Honoré Kietyeta, DG de l’AFP/PME: « On peut entreprendre sans financements extérieurs »

Face aux difficultés d’accès des jeunes aux financements, il est de plus en plus question du concept « Entreprendre à Zéro Franc  » (EZF). Mais que renferme cette notion ? Constitue-t-elle une alternative crédible pour bâtir des entrepreneurs de type nouveau au Burkina Faso ?Pour en savoir davantage, Sidwaya a rencontré le Directeur Général de l’Agence de financement et de promotion des petites et moyennes entreprises (AFP-PME), Honoré K.KIETYETA.

Sidwaya :L’accès des Petites et Moyennes Entreprises (PME) et des jeunes aux crédits est une question récurrente. Est-ce un problème de manque de structures de financements ou de conditionnalités d’accès aux crédits?

Honoré K. Kietyeta :L’accès des PME ou des jeunes entrepreneurs aux financements est véritablement une question récurrente. Pour ce qui est des institutions de financement, elles sont déjà nombreuses, il faudrait peut-être renforcer le dispositif existant. Au Burkina Faso, on dénombre en 2019 au moins 71 institutions de microfinances, 19 fonds nationaux de financements, 15 banques et 4 établissements financiers. Si l’accès aux financements était lié au nombre de structures, je pense que l’on aurait résolu le problème.

Cependant, la problématique de l’accès aux crédits recouvre deux aspects qui peuvent être imputés aux structures de financement. On peut retenir l’inadaptation des mécanismes de financement par rapport aux profils d’entrepreneurset de projetsque nous recevons. Le vivier des entreprises est constitué à près de 90% par les PME dont la plupart ont une organisation de type informel. Faute de conditionnalités adaptées ou d’expertise interne pour comprendre leurs activités, elles sont accompagnées principalement pour les opérations de bas de bilan, fonds de roulement, marchés etc. alors qu’elles devraient l’être pour des opérations de plus long terme comme leurs investissements en capital productif. Au niveau des start-up, par exemple, il est difficile d’obtenir l’expérience et les sûretés requises pour un prêt classique. Au niveau des femmes, l’exigence de biens immobiliers comme garanties pose souvent problème quand on sait que l’accès au foncier pour la gente féminine n’est pas évidentparfois pour raisons socio-culturelles.

Comme deuxième reproche, on peut noter la faible représentativité des établissements de crédit en dehors des grandes villes. Ce qui affecte la croissance et la compétitivité des PME des autres localités.

Au niveau de l’Agence de financement etde promotion des petites et moyennes entreprises (AFP-PME) sous l’égide du Ministère en charge du commerce et de l’industrie, et de celui de l’économie et des finances, nous travaillons à mobiliser davantage de ressources et à trouver des passerelles entre fonds nationaux, sociétés de garantie et banques, afin d’offrir en synergie des produits financiers plus flexibles ainsi que des formules d’accompagnementà la fois technique et financier répondant aux besoins des PME et des établissements des crédits.

Pour finir, j’aimerais rappeler qu’il ne faut pas occulter le fait que l’accès aux financements incombe aussi au sujet d’investissements, c’est-à-dire le projet dans ses composantes technologique, financière, commerciale et des ressources humaines. Le promoteur aussi fait l’objet d’examen de la part des établissements de crédits. Si toutes les conditions, en termes de savoir-faire, de crédibilité, de pertinence dans la composition de son équipe, du choix des équipements, de la connaissance et de la maîtrise de la clientèle et de l’environnement, pour la mise en œuvre du projet, ne sont pas réunies, il est clair que l’établissement de crédit ne peutse permettre de risquer l’épargne des citoyens ou les ressources mises à sa disposition que lui-même doit rembourser.

Certes, il y a des préoccupations légitimes, mais des perspectives existent au regard des engagements au niveau national et sous régional de promouvoir l’inclusion financière.Nous saluons le début d’opérationnalisation de la Caisse de dépôt et de consignation, ainsi que de la Banque agricole et l’adoption d’une stratégie nationale de promotion de la finance inclusive. Cela devra permettra d’avoir au niveau étatique des volumes plus importants et des solutions plus adaptées aux réalités de nos entreprises.

Au niveau communautaire, la banque centrale développe avec les banques commerciales, les sociétés de garantie, les bureaux d’information sur le crédit et les structures d’accompagnement des entreprises un dispositif très attendu, qui devra faire évoluer positivement l’accès des PME aux financements bancaires.

Il y a aussi que le digital ouvre des possibilités que les acteurs sont en train d’explorer. Des alternatives innovantes en vogue ailleurs comme le financement participatif, le capital-investissement, la bourse, les business angels, etc., méritent d’être davantage promues grâce à un cadre règlementaire incitatif.

S : En dehors de l’accès au financement, y a-t-il d’autres contraintes à la promotion de l’entrepreneuriat?

K :Pour se développer l’entreprise a besoin de clients, ensuite de savoir s’organiser pour servir de façon rentable cette clientèle et la fidéliser. Le financement n’est que le troisième ingrédient pour accélérer et consolider sa croissance. L’accès à la connaissance, à la formation est aussi vital pour une PME. Comme contrainte à la promotion des PME, on peut citer la fiscalité qui reste une question mal appréhendée, et malheureusement freine l’élan vers la mise aux normes des entreprises. Elles rechignent à se formaliser et aller vers d’autres terrains de compétition. Cela a des inconvénients, car on n’optimise pas sa façon de gérer ; on participe difficilement aux appels d’offres publics, on ne peut tisser des partenariats importants avec l’extérieur, etc.

En réponse, des choses sont faîtes pour juguler ces contraintes comme l’adoption de la charte de la PME qui garantira annuellement au moins 15% de la commande publique aux PME. Le soutien du « consommons local » pour assurer des débouchés aux PME. Des séances d’informations et des programmes de formation sont déroulés par les différentes structures d’appui du secteur privé. Des incubateurs publics et privés se mettent en place. Au niveau de la fiscalité, on peut retenir les abattements et exonérations pour les PME adhérentes aux centres de gestion agrées ou bénéficiant d’un agrément au Code des investissements.

Enfin, je voudrais souligner l’engouement des jeunes pour l’entrepreneuriat même si ce n’est encore pas très fort comme dans d’autres pays de la région. Je pense que certaines résistances peuvent être rattachées à l’éducation, nos origines, nos valeurs, soit que culturellement nos rapports vis-à-vis de l’argent et comment on le gagne par exemple, détermine notre décision; soit que depuis le bas âge en passant par l’école et l’université, l’entreprenariat ne nous a jamais été présenté comme une option crédible de se valoriser. Beaucoup y vont par défaut. Il y a de plus en plus des activités de sensibilisation et de formation en entrepreneuriat au sein des universités et des écoles. C’est à encourager.

Je crois que c’est à tous qu’il incombe de travailler à changer cette perception.

S :Aujourd’hui, vous êtes dans une dynamique qui consiste à promouvoir le concept « Entreprendre à Zéro Franc  » (EZF). Que renferme ce concept ?

K. : Parler d’ »Entreprendre à Zéro Franc« (EZF) peut choquer ou susciter des débats. Mais c’est un terme accrocheur, il faut le reconnaître. Nous-mêmes avons été séduits lorsque l’équipe de la Fondation africaine pour l’entreprenariat et le développement économique (FAFEDE) nous a présenté ce concept révolutionnaire.

En réalité, « EZF », signifie entreprendre sans apport financier extérieur. On met alors le porteur du projet au cœur de son business. On l’amène à réfléchir à ce qu’il peut faire, s’il n’avait que lui-même et ses propres ressources, pour réaliser le rêve qu’il porte.

On dit toujours que l’avenir appartient à la jeunesse. Mais il faut trouver les mécanismes pour permettre à cette jeunesse de préserver contre certaines tentations. Nous voulons donc à travers « EZF » amener nos frères et sœurs à avoir le réflexe de se prendre en charge dignement, en leur donnant les outils et les techniques qui leur permettent d’entreprendre avec le peu de ressources dont ils disposent. C’est pourquoi, nous avons lancé, avec la FAFEDE, cette caravane qui doit toucher 10 mille jeunes et femmes des 13 régions du Burkina Faso d’ici fin 2020. Nous l’avons lancé le 3 juin 2019 à Banfora ; depuis le 30 septembre, nous sommes à Koudougou où nous avonsplus de 600 participants assidus, pour un objectif de départ de 300 participants. Ce qui prouve que l’approche est intéressante et la bienvenue.

S : Qu’est-ce qui justifie qu’une agence de financement comme l’AFP-PME s’engage dans la promotion d’un tel concept ?

K. :Cela peut paraître étonnant qu’une agence de financement s’engage à promouvoir le concept « entreprendre à zéro franc« ! Mais, quand on est dans un pays et un environnement où les moyens sont limités, il est normal de s’inscrire dans ce type de dynamique.

C’est également un devoir pour nous de permettre aux porteurs de projet d’avoir des réponses à leur désir d’entreprendre mais qui font face à des difficultés de financement. En tant que Fonds public, nos interventions visent à terme la création de richesses et d’emplois durables.

La projet EZF se donne pour ambition de former des entrepreneurs qui s’auto-emploient et créent d’autres emplois, sans toutefois avoir à passer par les déboires des devanciers qui ont appris sur le tard avant de devenir les chefs d’entreprises redoutables que nous connaissons. EZF vise à doter les apprenants de connaissances et techniques pour réfléchir, démarrer leur projet sans attendre des financements extérieurs, et gravir rigoureusement tous les échelons. Ils acquièrent des compétences lors de la formation mais aussi des éléments en matière de développement personnel pour poursuivre leur rêve et devenir des chefs d’entreprises aguerris.

En réalité, le concept vise un changement de mentalités. Quand nous analysons souvent les demandes de financement à notre niveau, nous nous rendons compte que c’est parfois un recours facile aux crédits sans s’assurer d’un minimum de maturité du projet.

Notre objectif est donc de donner les rudiments et le mental nécessaires au public cible. Cette année au niveau des concours de la fonction publique, il a été enregistré plus de1 200 000 candidats pour moins de 6000 postes, avec des perspectives de salaires mensuels compris entre 75 000 FCFA et 200 000 FCFA, pour les plus chanceux. Alors que suivant notre capital de départ, on peut mener des activités qui vous génèrent 10 000 F par jour ou 50 000F par jour. Imaginez ce que les parkeurs ou les gérantes de kiosques autour de ces sites ont engrangé comme revenus! Peut-être que l’on doit mieux surveiller notre environnement pour détecter les opportunités et démarrer avec le peu que l’on a, comme nous l’apprennent les grands opérateurs économiques de notre pays. Ils sont passés par là.

Pour les fêtes prochaines qui arrivent combien de têtes auront besoin d’être nattées ou des tenues cousues à temps dans mon village, dans mon quartier ? quels modèles sont tendances? Est-ce que le Kokodonda est connu chez moi ? comment je me prépare pour être celui qui offrira ces services dans trois mois pour gagner mes propres revenus ?

Dans le cadre de EZF, on enseigne même que l’emploi salarié peut être une première étape pour réaliser son projet d’entreprise. Pour celui qui ne dispose pas degrand-chose, par exemple, qui rêve d’être propriétaire de véhicules 4X4 qu’il prévoit mettre en location, on l’encouragera à se faire emboucher d’abord comme chauffeur. Cela lui donne l’avantage de comprendre les vicissitudes du métier tout en se constituant un réseau. Par la suite, il pourrait commencer à placer des véhicules dans son réseau sans avoir son propre véhicule. Après, avec l’épargne réalisée rigoureusement et la confiance que les propriétaires de véhicules ont en lui, quelqu’un peut un jour accepter de lui vendre à tempérament ou de co-investir dans son projet d’acquisition de véhicules. Ainsi, vous commencez en tant qu’apprenti-chauffeur, chauffeur, apporteur d’affaires pour terminer investisseur, propriétaire de parc d’automobiles ; vous qui, au départ, ne saviez pas comment emprunter 5 millions de FCFA pour démarrer votre entreprise de location de véhicules.

Il y’a d’autres cas dans la restauration ou l’hôtellerie où l’on commence à construire un petit local en fabricant soi-même les briques et créer un concept autour du poulet, chèvres ou lapins braisés par exemple. Les cours à domicile que vous organisez à plusieurs, les livraisons, le e-business, la production agricole en s’appuyant sur le foncier d’autrui, le petit commerce, etc. il y a foison d’exemples, en y mettant son génie, sa force et ses propres ressources pour se créer un revenu. Avec foi et détermination on y arrive !

C’est ce concept qui a été développé et breveté par le Dr. Samuel MATHEY, fonadateur de la FAFEDE. Il tente à sa manière de proposer une alternative pour sauver la jeunesse africaine de plusieurs vices, à la transformer en entrepreneurs de classe mondiale, des gens qui ne reculeront devant rien. A la guerre comme à la compétition de manière générale, tout se joue au mental.

En tant qu’agence nationale de financement, nous avons pensé qu’il faut avoir dans 3, 5, 10 ans un vivier d’entreprises portées par ce type d’entrepreneurs pour assurer un bon dénouement de nos investissements.

S : Donc, pour vous, EZF est une alternative crédible pour le Burkina Faso de disposer d’une nouvelle race d’entrepreneurs ?

K. :Incontestablement ! Car si nous avons ce changement de mentalités, l’auto-emploi va être accélérée, il sera une option prioritaire pour nos jeunes. Et personne n’en voudra à l’Etat, ni à ses proches de ne lui avoir pas trouvé un boulot, de ne lui avoir pas préparé quelque chose à sa sortie de l’école, de l’université. Ce n’est pas la panacée mais l’une des solutions les plus innovantes, après tout ce qui a été expérimenté pour promouvoir l’entrepreneuriat.

C’est un concept qu’il faut véritablement promouvoir. On peut lui donner le nom que l’on veut mais nous sommes convaincus que l’on peut entreprendre sans financements extérieurs et cela mérite d’être enseigné à nos populations.

S : Vous êtes sur le terrain depuis juin pour la promotion de ce concept, quel bilan peut-on tirer ? Les jeunes sont-ils réceptifs à ce discours ?

K. :L’engouement des jeunes pour cette formation « EZF » est énorme même si cela ne signifie pas que l’objectif est atteint. Ce peut être l’effet de curiosité. Pour nous assurer de son impact, nous avons mis en place un dispositif de suivi-évaluation. L’objectif de la formation est que les participants y sortent avec des projets-clés en main. A Banfora, sur les 300 participants, nous avonsenregistré 273 projets à l’issue de la formation, avec pour objectif 40% de conversion dans les trois mois qui suivent puis progressivement à la hausse. Aujourd’hui, nous sommes à 61% de projets démarrés dans les trois mois. Ce bilan d’étape est très encourageant. Si nous arrivons à toucher 10 mille participants, on aurait donc 6 mille entrepreneurs EZF. Ce serait une armée d’entrepreneurs que l’on aurait contribué à former, pour l’image et la compétitivité de l’économie burkinabè.

Nous profitons lancer un appel aux partenaires à s’associer pour cette démarche. C’est une contribution citoyenne. La formation est gratuite et ouverte à tout le monde. Nous voulons démocratiser l’accès à l’information et nous ne voulons pas qu’il y a des barrières. C’est pourquoi nous couvrons toutes les 13 régions ; car le potentiel s’y trouve, nous avons des entrepreneurs qui s’ignorent, contraints de se débrouiller pour survivre. A titre individuel, on peut contribuer à former 10, 20 jeunes. A Koudougou, par exemple, des communes rurales ont décidé d’inscrire des participants.

Aux jeunes, si vous avez la chance d’avoir un emploi décent, il faut y aller. Mais à ceux qui n’ont pas cette chance, malheureusement ils sont les plus nombreux à être dans cette situation, je les invite à apprendre à se prendre en charge dignement, de manière honnête, et à employer d’autres personnes.  Je les invite à suivre nos formations, à prendre attache avec les directions régionales du ministère du commerce ou directement avec l’AFP-PME. Bientôt, nous allons produire et mettre en ligne des manuels.

Interview réalisée par Mahamadi SEBOGO

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