Procès du putsch : La stratégie anti-coup de force de la hiérarchie militaire

Le colonel-major Raboyinga Kaboré : « Mon passage à la barre m’a permis de bien connaître certaines personnes ».

A la suite du colonel-major Sibdou Léonard Gambo, le tribunal militaire a entendu, le mardi 19 février 2019, la version du Chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT) au moment des faits, le colonel-major Raboyinga Kaboré, qui s’est aligné sensiblement sur les propos de ses prédécesseurs de la hiérarchie militaire.

Les membres de la « hiérarchie militaire » défilent à la barre du Tribunal militaire de Ouagadougou et sous réserve de quelques détails, leurs versions concordent sur le déroulé des évènements du putsch de septembre 2015. De quoi faire dire au principal accusé du coup d’Etat, le général Gilbert Diendéré, que les hauts gradés de l’armée ont eu le temps d’accorder leurs violons avant de se présenter au tribunal. Hier mardi 19 février 2019, le colonel-major Raboyinga Kaboré, Chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT) au moment des faits a succédé au colonel-major Sibdou Léonard Gambo.

Mais avant que l’ex-CEMAT ne passe à la barre, Léonard Gambo a fait ressortir lors de son interrogatoire que le général Diendéré et le colonel-major Kiéré ont demandé à consulter leur base lorsque la hiérarchie leur avait dit de surseoir à leur action et de libérer les autorités. Les avocats de la défense, dont l’argumentaire indique que Gilbert Diendéré et Boureima Kiéré n’ont pas fait des aller-retour entre le ministère en charge de la défense et le camp Naaba Koom II, ont voulu savoir combien de temps a duré cet intermède qu’annonce le témoin.

Dix minutes ?, trente minutes ?, ont-ils insisté. « Je ne saurais donner un intervalle de temps avec exactitude au risque de me tromper. A ce moment, l’important était de savoir quel serait le résultat de leur entrevue avec la base », a répondu le colonel-major Gambo. Mais alors, quelle a été l’attitude des participants à la rencontre pendant la période d’attente du retour du général, ont renchéri les conseils de la défense. Le témoin ne s’est pas souvenu de concertation formelle, peut-être des apartés ont eu lieu, mais il ne saurait rappeler exactement ces circonstances dans la mesure où il y avait de la somnolence du fait de l’heure avancée.

L’avocat Latif Dabo a trouvé cela illogique. Pour lui, les participants à la réunion, s’ils étaient farouchement opposés au putsch, auraient pu se concerter pour élaborer un plan B au cas où la base refuserait leur proposition. A l’entendre, la vraisemblance se trouve plutôt dans les versions du général Diendéré et du colonel-major Kiéré qui martèlent qu’ils n’ont quitté la rencontre au MDNAC que pour aller préparer l’arrivée des médiateurs au camp Naaba Koom II.

Son confrère, Me Olivier Yelkouni va opposer les déclarations du témoin aux propos du colonel Tuandanba Coulibaly dans son procès-verbal qui précise que la proposition d’aller consulter la base a été faite par l’assistance et ne provient pas du général. Par cette nuance, l’avocat a noté les contradictions entre les témoins pour en déduire qu’ils ne détiennent pas forcément la vérité. Autorisé à quitter la barre, le témoin Gambo a trouvé dommage que l’armée traverse ces péripéties au moment où elle est sollicitée sur le front.

« Il est souhaitable que les intervenants gardent un esprit de discernement pour distinguer l’institution armée de ces éléments qui ont fauté », a-t-il suggéré. Il y va de l’intégrité du territoire, selon son développement. Le colonel-major Raboyinga Kaboré qui l’a remplacé à la barre a aussi mentionné l’opposition catégorique du commandement aux sollicitations du général Diendéré pour l’accompagner dans le coup de force.

« Si ceux de l’ex-RSP étaient des terroristes… »

Son témoignage a été articulé autour des journées des 16 et 17 septembre 2015, sa présence à l’aéroport pour accueillir les chefs d’Etat de la CEDEAO, le mouvement des garnisons militaires vers Ouagadougou, sa rencontre avec les éléments de l’ex- Régiment de sécurité présidentielle (RSP) le 25 septembre et l’offensive contre celui-ci le 29 septembre.

Le CEMAT, au moment des faits, a dit avoir été informé par le Chef d’état-major général des armées (CEMGA) que l’ex-RSP a pris en otage les autorités de la transition. Il a rejoint son état-major et fait venir ses collaborateurs à qui il a relayé l’information. Ils sont restés sur place à l’état-major de l’armée de terre tout en s’informant par téléphone sur la réunion qui avait lieu au MDNAC. C’est ainsi qu’ils sauront que le mouvement enclenché est un putsch.

Le témoin a dit avoir participé à la réunion du 17 septembre en tant que membre statutaire de la CRAD. En se rendant à cette rencontre, le colonel-major a dit avoir noté les exactions des éléments de l’ex-RSP et les plaintes des populations dont il a fait cas à la réunion. Lorsqu’elle a appris le mouvement de militaires des groupements des provinces vers Ouagadougou, la hiérarchie a envoyé des émissaires à leur rencontre.

Le témoin a dit être allé au-devant des colonnes en provenance de Fada N’Gourma et de Kaya pour les encourager et leur dire d’entrer en contact avec le poste de commandement des opérations, une fois à Ouagadougou. Cette déclaration du témoin a suscité une vague de murmures dans le box des accusés. Le colonel-major a soutenu que la stratégie de la hiérarchie militaire a été d’actionner un certain nombre de leviers afin d’inverser le rapport de force en leur faveur avant de lancer l’offensive contre le camp Naaba Koom II.

La date du 29 septembre a été retenue justement lorsque le rapport de force a été jugé favorable à l’armée. Raboyinga Kaboré a laissé entendre qu’au rang des leviers actionnés par les chefs militaires, faisait partie la démobilisation dans les rangs de l’ex-RSP. Pour preuve, le témoin du parquet a noté que le chef de corps du régiment, le commandant Aziz Korogo a été coopératif et a eu un esprit de discernement pour aller dans le sens du désarmement. « Nous cherchons à gagner du temps pour préparer minutieusement la riposte », a-t-il soutenu.

Le général réfute la thèse de la ruse. « Si on a des stratèges qu’on les mette à contribution pour lutter contre le terrorisme », a rétorqué Diendéré. Réplique du colonel-major : « si ceux de l’ex-RSP étaient des terroristes, les choses n’allaient pas se passer ainsi, on allait trouver d’autres stratégies pour les neutraliser ». Mais, à la question du parquet, le témoin ne s’est pas souvenu que la hiérarchie militaire ait donné instruction au commandant de rester au camp pour les besoins de négociation.

Les capitaines Oussène Zoumbri et Abdoulaye n’ont rien trouvé à ajouter aux propos de l’ex-CEMAT. Le commandant Aziz Korogo a pris acte tout en maintenant avoir été en contact avec le colonel-major. Quant à Boureima Kiéré, il a assuré que les mouvements des garnisons sur Ouagadougou n’ont pas été encouragés par la hiérarchie militaire comme le soutient le témoin.

L’accusé a soutenu qu’au contraire, il a plutôt reçu l’assurance du témoin que la hiérarchie était contre et avait envoyé des émissaires pour dissuader leur avancée sur Ouagadougou. Diendéré est allé dans le même sens. « Golf » a rappelé également que le témoin lui avait expressément dit à la rencontre du 17 septembre : « il faut tout faire pour que l’action réussisse car un échec serait la honte de toute l’armée ».

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