Usine clandestine de faux gasoil à Bobo-Dioulasso: une bombe écologique à ciel ouvert

Cette grande fosse creusée pour stocker l’huile de vidange usée peut non seulement polluer le sol, mais aussi la nappe phréatique.

A Léguéma, un quartier situé à la périphérie nord-est de Bobo-Dioulasso, une découverte récente secoue la conscience environnementale. Le Service régional de la police judiciaire des Hauts-Bassins (SRPJ-HBS) a démantelé une usine clandestine de fabrication de faux gasoil, opérant dans l’ombre depuis plus de deux ans. Au cœur de cette affaire, des huiles de vidange usagées, de la soude caustique et de l’acide sulfurique, transformés frauduleusement en carburant. Un cocktail toxique dont les répercussions sur l’environnement et la santé publique inquiètent.

C’est une affaire qui jette une ombre sur les efforts de reboisement engagés par les autorités du Burkina Faso. Une usine clandestine de fabrication de faux gasoil fonctionnait dans une broussaille loin des regards, au moment où, le pays s’apprêtait à engager la population à planter « 5 millions d’arbres en une heure », dans le cadre de la Journée nationale de l’arbre. Vendredi 13 juin 2025, le Service régional de la police judiciaire des Hauts-Bassins (SRPJ-HBS) a levé le voile sur cette activité illégale aux conséquences écologiques potentiellement graves à Léguéma, un quartier périphérique de Bobo-Dioulasso.

Le propriétaire est un expatrié en fuite. Selon le commissaire Yacouba Farta, cette usine produisait mensuellement entre 30 000 et 50 000 litres de carburant contrefait. Les procédés utilisés pour cette fabrication sont pour le moins inquiétants. En effet, l’usine utilisait un cocktail chimique lourd de conséquences pour l’environnement. Il s’agit entre

Ces tas de troncs d’arbres abattus devaient être utilisés pour la production du gasoil.

autres d’huiles de vidange usées, de la soude caustique et de l’acide sulfurique. A première vue de l’usine à une distance de 300 mètres, c’est un hangar qui ressemble à un simple entrepôt.

Lorsqu’on s’approche davantage du site, des résidus sont visibles : bidons éventrés, des taches noires au sol qui étouffent les jeunes plantes, le tout accompagné d’une forte odeur d’hydrocarbures. Des riverains affirment n’avoir jamais été informés de la nature réelle de l’activité de l’usine implantée depuis plus de deux ans, selon le rapport de la police. Personne n’osait s’aventurer en ces lieux. « On pensait que c’était un simple entrepôt. Personne n’imaginait que c’était une usine de transformation », confie le boutiquier Adama Koné, encore choqué. Pourtant, derrière ces murs de clôture inachevés par endroit, se cache une usine clandestine de production de milliers de litres d’un liquide dangereux. 

Des cuves enfouies dans le sol

Bâtie sur une superficie d’environ un hectare, l’usine abrite quelques machines semi-industrielles de production, des citernes pleines de gasoil, des cuves enfouies dans le sol, des fûts d’huile de vidange, des tas de carbonisation, des pneus usagés, des monticules de troncs d’arbres abattus, de l’huile usée et stockée dans de grandes fosses creusées à l’intérieur et à l’extérieur du site et des sacs remplis de produits chimiques. A cela s’ajoute un bâtiment composé de maisons qui servent d’abris et de dépôts de matériels.

Certains arbres qui tiennent encore debout à l’intérieur du site ont rendu l’âme sous l’effet de la chaleur lors de la production du gasoil. Si la SRPJ-HBS a pu mettre fin à l’activité et scellé l’usine, les séquelles laissées sur l’environnement à Léguéma sont inquiétantes. Selon le commandant de la Brigade régionale des Eaux et Forêts des Hauts-Bassins, Ibrahim Sanou, il y a d’abord la destruction des espèces végétales ligneuses et herbeuses. « Quand on regarde autour de nous dans ce site, on ne voit aucun arbre. Or, certaines de ces espèces bénéficient de mesures de protection particulière. Il s’agit, par exemple, du vitellaria paradoxa (karité) et même du parkia biglobosa (néré africain).

Les ruissellements accompagnés des huiles de vidange ont changé la couleur du champ de cette famille située à proximité.

Ces arbres se comptent au bout des doigts », déclare-t-il, visiblement remonté. Ensuite, le commandant des Eaux et Forêts indique qu’il y a eu une destruction des micro-organismes comme la microflore et la microfaune. Toute chose qui rendra, à l’en croire, cette portion de terre improductive pendant plusieurs années. « Ce qui est encore criard, c’est que cette portion de terre mettra du temps pour être restaurée. C’est une pollution du sol. Il va falloir mener des activités de dépollution et cela est coûteux pour l’administration forestière », s’alarme M. Sanou.

Des terres cultivables imbibées d’huiles usées

Les champs situés aux alentours de l’usine n’ont pas échappé aux impacts. Avec l’effet des ruissellements des eaux de pluie, une bonne partie des terres cultivables ont été « imbibées » d’huiles usées au point de les noircir. Le cultivateur Djibril Bisnaré et les membres de sa famille font partie des victimes de cet état de fait. « Nous subissons depuis plus d’une année, les conséquences de l’activité de l’usine. Non seulement nous inhalons les odeurs des hydrocarbures tous les jours, mais le rendement de nos champs a considérablement baissé. Aidez-nous à faire partir cette entreprise », dénonce-t-il.  

Un avis que partage en partie le commandant de la Brigade régionale des Eaux et Forêts des Hauts-Bassins qui reconnait qu’il va falloir mener plusieurs actions pour « sauver » les producteurs qui sont aux alentours. Le chef de service régional des Polices de l’eau et de l’environnement des Hauts-Bassins, Florentin Garba, ne cache pas aussi son inquiétude. «

L’ usine clandestine de fabrication de faux gasoil, dont le propriétaire est
un expatrié en fuite, était implanté dans une brousse loin des regards.

Ces huiles usées contiennent des hydrocarbures et des métaux lourds comme le zinc, le fer ou encore le magnésium.

Quand elles sont déversées directement dans la nature, elles infiltrent le sol et atteignent rapidement les nappes phréatiques », explique-t-il. Pour M. Garba, cette infiltration est facilitée par la géologie du site. « Nous sommes dans une zone sédimentaire très fragile, posée sur du grès fin à forte porosité. C’est une véritable porte d’entrée vers les eaux souterraines. Un seul litre d’huile usée peut contaminer jusqu’à un million de litres d’eau. Une fois infiltrés, ces polluants rendent l’eau impropre à la consommation humaine mais aussi inutilisable pour les cultures. Une production agricole ici, à travers la bioaccumulation, peut être dommageable pour l’homme », prévient le chef de service régional des Polices de l’eau et de l’environnement. 

Une incompatibilité avec la législation environnementale

De l’avis de l’environnementaliste au service régional de la Police de l’eau et de l’environnement des Hauts-Bassins, Aboubakari Soura, les activités menées sur ce site ne sont pas en conformité avec la législation environnementale en vigueur au Burkina Faso. « Les formes de pollution sont multiples, notamment les déversements d’huile de vidange et les conséquences sont graves. L’air y est irrespirable, signe de rejets atmosphériques dangereux.

Il y a des dégagements nocifs qui peuvent porter atteinte à la santé humaine, au-delà même de la pollution des sols et de l’eau », souligne-t-il, le visage marqué par la gravité de la situation. Selon l’environnementaliste, tout commence par un manquement à une étape clé : l’évaluation environnementale. « Toute activité susceptible d’avoir un impact significatif sur l’environnement doit faire l’objet d’une évaluation. C’est une exigence de l’article 25 du Code de l’environnement. Elle permet d’anticiper les risques liés à une activité, sur le plan écologique, social et sanitaire », rappelle-t-il. M. Soura précise que cette évaluation peut prendre plusieurs formes dont une étude d’impact environnemental, une notice ou des prescriptions spécifiques.

C’est seulement à l’issue de ce processus, soutient-il, que le ministère en charge de l’environnement peut délivrer un avis de faisabilité environnementale. Même pour les promoteurs déjà installés sans autorisation, poursuit-il, la loi offre une possibilité de régularisation via un audit environnemental. « Cela permet d’identifier les points de rejet, de mesurer les nuisances causées et de mettre en place des mesures correctives. C’est un rattrapage indispensable », affirme Aboubakari Soura. Il ne passe pas sous silence la législation qui prévoit des sanctions dissuasives.

Bien qu’il tienne débout, cet arbre à l’image d’autres sur le site est mort sous l’effet de la chaleur et de la fumée que produisait l’usine.

« En cas de violation de l’article 25, une amende allant de 1 à 5 millions F CFA est prévue. Et si des dégâts sont constatés, l’auteur est contraint de réparer. C’est le principe du pollueur-payeur inscrit à l’article 9 du Code de l’environnement qui estime que toute personne responsable d’une pollution doit assumer la correction des dommages causés », explique-t-il. Aboubakari Soura appelle à plus de vigilance, mais aussi à une application rigoureuse des lois existantes. Car au-delà des textes, c’est la santé des populations, la qualité de l’eau, de l’air et des sols qui sont en jeu. Un appel auquel se joint le commissaire Yacouba Farta pour inviter les populations à contacter ses services lorsqu’elles verraient ses activités clandestines. Car, dans un contexte de changement climatique déjà pesant, le Burkina Faso ne peut se permettre d’aggraver ses vulnérabilités.

Paténéma Oumar OUEDRAOGO

 

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