Il y a près de 3 décennies, les périodes de transferts dans le football burkinabè s’apparentaient à de véritables films hollywoodiens. Tous les moyens et coups-bas étaient permis pour faire fléchir et obtenir l’oiseau rare pour renforcer son effectif. De André Zackarie Lambo à Madou Dossama en passant par M’Bemba Touré, Henry Sourwema…il y a eu des transferts piquants et à multiples rebondissements.

Depuis le14 juillet dernier, les pensionnaires du Faso foot ont déserté les terrains (même si certains ont repris) pour des vacances bien méritées. Cette période est mise à profit par les états-majors des différentes équipes pour renforcer leurs effectifs. Si présentement, cette période de transferts est la plus calme, ce n’était pas le cas, il y a près de 3 décennies. A cette époque, la recherche de l’oiseau rare était une véritable odyssée. Elle annonçait déjà les chaudes empoignades dans le championnat. Tous les moyens et autres coups-bas étaient permis pour dénicher le meilleur joueur d’un club, non sans susciter le courroux des supporters. Ces derniers étaient capables de tout pour se venger du départ d’un des leurs vers une autre destination, surtout lorsqu’il s’agit du rival. M’Bemba Touré, l’un des grands talents du championnat local du début des années 1990, en a vu des vertes et des pas mûres lorsqu’il décide de franchir le Rubicon : rejoindre un club rival.

M’Bemba Touré, le transfert à problème

D’origine guinéenne, M’Bemba Touré est le beau-frère de Georges Raymond Marshall, alors président de l’EFO de 1981 à 1991. C’est donc lui qui a été à l’origine de son arrivée au Burkina Faso et naturellement de sa signature dans son club. « Depuis mon arrivée, le constat est que l’EFO remportait les titres majeurs. Je voulais ainsi changer d’air et voir de quoi suis-je capable », se justifie encore aujourd’hui M’Bemba Touré. C’est cet argument selon M’Bemba qui le pousse à avoir des velléités de départ. Il l’annonce officiellement après la finale de la Coupe du Faso en 1990, remporté à Ouahigouya par l’EFO. La famille stelliste est en ballotage défavorable pour son feu follet. Mais, pas le « beau » Georges Marshall qui ne crois toujours pas que son beau-frère oserait quitter le navire bleu et blanc. « Je n’imaginais pas M’Bemba quitter l’EFO pour un autre club burkinabè », s’est-il dit à l’époque. Après l’annonce du joueur, les dirigeants de l’ASFA-Y notamment le charismatique, feu Noufou Ouédraogo saisit la balle au bond. Une prime de 1,5 million FCFA est proposée au joueur, plus une revalorisation salariale. M’Bemba Touré est charmé par le nouveau challenge qui s’offre à lui et aussi les billets de banque qui laisseraient aucun joueur de l’époque indifférent. Il s’engage contre toute attente en faveur du club rival. « Inadmissible », selon Georges Marshall. « C’était comme un affront. Comment comprendre que le beau-frère du président quitte son club pour le rival ? Qu’est-ce que l’opinion va penser », s’était interrogé M. Marshall. Il prend une décision radicale en son temps : Il interdit à sa progéniture tout contact avec leur oncle et « même lui dire bonjour » était proscrit. La famille Marshall est au bord de l’explosion. Sentant la situation dégénérée, M’Bemba alerte ses parents en Guinée. Outre, sur le plan familial, il devait aussi gérer sa décision de rejoindre le rival légendaire avec des supporters de l’EFO. Ces derniers lui en voulaient énormément. Il reçoit de multiples menaces. « L’ASFA-Y m’avait logé dans un immeuble en face du grand marché. J’ai fait pratiquement 2 mois sans descendre les marches. Sauf pour les séances d’entrainement où quelqu’un avait été désigné par les dirigeants pour la corvée. Il venait me chercher et me ramenait », raconte le joueur. Le président Georges Marshall fait des pieds et des mains pour rendre la monnaie de sa pièce à son « ennemi » de la capitale. Il réussit alors à débaucher aussi   de l’ASFA-Y son fer de lance en attaque, feu Gabriel Gnimassou dit Garrincha. Ainsi nait la « guerre » des transferts entre les 2 clubs les plus populaires du Burkina Faso.

André Zackarie, de Niamey à Ouagadougou

En effet, au sortir d’une double confrontation victorieuse en ligue des champions africaine face au Zumunta de Niamey en 1989, l’EFO repère le meilleur joueur de l’équipe adverse. Il se nomme André Zackarie Lambo. Doté d’une force de pénétration dévastatrice et d’un pied gauche magique, le garçon à lui seul avait fait douter les Stellistes lors de cette confrontation. André Zackarie est courtisé par l’EFO qui doit faire face à la concurrence de l’ASFA-Y. Deux délégations de l’EFO font à 2 reprises le déplacement de Niamey pour discuter avec la famille du joueur qui se montre réticente à cause du jeune âge d’André Zackarie. Le fondateur de l’EFO feu Oumarou Kouanda s’implique dans les négociations. Il fait partie avec Georges Marshall de la 2e délégation. Cette rencontre s’avère concluante, car, ayant réussi à convaincre la famille. André Zackarie embarque dans le véhicule du président de l’EFO pour Ouagadougou. Les dirigeants de l’ASFA-Y ignorent toutes ces tractations de Niamey. Les dirigeants des jaune et vert, eux aussi à leur tour, prennent la direction de la capitale nigérienne. Arrivés, ils sont informés que Zackarie est à Ouagadougou pour le compte de l’EFO. Stupeur ! Il a comme premier logeur l’ex-Directeur général des Editions Sidwaya Michel Ouédraogo. « En son temps, c’est monsieur Simon Compaoré, l’ex-maire de Ouagadougou qui était au-devant de l’affaire pour le compte de l’ASFA-Y », se rappelle André Zackarie. « Le niveau élevé du football burkinabè par rapport à celui du Niger » est l’une des raisons qui poussent celui qui allait être à 3 reprises le meilleur buteur du championnat burkinabè (dont l’un avec 23 buts) à accepter l’offre de l’EFO. « Zackarie avait pour l’occasion reçu une moto, une prime de signature d’environ 400 000 FCFA avec un salaire mensuel de 150 000 FCFA », informe Georges Marshall.

 

L’ASFA-Y clouée par l’EFO sur le transfert d’Albert Bambara

 

Réputé dans l’art de séduire un joueur, Georges Marshall estime de nos jours qu’il n’avait pas de secret particulier : « il faut adopter la stratégie comme un homme qui fait la cour à une femme ». Fort de ce don de séduction, et en plus du cas André Zackarie, Georges Marshall a adopté la même stratégie pour convaincre le regretté Jules Kadéba de rejoindre son écurie.  Le dirigeant commence d’abord par sympathiser avec le frère du joueur Georges, puis l’épouse de Jules. « A l’époque, j’avais une semaine à passer chaque mois à Bobo-Dioulasso dans le cadre professionnel. Je profitais de ce séjour pour rendre visite à la famille de Jules Kadéba avec souvent des cadeaux à l’appui », raconte le président de l’EFO des années 1980. Chemin faisant, il dévoile par la suite son ambition de transférer Jules Kadéba, alors joueur du RCB à l’EFO.  Georges Marshall a aussi pu piquer un autre sociétaire du RCB Albert Bambara, qui était pressenti pour l’ASFA-Y. « Albert, j’avais commencé à discuter avec lui, à le ménager jusqu’à réussir à le convaincre de signer sa démission du RCB, mais il n’avait pas apposé sa signature sur la licence à l’EFO », explique-t-il. C’est ainsi que la mission a été confiée à feu François Conseiga qui occupait un poste de responsabilité à l’ASFA-Y, mais en qui « je sentais qu’il avait un penchant pour l’EFO ». Propriétaire d’un grand supermarché fréquenté par le joueur, M. Conseiga avait pour mission de convaincre Albert à apposer sa signature sur la licence.  Mission qu’il a accomplie avec comme récompense un poste de vice-président chargé du social dans le bureau exécutif qui a suivi après le congrès du club. Cependant, l’as de la séduction qu’était Georges Marshall nourrit encore aujourd’hui un seul regret : n’avoir pas réussi à recruter le gardien Laurent Ouédraogo alors sociétaire de l’USO. « Quand ça commence à aller, il a pris la direction de la Côte d’Ivoire », souligne-t-il. Quant à Ibrahim Diarra pour son transfert de l’ASFA-Y à l’EFO, il a été isolé dans le plus grand hôtel du Burkina (Silmandé) pendant quelques jours pour éviter les représailles des supporters des « jaune-vert ».

 

Le calvaire d’Henry Sourwema

Quant à Madou Dossama, lui, a pris le chemin inverse lors de la saison 1993-1994. Pur produit de l’EFO, il a quitté son club formateur pour l’ASFA-Y « par frustration ». A 20 ans, il avait du mal à s’imposer au milieu de joueurs évoluant au même poste comme feus Robert Zongo, Oumar Ki, etc. L’ASFA-Y qui était en reconstruction opte pour le technicien ghanéen Abdoul Razack dit Golden Boy. Le manager de Dossama en son temps, l’artiste Mountaga Tall, arrive avec maestria à le faire signer à l’ASFA-Y pour 2 saisons avec une prime de signature d’environ 500 000 FCFA, une moto P50 plus une revalorisation salariale.  « A l’EFO, je venais de monter avec l’équipe première avec 80 000 F CFA comme revenu mensuel pour commencer, sans les primes de matchs. L’ASFA-Y m’offrait 20 000 FCFA de plus, soit 100 000 FCFA », se souvient Madou Dossama.  « Mon transfert a occasionné un tôlé général. Ça été très dur pour moi. Et c’est en étant à l’ASFA-Y que j’ai compris que l’EFO avait des supporters un peu partout : du premier cadre au pousseur de barrique. A chaque fois que tu passes, tu es invectivé, tu es insulté. Et lors des derbys, c’était pire. Ça été l’une des plus mauvaises années pour moi et même pour l’ASFA-Y parce que nous avions failli être relégués en D2 », avoue Dossama. Un joueur qui a aussi vécu un calvaire pour avoir changé de club est Henry Sourwema. Gaucher nominal, le meneur de jeu de l’USO était l’un des meilleurs de sa génération. Contrairement aux autres joueurs cités plus haut, c’est un problème de moto qui l’a fait quitter son club de « cœur » pour le RCK. « J’avais demandé une moto aux dirigeants de l’USO qui m’ont demandé de la patience. Je ne sortais plus aux entrainements et feu colonel Tiemtarboum m’avait offert 60 000 FCFA comme argent de poche. Malgré tout, je brillais de par mon absence aux entrainements. Un jour, ne sachant pas que j’étais à côté, le président Tiemtarboum, certainement frustré s’est marré en laissant entendre que je n’ai rien remporté pour l’USO pour exiger une moto », relate Henri Sourwema. Un commentaire qui a suffi à pousser Henry à opter pour le RCK le même jour, avec à la clé, une nouvelle moto P50 Junior, une somme de 150 000 FCFA, des équipements et un isolement de quelques jours à Bobo-Dioulasso. Menaces et intimidations tombent immédiatement sur le nouveau joueur du RCK. Car, pour les supporters de l’USO, il n’y a pas de raison qu’un natif du quartier Larlé (fief de l’USO) quitte le club. Le joueur, au moment de son transfère, n’avait jamais imaginé qu’il subirait presqu’autant d’animosité. « Je me suis retrouvé dans une situation bizarre. Ma maman, alors vendeuse de légumes au marché de Larlé a reçu des menaces. Des supporters l’y ont rejoint plusieurs fois pour la frapper. On m’a serré les cols à maintes reprises. Certaines rues de Larlé étaient devenues un sens interdit pour moi », se remémore-t-il. Henry Sourwema doit son salut au capitaine portier emblématique de l’USO Laurent Ouédraogo (policier de son état). C’est lui, reconnait le jeune gaucher, qui a sonné la fin de la recréation en mettant en garde quiconque tenterait de porter atteinte à l’intégrité physique d’Henry Sourwema. Football quand tu nous tiens !

Yves OUEDRAOGO

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