Elevage itinérant : l’herbe à éléphant, espoir des éleveurs du Centre-Nord

Dans les zones à haut défi sécuritaire du Burkina comme la région du Centre-Nord, la culture du maralfalfa, connu sous le nom de l’herbe à éléphant ou de neema peut être une solution durable à l’inaccessibilité des zones de pâture du fait de l’insécurité et au changement climatique. Génétiquement développée par l’Institut de l’environnement et de la recherche agricole (INERA), cette plante fourragère hybride, scientifiquement appelée Pennisetum Purpureum, issue du croisement entre le sorgho fourrager (Sorghum bicolor) et la luzerne (Medicago sativa) est prisée par les ruminants. Les acteurs sont unanimes que cette biotechnologie agricole contribue à améliorer la santé animale, la qualité de la viande, du lait et de ses dérivés, permettant ainsi de faire face aux défis de la sécurité alimentaire et nutritionnelle.

Dans la région du Centre-Nord, les éleveurs vivent depuis quelques années l’impact de l’insécurité : inaccessibilité des zones de pâture et vol de bétails par des individus armés, notamment. Résidant au secteur 3 de Kaya, Kassoum Gansonré, la quaran- taine bien sonnée, pratique l’élevage d’embouche de petits ruminants depuis deux décennies. Il possède dans sa bergerie une cinquantaine de béliers originaires de Zinder (Niger). En cette matinée du 31 janvier 2025, une paille de sorgho en main, il raconte cette difficulté devenue plus ou moins traditionnelle.

« Avec l’insécurité, on ne peut plus pâturer nos animaux en brousse au risque de les perdre ou de se faire tuer par des individus armés », déplore M. Gansonré. Cette situation, dit-il, a contraint la plupart des éleveurs du Centre-Nord à l’élevage sédentaire. L’autre difficulté que vivent ces pasteurs c’est la flambée des prix des aliments à bétail. « L’insécurité a renchéri le prix des produits à bétail. Le prix d’un sac de 50 kg de foin est passé de 7 000 à 13 000 F CFA.

L’alimentation du bétail de Kassoum Gansonré constitue 70% de ses charges liées à l’élevage.

Un sac de 100 kg de cosses de haricot coûte désormais 7 500 F au lieu de 1 250 F CFA auparavant. Un tas de paille de céréale qui se vendait 50 F coûte aujourd’hui 150 F CFA », regrette le quadragénaire. Soumaïla Sawadogo, 47 ans, résidant au secteur 7 de Kaya, vit les mêmes réalités. Avec 40 têtes de bovins et une centaine de petits ruminants, il éprouve d’énormes difficultés à nourrir son bétail. « Mes enfants conduisaient les animaux en brousse pour les faire paitre. Actuellement, si tu oses, tu risques de perdre tes enfants et ton bétail », déplore M. Sawadogo. Cette situation, poursuit-il, l’oblige à se contenter des pailles, tourteaux et autres foins. Les témoignages de ces deux pasteurs finissent de convaincre de la nécessité d’apporter une réponse à ces difficultés, à travers notamment la culture des plantes fourragères. Kassoum Gansonré en a déjà identifié : l’herbe à éléphant ou maralfalfa. Génétiquement développée par l’Institut de l’environnement et de la recherche agricole (INERA), cette plante fourragère hybride est issue du croisement entre le sorgho fourrager et la luzerne. « C’est en Côte d’Ivoire que j’ai vu des éleveurs le cultiver pour nourrir leurs bétails. Si je bénéficie d’une formation, je suis disposé à le cultiver sur mon terrain », promet-il. Même promesse pour son collègue Soumaïla Sawadogo qui évoque aussi un manque de moyens financiers. « La culture des plantes fourragères nécessite de moyens en termes de disponibilité de l’eau et d’équipements. Si l’Etat m’accompagne, je n’hésiterai pas à l’expérimenter sur nos terres cultivables pour nourrir mes animaux », affirme-t-il.

Pour atténuer le choc lié à l’insécurité et au changement climatique, certains éleveurs de la région se sont déjà lancés dans la culture du maralfalfa. Madi Sawadogo, président de l’Union provinciale des éleveurs de petits ruminants du Sanmatenga (UPEPR-S) fait partir des 25 bénéficiaires d’une série de formations sur cette plante fourragère initiée par l’INERA, sous le leadership du chercheur en production animale et agrostologie, Dr Nouhoun Zampaligré et le projet Yidgiri. Depuis juillet 2023, Madi Sawadogo exploite, en saison humide, un champ d’une superficie d’un hectare protégé par un grillage, à proximité du barrage de Louda, dans la commune de Boussouma (Sanmatenga). Pour la saison humide précédente, le président de l’UPEPR-S dit avoir fauché deux tonnes de maralfalfa, en plus des boutures vendues.

Le champ fourrager de Madi Sawadogo est un cas d’école pour des producteurs burkinabè.

A écouter M. Sawadogo, cette série de formations a porté, entre autres, sur la distance requise entre deux boutures, le nombre de boutures par hectare de champ, la période et la manière de fauche et la technique d’ensilage. Pour parfaire leur formation, ces éleveurs ont bénéficié d’une dotation en boutures et d’un appui-conseils leur permettant la mise en place d’un champ-école à la direction régionale de l’agriculture et des ressources animales du Centre-Nord. Les premières plantes fourragères issues de ces boutures sont ensuite repiquées dans d’autres champs-écoles plus vastes à travers les provinces du Sanmatenga, du Bam et du Namentenga, afin de vulgariser la culture. Le président de l’UPEPR-S loue cette initiative qui leur a permis de tisser des relations commerciales avec des agropasteurs de Bobo-Dioulasso, Ouagadougou, Kombisiri, Bagré, etc. « En 2024, nous avons reçu trois groupes de délégation d’agropasteurs dans notre champ-école de Louda pour un échange d’expertises. Cette année, sur mon site fourrager, j’ai reçu quatre missions du ministère en charge des ressources animales et de l’INERA », se réjouit M. Sawadogo. Avec cet élan d’engagement des sociétés coopératives d’élevage, le président Sawadogo fonde l’espoir qu’au bout de cinq ans, la culture de l’herbe à éléphant ne sera plus un secret pour les éleveurs du Centre-Nord.
« Depuis que nous avons commencé la culture du maralfalfa, en 2023, des éleveurs nous appellent des quatre coins de la région pour commander des boutures.

Des résultats concluants

Ce qui est un bon signe pour sa vulgarisation », se félicite-t-il. Selon lui, sa culture s’adapte au mieux aux terres arides et désertiques du Centre-Nord et est l’une des solutions efficaces à l’inaccessibilité des zones de pâture liées à l’insécurité et au changement
climatique qui réduit considérablement la disponibilité de l’herbe sauvage. Madi Sawadogo soutient que la disponibilité de ce fourrage permettra au secteur de l’élevage d’être plus résilient face à la crise sécuritaire. Selon le chercheur en production animale et agrostologie et actuel Directeur général (DG) de l’Ecole nationale de l’élevage et de la santé animale (ENESA), Dr Nouhoun Zampaligré, le maralfalfa, appartient au genre Pennisetum, famille des poacées et scientifiquement appelé Pennisetum Purpureum. Connu dans certaines contrées sous le nom de canne fourragère ou d’herbe à éléphant ou encore de neema, détaille-t-il, il est une plante fourragère hybride issue du croisement entre le sorgho fourrager (Sorghum bicolor) et la luzerne (Medicago sativa). A l’entendre, le neema est une graminée pérenne (15 ans) dont la hauteur peut atteindre 2 à 3 m sur deux ans avec un très bon potentiel de biomasse. Selon les explications du spécialiste, pour inscrire une semence céréalière, forestière ou fourragère dans le catalogue national des semences, elle doit suivre toute la rigueur du règlement du schéma d’introduction du matériel végétal au Burkina Faso pour une évaluation sur son adaptabilité et sa performance. Cependant, le Dr Nouhoun Zampaligré avoue que le maralfalfa n’a pas suivi cette règlementation dans toute sa rigueur, parce qu’il est un fourrage. Il indique que deux variétés d’herbe à éléphant dont une ramenée du Ghana (par Dr Oumou Sanon) et la seconde du Bénin (par Dr André Kiéma) lors de voyages d’étude ont été testées et évaluées en termes de rendement et de qualité fourragère avant d’être mises en terre sur les sites fourragers de Farako-Bâ, Kamboinsé, Boulbi, Bindé … « Les résultats ont été concluants. C’est un très bon fourrage en tant que variété pérenne. Il produit assez de biomasses si c’est bien exploité », rassure le chercheur.

Dr Zampaligré dit expérimenter également dans un champ-école érigé dans ladite école, depuis le 26 octobre 2024, une nouvelle variété du maralfalfa (Juncao, Pennisetum SP) importée de la République de Chine populaire avec des résultats « satisfaisants ». Les études menées par les chercheurs sur l’impact du maralfalfa sur la santé humaine et animale et l’environnement ont donné des résultats jugés rassurants. En termes de biomasse, la production annuelle du maralfalfa peut atteindre 400 à 500 tonnes à l’hectare en culture irriguée dans des meilleures conditions avec une fauche régulière de trois mois. « En termes de digestibilité, les graminées sont fibreuses (45 à 55%) très riche en protéines de plus 10% et en énergie (3500 kcal/kg). Chose rare dans les graminées mais plutôt dans les légumineuses », déclare Dr Nouhoun Zampaligré. Eu égard à sa valeur nutritive, poursuit-il, l’alimentation du bétail avec le maralfalfa contribue à améliorer la santé des animaux, la qualité de la viande, du lait et de ses dérivés. « En 2024, j’ai utilisé 20 béliers repartis en deux groupes égaux. Le premier a été exclusivement nourri avec le maralfalfa et le second, avec l’herbe sauvage. Le constat est que le premier groupe de béliers tombe moins malade par rapport au deuxième et en l’espace de trois mois d’engraissement, les animaux nourris du maralfalfa ont été vendus contre six mois pour le second groupe. De même, lors de la foire de petits ruminants organisée annuellement par l’UPEPR-S, nos clients préfèrent les animaux nourris avec le maralfalfa », atteste Madi Sawadogo. Toute chose qui contribue à faire face aux défis de la sécurité alimentaire et nutritionnelle au Burkina Faso.

Une alternative aux conflits éleveurs-agriculteurs

Pour l’ingénieur-agronome, Richard Moné, promoteur du Centre Rialé d’intelligence agricole (CRIA) de Loumbila, l’adoption de la culture fourragère peut également contribuer à réduire la concurrence alimentaire entre la consommation humaine et celle animale des céréales et surtout baisser la consommation en céréales par des animaux au profit de la consommation humaine. Sur le plan environnemental, du fait de sa croissance rapide et durable, fait savoir M. Moné, la culture du maralfalfa permet d’augmenter la biodiversité, de réduire la dégradation des sols et de maintenir l’équilibre écologique, en ce sens que l’herbe à éléphant contribue à l’absorption du carbone responsable de la destruction de la couche d’ozone, aidant ainsi à la lutte contre le changement climatique. La production du maralfalfa, appuie Dr Zampaligré, ne nécessite pas d’engrais, de pesticides, d’herbicides et d’insecticides, évitant ainsi la pollution de l’atmosphère, des sols et des nappes d’eau. Tous les intervenants sont unanimes que la culture de cette plante fourragère pourrait être une alternative aux nombreux conflits entre éleveurs et agriculteurs qui trouvent généralement leurs sources dans le pâturage itinérant.

Des sacs contenant du Juncao Pennisetum SP ensilé par l’Ecole nationale de l’élevage et de la santé animale.

« L’élevage sédentaire permet de contrôler le mouvement des animaux et de réduire considérablement les maladies animales prioritaires ainsi que les risques d’intoxication. Il facilite aussi la disponibilité d’une quantité importante de la bouse pour la fertilisation des sols à des fins agricoles contribuant ainsi à l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire », estime Richard Moné. Sur le plan économique, la culture du maralfalfa constitue un véritable business pour le producteur, créant ainsi des emplois pour des jeunes. « Nous nous sommes spécialisés dans la vente des boutures à travers le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Togo, le Mali, le Sénégal. Cette activité est devenue notre principale source de revenus », se frotte les mains M. Moné. En dépit des caractéristiques avantageuses du neema et des efforts consentis par l’INERA et le ministère en charge des Ressources animales pour sa vulgarisation, le maralfalfa n’est toujours pas ancré dans les habitudes culturales des producteurs. Plusieurs facteurs justifient cette réticence. « Au début, nos aînés nous critiquaient que pendant que les autres travaillent sur le mil, le sorgho ou le maïs, nous, nous travaillons sur l’herbe. Aujourd’hui, les éleveurs et producteurs commencent à comprendre la nécessité de produire du fourrage surtout dans ce contexte d’insécurité. La culture à double usage entre progressivement dans notre système de production. Il y a 5 ans à Bagré ou dans les basfonds autour de Ouagadougou, la paille de riz se brûlait. Aujourd’hui, les gens commandent avant la récolte », se réjouit Dr Zampaligré. Richard Moné, lui, pense qu’il s’agit d’une méconnaissance des populations sur les bienfaits du maralfalfa. « Je suis allé au village et un oncle m’a dit qu’il a appris que je vends de l’herbe à Ouagadougou pour vivre, dans un ton ironique. Après l’avoir
expliqué les avantages économiques du maralfalfa, il a compris que c’est assez intéressant de le cultiver », témoigne-t-il. Il s’agit donc d’un problème psychologique que l’INERA et ses partenaires doivent travailler à changer les mentalités des populations à travers des campagnes de sensibilisation sur la culture fourragère.

Développer la chaine de valeur

Conscient de cette situation, l’INERA et le ministère en charge des ressources animales multiplient des actions de vulgarisation des semences fourragères. « Nous privilégions l’approche céréale-fourrage qui consiste à encourager les sélectionneurs à voir la question de fourrage dans leurs critères de sélection de céréales comme le niébé fourrager KVX745, le sorgho et le mil à double usage qui a un bon potentiel en grains et en biomasse », indique Dr Zampaligré. Autres outils de vulgarisation de cette biotechnologie agricole sont les parcelles de démonstration, les vitrines de technologie dont une installée à Farako-Bâ, province du Houet (Hauts-Bassins), deux autres dans la commune de Bindé, non loin de la zone pastorale de Sondré-Est, province du Zoundwéogo (Centre-Sud) et un autre champ appelé climato-intelligent à Louda, province du Sanmatenga (Centre-Nord), selon le spécialiste Zampaligré. « L’avantage de ces sites fourragers est qu’ils sont coconçus et cogérés avec les producteurs dans un esprit participatif sur la base de leurs propres besoins sans imposition. Cette approche produit ses résultats et beaucoup de sociétés coopératives commencent à s’intéresser aux cultures fourragères », se réjouit le DG de l’ENESA.

Le champ climato-intelligent de Louda constitue une référence en matière d’expertises sur la production du maralfalfa.

De son avis, l’INERA organise annuellement une foire des semences permettant de promouvoir les semences certifiées auprès des producteurs. Cependant, plusieurs difficultés tachent ces efforts consentis par les chercheurs et agropasteurs. Elles se résument par le problème d’accès aux terres cultivables, la non-disponibilité de l’eau (forages) et des semences même si cette contrainte est en train d’être levée par l’INERA, l’insuffisance de formation et de sensibilisation des éleveurs sur la culture fourragère et d’accompagnement en équipement. Pour une meilleure appropriation des cultures fourragères par les producteurs, Dr Nouhoun Zampaligré préconise, entre autres, le développement de la chaine de valeur fourrage, la formation des éleveurs pour rationaliser l’utilisation de leur fourrage et leur organisation pour une mise en relation commerciale à l’image des agropasteurs de Bobo-Dioulasso, de Kombissiri, de Bagré, de Kaya et des associations ou scoops fourrages. L’ingénieur Richard Moné, lui, suggère l’organisation de tourisme agricole pour le partage d’expériences entre agropasteurs. Le promoteur du CRIA trouve aussi que la dotation gratuite en boutures du maralfalfa surtout en période humide au profit des producteurs peut être un moyen efficace de vulgarisation de cet « or vert ».

Emil Abdoul Razak SEGDA
Segda9emil@gmail.com

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