Exploitation industrielle d’or au Burkina : une pratique illégale dans le Sahel

Le Burkina Faso comme de nombreux pays est engagé dans le processus du développement durable qui commande de mettre l’environnement et le bien-être des populations au centre de toutes les politiques publiques. Pourtant ,la réserve du Sahel, une zone de conservation de la nature est immolée sur l’autel de l’exploitation des ressources minières au mépris de la loi.

La région du Sahel abrite au total 3 mines industrielles. Si les mines de Inata et de Tambao sont fermées, celle de Essakane est toujours en activité. La mine est exploitée par la société burkinabè Iamgold Essakane SA et appartient à l’investisseur canadien International African Mining Gold Corporation Iamgold Inc. Ces trois mines ont cependant un point commun. Elles sont toutes illégales au regard du décret portant classement de la réserve sylvo-pastorale et partielle de la faune du Sahel, adopté le 9 novembre 1970, par le conseil des ministres de la République de Haute Volta. Selon le directeur général de l’Office national des aires protégées (OFINAP), Benoit Doamba, lorsqu’une forêt est classée, il y a des droits d’usage, mais l’exploitation minière ne saurait en être une. Du reste, l’article 2 du décret de classement précise que « toutes cultures industrielles qui n’auraient d’autre but que la subsistance des éleveurs et les feux de brousse sont interdites ». « S’il faut déclasser quelques hectares et faire une enclave pour exploiter les ressources minières et sauver les aires protégées, cela est possible, mais en toute responsabilité et connaissance de cause. La manière dont les choses se passent dans le Sahel constitue un précédent grave, une jurisprudence grave », poursuit le DG de l’OFINAP.

Le directeur général de l’OFINAP, Benoit Doamba : « les populations et les plus grandes autorités doivent se rendre compte que les forêts sont sacrées. »

Il estime par ailleurs que les populations et les plus grandes autorités doivent se rendre compte que les forêts sont sacrées. Les permis d’exploitation délivrée à l’intérieur de la réserve du Sahel violent l’article 120 du Code minier de 2015 qui stipule que « Les activités de prospection, de recherche ou d’exploitation de substances minérales ne peuvent être entreprises en surface, en profondeur et aux alentours d’une zone de protection, (…) ». Dans le Code minier de 2003, il s’agissait de l’article 63. La réserve sylvo-pastorale et partielle de faune du Sahel est bien particulière en ce sens qu’elle englobe des villes comme Dori, Djibo, Gorom-Gorom, Sebba. La zone a une longue tradition dans l’orpaillage. En effet, le gite aurifère d’Essakane a été découvert en 1985 par des paysans. Devant l’ampleur de la ruée vers l’or et la richesse apparente du site, le gouvernement avait créé « le projet orpaillage » chargé d’encadrer les exploitants artisanaux. Plus tard en 1999, il a créé avec la Société d’ingénierie et de réalisations à l’exportation (SIREX), la compagnie d’exploitation de mine d’or au Burkina (CEMOB) pour lancer l’exploitation semi-mécanisée en plus de l’orpaillage déjà pratiqué. Malgré ces spécificités, l’exploitation industrielle, tout comme l’orpaillage est une activité non conforme à son statut. L’Union internationale pour la conservation de la nature (l’UICN) tirait déjà la sonnette d’alarme dans une étude publiée en 2009.

Une zone importante pour la conservation de la biodiversité

Estimée à 1 822 600 ha, selon les dernières évaluations effectuées par le ministère de l’Environnement de l’Energie, de l’Eau et de l’Assainissement, contrairement à la superficie lors de son classement (1 600 000 ha), la réserve du Sahel est une zone importante pour la biodiversité. Il abrite 3 sites RAMSAR. Les mares d’Oursi, de Yomboli et de Darkoye sont des refuges pour les oiseaux migrateurs. Elles abritent aussi des espèces intégralement protégées comme le vautour charognard et le vautour à tête blanche. Le patron de l’OFINAP évoque aussi la présence de mammifères comme les gazelles, certaines espèces d’hyènes notamment la hyène tachetée, les chacals et d’autres espèces de carnivores, sans compter les éléphants du Gourma qui reviennent du Mali au début de chaque hivernage pour profiter des pâturages de la zone. Située à l’extrême Nord du Burkina Faso, la réserve a un climat aride, très chaud avec une pluviométrie la plus faible du pays, d’où sa fragilité. « C’est une vaste zone, mais, elle est fragile du fait du problème d’eau. C’est vrai que la tendance est de faire des forages pour améliorer les conditions de vie des populations, mais, c’est nécessaire que l’on trouve des moyens pour préserver la biodiversité », soutient Benoit Doamba. Il est important de conserver la biodiversité, car, c’est la base même de la vie. Les plantes servent de nourriture, de bois pour tous les usages et la pharmacopée pour l’Homme, les animaux aussi dépendent d’elle. Au niveau international, l’UICN classe la réserve sylvo -pastorale et partielle de faune du Sahel parmi les grandes aires protégées d’Afrique de l’Ouest situées dans des zones arides.

Les impacts sur l’environnement

Depuis les années 2010, le Burkina Faso est devenu un pays minier majeur en Afrique. L’or est devenu le premier produit d’exportation du Burkina Faso, en remplacement du coton. En 2020, selon le dernier rapport de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (ITIE), les 10 sociétés minières en exploitation ont contribué au budget de l’Etat à hauteur de 236 milliards 494 millions F CFA. La société Essakane SA était la première avec une contribution de 49 milliards 43 millions F CFA. Aussi, le débat public autour de la question minière tourne beaucoup plus autour des retombées économiques. Les impacts environnementaux et sur les communautés sont ainsi occultés. Une situation qui a le don d’exaspérer le secrétaire exécutif de l’Organisation pour le renforcement des capacités de développement (ORCADE), Jonas Hien. ORCADE est une ONG spécialisée dans le suivi de la gouvernance du secteur minier au Burkina Faso. « Le discours populaire voit seulement les recettes qui rentrent dans les caisses de l’Etat et même si, on parle de compensation, on ne met pas en avant le cout social ni le cout environnemental. Je dirai même que l’or ne profite pas encore au Burkina n’en parlons pas des Burkinabè. Je me dis même que c’est parce qu’on estime que le côté négatif est très important qu’on ne veut pas le faire savoir», s’insurge- t-il. Pour ce défenseur des droits des communautés, le premier cout social de l’exploitation minière industrielle est le déplacement puis la relocalisation des populations. L’installation et l’extension de la mine d’Essakane ont causé le déplacement de plus de 16.000 personnes au total (Environmental Justice Atlas 2017).

Le responsable de l’ONG ORCADE, Jonas Hien : « c’est parce qu’on estime que le côté négatif est très important qu’on ne veut pas le faire savoir»

« Bien souvent, la compensation n’est pas à la hauteur de la durée de la mine et n’intègre pas le fait que la terre est perdue à jamais. Ainsi, les populations reçoivent une compensation sur 5 ans et la fourchette d’indemnisation va de 200 000 F CFA à l’hectare par an à 600 000 F CFA pour les sociétés les plus généreuses », révèle-t-il. Jonas Hien déplore par ailleurs le manque de préparation des communautés qui ne découvrent le vrai visage de la mine qu’une fois qu’elle s’est installée. Selon lui, les promesses d’emplois et d’une vie meilleure ne sont pas souvent au rendez-vous, contrairement aux pertes sans que les compensations ne soient toujours à la hauteur. Un autre impact négatif est relatif à la non transparence des sociétés quant au nombre d’infrastructures socio-sanitaires telles que les forages à réaliser .Elles ne sont pas toujours réalisées au prorata prévu et sont présentées comme des dons lorsqu’elles le sont. Les sociétés minières étant de grandes consommatrices d’eau, des conflits avec les populations pour l’accès à l’eau ont été recensées dans certaines localités. Par ailleurs, dans certaines zones, les sites d’orpaillage qui procuraient des revenus aux populations tombent sous l’emprise des projets miniers. Et, c’est la pauvreté qui s’installe. Toutefois, Jonas Hien salue la démarche de la société Essakane qui a développé un système de communication efficace avec les communautés. « Grâce à ce système, il y a moins de conflits avec les populations, car, elles peuvent à tout moment saisir les responsables de la mine à propos de n’importe quel sujet », poursuit-il.

La pollution de l’environnement

Mahamady Porgo et Orhan Gokyay de l’université de Marmara en Turquie, dans une étude publiée en 2017 sur les impacts environnementaux sur la pollution de l’air, de l’eau et du sol causés par l’exploitation de la mine d’or d’Essakane ont montré que l’activité de la mine contribue directement ou indirectement à la pollution de l’air dans le district d’Essakane. L’utilisation de produits chimiques tels que le cyanure (extraction industrielle de l’or) et le mercure (extraction artisanale de l’or) pour extraire l’or du minerai constitue un risque potentiel pour l’écosystème, la santé de la population locale et la production animale. L’étude a également montré qu’il y a une dégradation importante du paysage naturel et de la topographie du sol par l’exploitation à ciel ouvert (mine industrielle) et les trous creusés par les mineurs artisanaux.

Les mines, grandes productrices des gaz à effet de serre

Dans le rapport sur la déforestation et la dégradation des forêts au Burkina Faso : tendance actuelle et principaux facteurs, réalisé en 2019 par le Programme d’investissement forestier (PIF), les auteurs ont effectué une analyse quantitative des impacts quantitatifs de l’exploitation minière sur l’évolution des forêts et des émissions de GES en général et les émissions/séquestrations de carbone, en considérant la consommation de carburant et la déforestation indirecte. Au terme de leur analyse, ils sont parvenus à la conclusion qu’une mine industrielle d’or au Burkina produit mensuellement 543 tonnes d’émission de CO2 par once d’or.

La mine d’or Essakane a produit 404 144 onces d’or en 2020 selon ses propres chiffres. Par extrapolation cela représente une production de 219 millions 450mille 192 tonnes d’émission de CO2 en 2020. Ces différentes études suscitent des interrogations sur le respect des engagements pris par les sociétés minières pour la protection de l’environnement dans les plans de gestion environnementaux et sociaux. Au Burkina, l’Agence nationale des évaluations environnementales (ANEVE) est la structure chargée du contrôle et de la supervision de la mise en œuvre des plans de gestion environnementale des sociétés minières. Selon les responsables de cette structure, aucune mission de suivi de plan de gestion au sein des sociétés minière n’a été menée depuis 2020 à cause de l’insécurité. Parmi les manquements observés quant à la protection de l’environnement par la mine d’Essakane, l’ANEVE souligne l’absence d’un système de valorisation des eaux issues des stations d’épuration ; la non évaluation du taux de reprise des reboisements ; l’enfouissement des déchets valorisables et dangereux, entre autres.

La réhabilitation des sites miniers, l’autre talon d’Achille

La mine d’Essakane, à l’instar de toutes les autres, alimente depuis son entrée en exploitation en 2008, un fonds destiné à la réhabilitation. Ce fonds est alimenté par la cotisation annuelle des sociétés minières en fonction des coûts prévisionnels de la mise en œuvre du programme de préservation et de réhabilitation de l’environnement tel que défini dans l’étude d’impact environnemental et social. Selon le directeur général du Fonds d’intervention pour l’environnement (FIE), Jean Marie Sourwema, les contributions de l’ensemble des mines en production au Fonds de réhabilitation et de fermeture des mines sont évaluées à 52 milliards 553 millions 562 mille 086 F CFA au 30 juin 2022 dans le compte logé à la BCEAO. Prévu par le Code minier de 2003 et reconduit dans le code actuellement en vigueur, le Fonds de réhabilitation et de fermeture de la mine n’est toujours pas opérationnel.

A l’image du serpent qui se mord la queue , le décaissement des fonds au profit des mines est conditionné par le travail des deux sous-comités inter -ministériels mis en place pour d’une part ,valider le plan de réhabilitation et autoriser la réhabilitation proprement dite d’autre part. Sauf qu’aucune disposition n’est prévue pour financer la tenue des sessions de ces comités. Jean Marie Sourwema, a laissé entendre que la mine Essakane SA a décidé de préfinancer les travaux des deux sous-comités en vue de débloquer les fonds destinés à la réhabilitation de la mine. Selon lui, la mine de Perkoa était également dans la même dynamique. Le récent drame enregistré dans la mine de Perkoa où un éboulement a occasionné la mort de plusieurs miniers et la fermeture de la mine ainsi que le cas de la mine de Kalsaka, indiquent l’urgence d’activer ce fonds. Le directeur général du FIE plaide pour une relecture des textes pour opérationnaliser les organes prévus par le Fonds de réhabilitation. Mieux vaut prévenir que guérir dit-on.

Nadège YE

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