La campagne agricole 2020-2021 s’installe timidement dans la région du Centre-Nord à cause de la rareté des pluies durant les mois de mai et juin et de la crise sécuritaire et humanitaire. De ce fait, les activités culturales sont toujours aux stades de labour et de semis. Avec la disponibilité des intrants et matériels agricoles offerts par le gouvernement et ses partenaires, environ 250 mille tonnes de céréales dont 55 mille tonnes de riz sont attendues dans cette région.
Il est 10 heures 9 minutes, ce vendredi 3 juillet 2020, dans le village de Koulogho, commune de Kaya, province du Sanmatenga. Nous sommes dans une plaine rizicole de 30 hectares (ha) du projet Neer Tamba, exploitée par plus de 200 membres de l’Association des producteurs de riz de Koulogho (APRK). Depuis une semaine, deux tracteurs de la Chambre régionale de d’agriculture du Centre-Nord (CRA-CN) labourent les périmètres rizicoles. Ils sont à leur vingtième et dernier ha, selon le tractoriste Harouna Sawadogo. Pendant ce temps, les producteurs, ‘’armés’’ de dabas et de pioches s’attellent aux préparatifs de leurs parcelles de terre labourées pour les semis. Selon le président de ladite association, Assami Sawadogo, par ailleurs président de l’Union départementale des producteurs du riz de Kaya (UDPRK), ce labour gratuit du bas-fond entre dans le cadre de l’initiative ‘’un million de tonnes de riz pour cette campagne agricole’’ du Président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré. Grâce à ce soutien, ces producteurs espèrent récolter environ 100 tonnes (t) de riz pour cette campagne agricole. Pour le Directeur régional de l’Agriculture et des Aménagements hydroagricoles du Centre-Nord (DRAAH-CN), Yacouba Nango, cette initiative vise à atteindre l’autosuffisance alimentaire au pays des Hommes intègres, afin de faire face à la crise du coronavirus.
Dix jours de poches de sécheresse
C’est pourquoi, poursuit-il, plusieurs périmètres de la région ont été labourés par sa structure et ses partenaires au profit des riziculteurs. «La part contributive de ma région est de 55 mille tonnes de riz pour cette campagne agricole. Pour ce faire, nous avons déjà emblavé 1400 ha de terres sur un potentiel de 5000 ha», indique M. Nango.
Même si cette initiative est salutaire pour les producteurs de riz, la rareté des pluies constitue une préoccupation majeure. «La pluie du 2 juillet dernier est notre première pluie durant tous les mois de mai et juin. Nous sommes vraiment inquiets du niveau d’avancement de nos travaux champêtres parce que pour les saisons passées, à l’heure actuelle, nous étions au stade repiquage des plants de riz. Or, nous attendons toujours les premières pluies pour débuter le labour proprement dit», se tourmente Assami Sawadogo. Et Yacouba Nango d’ajouter: «La répartition de la pluviométrie dans la région est peu reluisante. Car, durant le mois de juin, nous avons enregistré neuf à dix jours de poches de sécheresse». Néanmoins, l’espoir est toujours permis pour une bonne récolte. «Pour le moment, rien n’est perdu. Parce que, lorsque nous comparons cette situation à celle de l’année dernière, nous sommes toujours dans la fourchette. Les prévisions seront bonnes même si la pluviométrie peine à s’installer normalement», rassure le chef de zone d’appui technique de l’agriculture de la commune de Kaya, Boureima Kiéni. Même son de cloche pour son supérieur hiérarchique. «Du point de vue pluviométrie et par rapport à la quantité d’eau enregistrée, le Centre-Nord est excédentaire dans plusieurs postes, à l’exception de celui de la commune de Korsimoro», renchérit M. Nango. Notre périple nous conduit ensuite dans la commune de Tougouri, province du Namentenga. A la veille d’une pluie ‘’bienfaisante’’ (NDLR 2 juillet), Souleymane Sawadogo vient de labourer une partie de son champ, avec une charrue à traction asine. Il compte emblaver 1,5 ha de mil et 0,5 ha de niébé. «Etant donné qu’il ne pleut plus normalement, je suis obligé d’augmenter la superficie de mon champ pour espérer récolter un peu plus», lance-t-il. Ce cinquantenaire est à son deuxième semis sur le même champ. «Après les premiers semis, nous sommes restés plus de deux semaines sans pluie et tous nos semis qui étaient au stade de germination sont pourries. Nous sommes obligés de tout rependre», déplore M. Sawadogo. Il n’est pas bénéficiaire des semences améliorées. «Je suis aveugle dans la manipulation de mon téléphone portable. Même si je suis retenu, comment pourrai-je payer des semences ?», s’interroge-t-il.
369 T de semences reçues
De ce fait, il souhaite que le gouvernement assouplisse les conditions d’accès des intrants et équipements agricoles. A l’issue de cet entretien, Souleymane Sawadogo nous dirige dans ses deux périmètres rizicoles de 0,5 ha. Lui et ses collaborateurs ont aussi bénéficié du labour gratuit de leur bas-fonds de 37,5 ha toujours dans le cadre du projet d’un million de tonnes du Président du Faso. Ici, sa plaine de 0,5 ha est au stade de binage après le passage d’un tracteur. A côté de son périmètre rizicole, Souleymane Sawadogo a mis en place une pépinière de riz pour les cultures de contre-saison, afin de juguler les mauvaises récoltes. «Depuis les trois dernières années de saison pluvieuse, nos récoltes de riz n’atteignent jamais la phase de maturité, faute de pluie. Par exemple, la saison dernière, nous avons récolté deux tonnes de riz sur les 150 parcelles rizicoles. Une situation inquiétante. Etant donné que nous avons eu un boulli (bassin d’eau), nous préparons déjà l’après-saison pluvieuse», se rassure-t-il. Pour cette campagne agricole, aux dires de Yacouba Nango, 250 mille tonnes de céréales sont attendues dans la région du Centre-Nord. Pour ce faire, poursuit-il, le gouvernement a mis à la disposition de sa région, 369 t de semences et 1166 t d’engrais (NPK et urée). La plupart des magasins des 28 communes que compte la région a été ravitaillée en intrants avec une délocalisation de ceux des communes de Pensa, Dablo, Namissiguima, Barsalogho…, si l’on s’en tient aux propos de M. Nango. Cependant, certains intrants sont soit insuffisants, soit inadaptés aux besoins des producteurs. «Sur une prévision d’approvisionnement de l’urée de 354 t, seules 141 t ont été reçues. Nous ne disposons pas aussi de quantités suffisantes de semences, notamment le mil. C’est pourquoi nous voulons échanger le maïs reçu contre le mil parce que le Centre-Nord est une zone de culture de mil», soutient Yacouba Nango. Pour constater l’effectivité des distributions des intrants, nous avons visité les trois magasins des communes de Kaya, Pissila et Tougouri.
Taux de distribution de 33,98%
Devant chaque magasin, une équipe de deux à trois personnes est mise en place, chargée de la vérification de l’identité du client sur la liste des bénéficiaires, de son code de paiement et de la livraison. Dans ces points de vente, l’affluence n’est pas au rendez-vous. Les bénéficiaires arrivent au compte-gouttes pour récupérer leurs provisions. Néanmoins, à l’exception de l’engrais (urée), toutes ces boutiques ont été approvisionnées de semences tels le sorgho, le mil, le sésame, le maïs, l’arachide, le riz et le soja. Alexis Ouédraogo, agro-dealer du magasin de la commune de Pissila, a reçu, à la date du 13 juin dernier, 20,7 t d’engrais NPK, 5,2 t de sorgho, 1,3 t de mil, 0,2 t de sésame et 0,1 t d’arachide. «L’urée n’est pas encore arrivé», confie-t-il. Même constat dans l’entrepôt de Paul Ouédraogo, installé à Kaya. Il a été livré en intrants : 4,5 T de maïs, 2,5 t de petit mil et 4 t de sorgho, sans l’engrais (NPK et urée). Ces magasiniers déplorent aussi l’acheminement tardif des semences et engrais (13 juin). «Les producteurs n’ont pas eu l’information à temps sur la disponibilité des intrants. Ce qui fait qu’il n’y a pas trop d’affluence», ajoute Paul Ouédraogo. A entendre le directeur régional Nango, à la date du 2 juillet 2020, le taux de distribution des semences et des engrais dans la région du Centre-Nord était à 33,98%. Ce faible taux de distribution, justifie-t-il, est lié, entre autres, au niveau d’instruction des producteurs, à l’accès difficile de certaines zones du fait de l’insécurité (Namissiguima, Dablo, Pensa…), à la mauvaise qualité du réseau téléphonique et à l’éloignement de certaines communes par rapport à leurs magasins délocalisés. Selon les prix édictés par le ministère de l’Agriculture et des Aménagements hydro-agricoles (MAAH), un sac de 50 kg d’engrais coûte 12 mille F CFA et un kit de semences est vendu à 1000 francs. Le pesage du kit diffère d’une céréale à l’autre. Pour le mil, le sorgho et le riz, le kit pèse 10kg, le maïs (15 kg), le niébé (8 kg), l’arachide (40 kg), le sésame (3 kg).
2000 ha de terres pour les PDI
Selon Yacouba Nango, le riz et le niébé sont distribués gratuitement aux femmes par les agents de l’agriculture. Pour auto-employer les Personnes déplacées internes (PDI), la DRAAH-CN et ses partenaires ont mis à leur disposition des terres récupérées. «Dans le cadre du Programme alimentaire mondial (PAM), nous avons mis à la disposition de ces PDI plus de 2000 ha de terres récupérées en demi-lunes et zaï, des intrants et du matériel post-récolte», se réjouit M. Nango. Depuis le 1er juin 2020, le gouvernement a lancé le paiement électronique des intrants agricoles. Une innovation diversement appréciée par des producteurs agricoles. «C’est une bonne initiative, car elle nous simplifie la tâche. Nous n’avons plus besoin de nous déplacer pour acheter des semences et engrais», se réjouit Assami Sawadogo.
Par contre, Ousséni Ouédraogo, ressortissant du village de Dondollé, commune de Kaya, déplore la complexité de la procédure de paiement. «La procédure a été un casse-tête pour moi surtout avec le problème de réseau. Tu reçois un message que tu ne sais même pas lire», indique-t-il. Néanmoins, il a réussi à s’acheter un kit de mil de dix kg via transfert d’argent avec un code de treize chiffres. Pour lui, pour atteindre ses objectifs, le gouvernement doit mettre l’accent sur la sensibilisation des populations et la vulgarisation de cette plateforme. Ousséni Ouédraogo a mis l’occasion à profit pour exhorter les producteurs à s’approprier les semences améliorées, afin de s’adapter aux changements climatiques. «Ces semences ont un cycle court (80 jours) contre plus de 100 jours pour les anciennes semences qui ne conviennent plus avec la saison pluvieuse actuelle», soutient-il.
Parmi les doléances présentées par les producteurs, figurent, entre autres, la suppression du mode de paiement électronique, en ce sens que la majorité des paysans ne savent ni lire ni écrire, la gratuité des semences et engrais, la dotation en équipements agricoles (tracteurs) et la réalisation des ‘’boullis’’ au niveau des bas-fonds. L’une des irrégularités constatées par le chef de zone d’appui technique de l’agriculture de la commune de Kaya dans le processus de paiement électronique des semences et des engrais est le choix des bénéficiaires des semences qui s’est ‘’calqué’’ sur la base des données du Recensement général de la population et de l’habitat (RGPH). «Du coup, nous avons eu des bénéficiaires qui ne sont pas des cibles visées, notamment des fonctionnaires et commerçants qui peuvent s’acheter des tonnes de céréales. Ce qui a complètement faussé les données. Alors que l’objectif des semences améliorées est d’appuyer les personnes démunies», déplore Boureima Kiéni. Autres insuffisances notifiées par M. Kiéni, figure le choix d’un seul réseau de téléphonie mobile et sa faible couverture géographique et l’analphabétisme des paysans. Eu égard aux constats et difficultés rencontrées sur le terrain, il suggère, entre autres, l’utilisation du dispositif de vulgarisation des agents d’appui-conseil sur le terrain, l’adoption du code aléatoire, l’implication de l’ensemble des acteurs du monde agricole et la motivation financière des agents de l’agricole pour la distribution des intrants agricoles.
A entendre M. Kiéni, le code aléatoire consiste à identifier des bénéficiaires nécessiteux et à les guider, afin qu’ils partent directement chercher leurs semences sans pourtant se baser sur les données du RGPH tout en effectuant
le paiement via le transfert d’argent.
Emil Abdoul Razak SEGDA
Segda9emil@gmail.com