir ses portes.
L’activité économique reprend
L’activité économique recommence aussi à prospérer. Ce n’est pas jour de marché à Solo, donc pas grand monde dans ce poumon économique du village. A en croire F. Touré, vendeuse de « Soumbala », l’activité économique a repris timidement. Ce qui est normal à ses yeux. Petit à petit, se convainc-t-elle, la situation redeviendra comme avant. « Nous souhaitons que la situation s’améliore davantage », soutient-elle. Qu’à cela ne tienne, dame Touré se réjouit de cette « grande » victoire, la réinstallation du village. « Nous sommes reconnaissants envers tous ceux qui ont facilité notre retour au bercail et nous remercions Dieu aussi », poursuit-elle. Non loin du marché, des jeunes du village assis sous un hangar échangent autour du thé. Face à l’insécurité, ces jeunes ont décidé d’une chose, être résilients. « C’est notre village et pour rien au monde, nous le quitterons encore », lance l’un d’eux. Ce « grin » de thé jouxte l’atelier de soudure de A. Ouédraogo. Ce soudeur devenu aujourd’hui VDP s’est installé à Solo depuis 2004. Il a perdu tous son matériel de travail durant le passage des hommes sans foi ni loi. « Ils ont tout ramassé et emporté », relate-t-il. Malgré les difficultés liées à l’absence d’électricité, M. Ouédraogo mène son activité de soudure. « L’électricité n’est toujours pas revenue donc nous ne pouvons travailler en temps plein. Néanmoins je me débrouille avec un groupe électrogène », fait savoir le soudeur-VDP. Pour lui, il n’est plus question de quitter Solo. « Nous sommes revenus et ce n’est plus pour repartir. Nous allons résister à toute éventualité avec l’aide de nos vaillantes Forces de défense et de sécurité », renchérit-il, tout en saluant l’armée pour ses actions sur le terrain.
La nuit est tombée sur Solo, mais chez les VDP le sacerdoce est quotidien, la veille est permanente. Ils maintiennent la garde des check-points. 23h, des jeunes couche-tard, assis dans un kiosque à café échangent toujours pendant que la majorité des habitants du village sont dans les bras de Morphée. Grâce à l’exploit des FDS, à la bravoure et l’engagement de VDP et à la résilience de sa population, Solo surmonte les affres du terrorisme et retrouve peu à peu son lustre d’antan.
La base du terrorisme
Le jeudi 18 juillet 2024. Il est 8h45 minutes à Raba, cette autre localité de la commune. Le village vient à peine de se réveiller. Un calme matinal y règne. La pluie est tombée toute la nuit. Les premiers villageois réveillés ont déjà commencé les travaux champêtres. Ces habitants reprennent goût à la vie. En décembre 2022, le village s’était vidé de ses âmes suite à la recrudescence des attaques terroristes. Le chef du village et ses notables assis sous l’arbre à palabre reçoit l’équipe de reportage. Le chef de village ne prononcera pas de mot. Le président du Conseil villageois de développement (CVD), B. Kambiré, au nom du chef, se réjouit du climat de sécurité retrouvé. « Nous avons souffert le martyre. J’ai même failli perdre la vie … avec ces obscurantistes », relate-t-il. A l’image des autres villageois, il avait quitté le village pour se réfugier ailleurs. Après avoir tout perdu (vol de bétail, pillage de grenier …), les villageois sont de retour depuis le 15 février dernier. A majorité cultivateur, ils s’activent afin que la campagne agricole soit une réussite après celle manquée de l’année dernière. Même si les villageois se réjouissent du retour au bercail, des difficultés subsistent toujours. Pour M. Kambiré, le combat de cette année est d’atteindre l’autosuffisance alimentaire afin de pouvoir manger à sa faim. C’est pourquoi, il sollicite l’aide du gouvernement avec le labour des champs. Aussi, le village demande un appui en intrants agricoles et la réhabilitation des forages. Malgré tout, il se montre résilient. « C’est vrai qu’aujourd’hui, nous sommes dans une situation difficile. Il n’y a rien de tel que de retrouver la terre de nos ancêtres. Quoi qu’il advienne, nous ne quitterons plus le village », confie-t-il.
Dans ce hameau de culture rattaché au village de Raba, les hommes sans foi ni loi avaient établi leur base, troublant la quiétude des villageois. D’ailleurs, les traces de leur présence est toujours perceptible. K. Kambiré, cultivateur âgé d’une soixantaine d’années, visiblement enthousiaste, remercie le Bataillon d’intervention rapide 15 (BIR 15), qui grâce à son intervention a desserré l’étau autour de le village. « S’il n’était pas là, nous n’étions plus quelqu’un aujourd’hui », soutient-il. Après, les jeunes se sont mobilisés pour se faire former afin de prêter main forte à l’armée. Aujourd’hui, le village est « dans le dur », mais garde l’espoir d’un lendemain meilleur. « Nous nous débrouillons en attendant la fin de la saison agricole », laisse-t-il entendre.
« C’était la patrie ou la mort »
Ce même jour. Il est 12 heures 30 minutes à Yela, village situé à 20 km du chef-lieu de la commune. Le soleil est torride et le calme règne dans le village. L’heure de la prière du Zhour (2e prière quotidienne musulmane) s’approche. Le muezzin appelle les fidèles, comme à l’accoutumée, pour la prière. Des fidèles, après leurs ablutions, convergent vers la « maison d’Allah ». Le marché est presque désert. Cependant, des vendeuses de condiments s’y trouvent. A. Ouattara fait partie de ces vendeuses de condiments. Assise sur son tabouret avec sa fillette dans les bras, dame Ouattara est en train de piler ses arachides qui vont servir à la fabrication de pates d’arachides. Il y a environ une année, A. Ouattara, alors enceinte de 8 mois et sa famille avaient été contraintes de quitter le village du fait du terrorisme pour s’installer à Loropéni. Pour joindre les deux bouts, elle a dû travailler comme femme de ménage. En effet, le 8 mars 2022, suite à l’irruption des terroristes dans ce village, la population avait vidé les lieux. Aujourd’hui, c’est avec joie que dame Ouattara retrouve Yela. « Nous sommes heureux de retrouver notre village. Nous remercions Dieu », se réjoui-t-elle. Depuis le mois de novembre 2023, les populations sont de retour au bercail grâce à l’armée soutenue par des VDP qui ont travaillé d’arrache-pied pour la reconquête de ce territoire. Après 8 mois en exil, les populations se sont organisées pour faire face aux assaillants au lieu de les laisser occuper Yela, confie le coordonnateur VDP de la localité. « C’était la patrie ou la mort, grâce aux mânes des ancêtres et à Dieu, nous avons récupéré notre terre », affirme-t-il, tout en faisant un clin d’œil à l’armée pour son aide à la population.
Yela, renait de ses cendres
Longtemps occupé, le village renait de ses cendres.
« Avant, il était difficile de sortir de ce village à cause de la peur. Nous revenons de loin. Nous sommes passés du désespoir à l’espoir », laisse entendre A. Ouattara, l’air très heureuse. Selon elle, Yela respire « bien » maintenant, remerciant du coup la jeunesse pour sa mobilisation dans la libération du village. A l’époque, Alima dit avoir voulu s’enrôler comme VDP pour défendre le village. Au regard de son état de femme enceinte, il lui était impossible d’être recrutée. Non loin d’elle se trouve M. Ouattara, la quinquagénaire assise de son restaurant de fortune, tout sourire, même si sa clientèle a diminué. Mme Ouattara avait quitté le village pour se réfugier à Loropéni. Elle garde l’espoir qu’avec le temps, la situation va s’améliorer. A quelques encablures du marché, un forgeron et ses apprentis travaillent dans leur forge. Après avoir quitté le village à un moment, le « maitre du fer » salue la résilience de la population, qui face aux forces du mal, a su résister. Pour lui, cette résilience doit s’accompagner de solidarité. C’est pourquoi, il assure confectionner du matériel agricole au profit de certaines de ses connaissances à crédit en attendant le remboursement à la fin de la campagne agricole. Plus loin, un mécanicien dans son atelier s’efforce à « prendre soin » de la moto d’un client. Des clients assis sur un banc bavardent entre eux.
A Yela, la situation est devenue normale. Les boutiques et autres petits commerces sont désormais ouverts. La population est majoritairement dépendante de l’agriculture. Des périmètres de terres ont été emblavés pour semer le maïs, le riz, le sorgho, à en croire le cultivateur devenu le coordonnateur VDP du village. Il est l’un des premiers avec un ami à être revenus au village. Pour l’heure, la physionomie des champs présage de bonnes récoltes, foi du VDP. Toutefois, il déplore l’inaccessibilité des intrants agricoles dûe à leur coût élevé sur le marché. « Actuellement, nous avons tout repris à zéro. C’est la croix et la bannière pour avoir de l’argent », se justifie-t-il, tout en lançant un appel à l’Etat pour les accompagner. Lentement et surement, les villages réinstallés de la commune retrouvent peu à peu leur quiétude. En attendant la prochaine récolte, la résilience fait vivre ces villages.
Boudayinga J-M THIENON