Lutte contre le paludisme : « Plus de 16 millions de moustiquaires seront distribuées », Dr Gauthier Tougri, coordonnateur du PNLP

Le coordonnateur du Programme national de lutte contre le paludisme, Dr Gauthier Tougri : « c’est vraiment déplorable de voir que l’utilisation des moustiquaires soit détournée ».

Dans quelques semaines, le Burkina va lancer une vaste opération de distribution de Moustiquaires imprégnées d’insecticide à longue durée d’action (MILDA). Dans cet entretien, le coordonnateur du programme national de lutte contre le paludisme, Dr Gauthier Tougri, fait un état des lieux du paludisme au Burkina. Il explique aussi, le processus de distribution des MILDA et surtout le probable déploiement du vaccin RTS,S pour protéger les enfants de moins de 5 ans contre la maladie, annoncé par l’alliance mondiale du vaccin Gavi.

Sidwaya (S) : Quelle est la situation du paludisme au Burkina ?

Gauthier Tougri (G.T.) : Le paludisme demeure un problème de santé public au Burkina Faso. C’est le premier motif de consultation, d’hospitalisation et malheureusement la première cause de décès au niveau des formations sanitaires. Selon nos données statistiques de 2021, nous avons enregistré 12 231 886 cas de paludisme. Malheureusement, nous avons déploré 4 355 décès. Plus profondément, chaque deux heures, nous avons perdu un Burkinabè. Je pense que c’est trop et quelque chose doit être fait pour que nous puissions renverser la tendance.

S : Dans quelques semaines, la campagne de distribution de moustiquaires sera lancée. Quels sont les objectifs visés ?

G. T. : L’objectif de la campagne MILDA 2022 est de faire en sorte que tous que les Burkinabè aient des moustiquaires pour se protéger. Nous attendons une couverture de 100%. C’est-à-dire que tous les Burkinabè où qu’ils se trouvent puissent utiliser la moustiquaire. Nous avons prévu plus de 16 millions de moustiquaires à distribuer. Alors que nous sommes moins de 22 millions.

Donc, nous avons planifié une moustiquaire pour 2 personnes. Normalement, cela devait être moins de 16 millions, mais avec les célibataires qui vivent seuls, cela fait que la définition du ménage a changé. Nous avons prévu beaucoup de moustiquaires cette année et ce sont des moustiquaires de nouvelles générations. Et, nous avons remarqué qu’il y a des résistances au niveau des moustiques.

Cette année, nous avons utilisé sur toute l’étendue du territoire des moustiquaires de nouvelle génération pour faire face à ces résistances. Nous avons aussi essayé de digitaliser l’opération. La digitalisation est une innovation pour permettre une bonne campagne. Les acteurs qui nous accompagnent n’ont pas les mêmes vocations. Vous pouvez envoyer des saisonniers pour faire le recensement, le dénombrement des populations avant la distribution.

Et, il se trouve qu’ils passent et la population n’est pas là et ils ne vont pas repasser. Avec la digitalisation, au niveau des grandes villes, Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Manga, Koudougou, Ziniaré pour la phase pilote, nous allons voir si effectivement, l’agent est passé et le lieu pour vraiment avoir une meilleure couverture. Cela nous permet aussi de savoir qu’on peut maîtriser un peu la population. Car, lorsque c’est digitalisé, on a vraiment une meilleure vue. Tout cela constituent des innovations pour cette année.

Nous prévoyons la distribution à partir du 30 août 2022. Donc, il y’a un travail qui va être fait. Il s’agit du dénombrement et de la distribution. Le dénombrement pour les zones qui ne sont pas digitalisées sont en cours, mais pour les quatre régions que je viens de citer : la région du Centre, les Hauts-Bassins, le Centre-Sud et le Centre-Ouest, là où, c’est digitalisé, ils vont effectuer le dénombrement du 13 au 27 août 2022. Des gens vont passer pour déterminer le nombre de personnes dans les ménages et voir combien de moustiquaires a droit chaque ménage.

A partir du 30 août, il y aura des sites fixes pendant six jours où des gens vont se déplacer pour aller récupérer. Quand on va dénombrer, nous allons remettre un bon avec un code QR qui va vous permettre d’aller sur le site pour scanner pour savoir combien de moustiquaires on doit vous donner. Nous appelons les gens à adhérer à cette stratégie qui est vraiment protectrice pour nos populations parce que s’il n’y a pas de piqûre de moustiques, il n’y a pas de paludisme.

Le gouvernement et ses partenaires ont fait un effort énorme dans ces conditions pour pouvoir disponibiliser les moustiquaires. C’est vraiment appeler les populations à adhérer à la stratégie, se faire enrôler d’abord et aller chercher les moustiquaires et surtout à les utiliser.

S : L’usage de ces moustiquaires est souvent détourné et se retrouve chez les maraichers. Comment appréciez-vous cette situation ?

G. T. : C’est vraiment déplorable de voir que l’utilisation des moustiquaires est détournée vers le maraichage. Quand on voit tout l’argent qui y est injecté et cela est détourné à d’autres fins, c’est vraiment déplorable. Je voudrais attirer l’attention sur certains insecticides qui sont utilisés. Souvent on ne mesure pas l’utilisation, mais du fait que cela soit à côté des aliments, peut entrainer des maladies comme le cancer. Car, on expose directement les populations ou l’organisme à des insecticides qui ne sont pas normalement destinés à être avalés.

Le fait de mettre les moustiquaires dans l’eau, cela peut être bu par des animaux et retomber sur des hommes. Donc, cela expose les populations. Nous devons accentuer la sensibilisation auprès des gens pour qu’ils évitent cette utilisation qui est faite de ces moustiquaires. S : Gavi, l’Alliance du vaccin, offre aux pays une opportunité de demander un financement afin d’introduire le vaccin antipaludique RTS,

S. Ce soutien international, évalué à près de 160 millions de dollars américain vise à améliorer l’accès au vaccin pour les enfants exposés à un risque élevé de maladie et de décès dus au paludisme. Que pensez-vous de cette annonce ?

G. T. : Depuis octobre 2021, l’OMS a homologué le vaccin RTS,S avec une annonce officielle, invitant les pays où, la transmission est élevée ou moyenne comme le Burkina à pouvoir intégrer la vaccination dans ses stratégies de lutte. Cette annonce faite par Gavi au cours de 2022 a été très bien accueillie à notre niveau parce que l’OMS le recommande, mais, il faut l’accompagnement des partenaires, l’engagement des pays pour pouvoir avoir les moyens, pour pouvoir utiliser ou mettre en œuvre cette stratégie qu’est la vaccination.

Nous avons vraiment accueilli avec joie cette annonce de Gavi, car parallèlement aux interventions de lutte contre le paludisme actuellement recommandées et en complément des moyens de protections disponibles, cet appui pourrait faire baisser la morbidité, la mortalité infantile en Afrique, continent le plus touché et frappé par cette maladie. Lorsqu’on observe aussi une combinaison du vaccin avec d’autres moyens de préventions notamment les moustiquaires imprégnées d’insecticides que nous allons bientôt distribuer cette année, cela permettra de faire fléchir d’au moins 75% des cas de paludisme chez les enfants.

Nous avons eu des interventions combinées à la vaccination et ces résultats nous ont permis de réduire la mortalité au niveau de la population infantile. Le vaccin RTS,S agit de façon spécifique contre le plasmodium falciparumn qui est le parasite palustre le plus mortel et le plus repandu en Afrique surtout au Burkina. Là où le vaccin a été introduit, on a pu observer une baisse considérable du nombre d’enfants hospitalisés pour cause de paludisme grave, de même qu’une baisse du nombre de décès des enfants de la tranche d’âge qui est visée par le vaccin.

S : Pensez-vous que le vaccin RTS,S pourra lutter efficacement contre le paludisme ?

G. T. : Oui. Nous avons foi que le vaccin RTS,S peut lutter efficacement contre le paludisme parce qu’il a suivi des étapes qui ont permis de regarder ce qui peut être fait pour qu’il puisse être homologué par l’OMS. Il est bien vrai que l’efficacité du vaccin n’est pas homologuée comme les autres vaccins. C’est une première dans la lutte contre le paludisme.

Et au vu de l’ampleur du paludisme, si vous réduisez de 50%, c’est déjà très bien. Mieux vaut se protéger que d’attendre un vaccin qu’on attend depuis belle lurette et qui ne vient pas. Je pense que cela va donner aussi de l’énergie aux chercheurs de continuer les recherches. Sinon, nous sommes convaincus que si on avait le vaccin on n’allait pas parler des autres mesures. Mais, nous sommes convaincus que le vaccin, RTS,S seul ne pourra pas venir à bout du paludisme.

Il faut plusieurs interventions combinées comme la chimio prévention du paludisme saisonnier, l’utilisation des MILDA. Et c’est tout cela qui va nous permettre de réduire de façon drastique le nombre de cas. Parce que nous n’avons pas encore trouvé le vaccin qui protège 80% à 100% nos populations. C’est une maladie dévastatrice, nous avons 12 millions de cas. Même si, le vaccin réduit à 50%, il va rester plus de 6millions de cas.

C’est ce qui a motivé l’opinion internationale pour qu’on puisse d’abord l’utiliser. Si, d’autres candidats vaccins qui sont dans les starting-blocks et qui sont très bien peut-être que le temps qu’on puisse le mettre en œuvre, nous allons avoir d’autres vaccins qui vont venir. Mais pour le moment nous sommes confiants qu’utiliser un vaccin homologué par l’OMS va vraiment réduire considérablement le nombre de cas de paludisme au Burkina.

Parce que, quand on l’a utilisé en phase pilote, les résultats nous ont permis de savoir que le vaccin est sûr et a réduit de façon significative le paludisme grave potentiellement mortel. On ne meure pas du palu simple, c’est quand cela se complique. Donc l’utilisation du vaccin dans les zones expérimentées, on a senti vraiment qu’il y a moins de cas de paludisme grave.

C’est dire que l’utilisation dans le système de routines est acceptable. C’est un vaccin qui a été même utilisé au Burkina parce que la phase 3 y a été testée dans nos populations avant d’aller en phase 4 dans les trois pays anglophones. La phase pilote a aussi montré que la demande communautaire pour ce vaccin est forte.

S : Le Burkina va-t-il soumettre une demande afin de recevoir ce vaccin ?

G. T. : Le Burkina va soumettre un document. Nous sommes déjà dans le processus. Nous avons 12 millions de cas. C’est énorme. Parmi les 12 millions de cas, 8 millions sont des enfants de moins de 5 ans. C’est la tranche d’âge où le paludisme fait le plus de ravage. Depuis que l’OMS a annoncé que le vaccin est disponible, nous avons pris la chose à bras le corps. Nous avons travaillé à être dans le starting-block pour que dès que le processus de dépôt des dossiers sera lancé, que nous puissions être prêts.

Nous avons déjà envoyé la lettre d’intention signée par le ministre de la Santé à Gavi pour dire que nous acceptons, nous sommes prêts à pouvoir postuler. En ce qui concerne le vaccin il n’y a pas beaucoup de doses. Ce sera une compétition. Il y a des critères que l’OMS a élaborés pour pouvoir sélectionner les pays prioritaires pour introduire le vaccin. Nous avons déjà mis un comité en place avec toutes les parties intégrantes que sont les chercheurs, les cliniciens…, tous ceux qui interviennent au niveau de la vaccination et de la lutte contre le paludisme pour réfléchir parce que nous sommes sûrs que le vaccin va beaucoup nous aider à diminuer le nombre de cas.

Car, nous avons beaucoup d’enfants malades. Nous travaillons déjà pour que l’année prochaine nous puissions avoir le vaccin au Burkina Faso. Pour 2022, l’OMS a priorisé les 3 pays (Ghana, Kenya, Malawi) qui ont déjà utilisé le vaccin en phase 4. Pour 2023 les autres pays doivent soumissionner pour pouvoir avoir l’accompagnement nécessaire pour l’introduction du vaccin. Nous pensons que nous sommes prioritaires parce que le vaccin a déjà été utilisé en phase 3 au Burkina.

Cela fait partie aussi des critères. Nous pensons que nous avons beaucoup de chance. Nous sommes un pays à fort impact, c’est à dire un pays où le paludisme est beaucoup plus élevé. Cela fait aussi partie des critères. Nous pensons être prêts pour pouvoir introduire le vaccin.

Abdel Aziz NABALOUM

emirathe@yahoo.fr

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