Elle avait été annoncée plusieurs jours à l’avance, quasiment en «teasing » (technique publicitaire axée sur l’éveil progressif de l’intérêt du public…), avant d’être finalement actée, le 8 octobre dernier. La libération de l’opposant malien, Soumaïla Cissé et de trois autres otages occidentaux, a suscité un emballement médiatique, un tapage à la limite du raisonnable avec des témoignages d’empathie et de sympathie des ex-otages envers leurs ravisseurs. C’est un Syndrome de Stockholm (phénomène psychologique observé chez des otages ayant développé une sorte d’estime pour leurs geôliers) en plein Sahara.
Humainement, on ne peut que se réjouir du dénouement, somme toute heureux, pour ces otages et leurs familles dans une situation où les rapts peuvent quelquefois se traduire par des scènes insoutenables d’exécutions sommaires. Même si la libération de ces otages a été suivie dans les milieux spécialisés où le pessimisme semble être de mise, nombre d’observateurs se demandent s’il ne s’agit pas là d’une victoire à la Pyrrhus dont les pertes, notamment par l’entremise de lourdes contreparties (libération de dangereux terroristes et paiement de rançons…), ne sont pas trop élevées, au point de compromettre une éventuelle victoire finale.
A la question d’un éventuel versement de rançons contre la libération par le Burkina Faso d’une missionnaire suisse, Beatrice Stockly, en 2012, le négociateur, le général Gilbert Diendéré avait rétorqué, sibyllin, qu’il s’agissait bien «d’une libération contre une libération ». Malheureusement, cette otage, enlevée à nouveau en 2016 par un groupe armé, aurait été assassinée, il y a un mois, selon les autorités françaises et suisses.
En effet, depuis son installation au Nord-Mali, dans les années 2000, AQMI, ancienne appellation du Groupe islamiste pour la prédication et le combat (GSPC), a fait des prises d’otages et des paiements de rançons, son fonds de commerce.
100 à 200 millions de dollars américains ont déjà été versés par divers pays occidentaux, d’après certaines sources. Des sommes qui ont servi essentiellement à des recrutements de combattants, à l’achat d’armes et à la préparation de l’offensive terroriste qui, aujourd’hui, tient en respect des pays comme le Mali, le Burkina Faso et le Tchad. Au Sahel, depuis l’affaire Claustre (du nom d’une archéologue française enlevée par des rebelles tchadiens et détenue 1000 jours), des pays occidentaux, notamment la France, se sont impliqués dans ce type de marchandages, même si officiellement ils s’en défendent. Ailleurs, c’est pourtant la solution militaire qui est réservée aux enlèvements avec des résultats probants. La prise d’otage dans un complexe pétrolier du Sud algérien s’est soldée par un assaut impitoyable de l’armée (tous les ravisseurs et 37 otages ont été tués) et ne risque pas de se répéter de sitôt. C’est du reste, la ligne de conduite des Russes et des anglo-saxons qui ont toujours préféré la mort d’un otage à de couteuses négociations à tiroirs avec des ravisseurs. En face, et sans que l’efficacité de la démarche ne soit encore prouvée, d’autres pays occidentaux mettent la sauvegarde de la vie des otages en priorité.
C’est au nom de cette éthique que les mouvements des troupes des pays sahéliens vers d’éventuelles zones de détention d’otages sont surveillés, voire contrôlés sur le terrain. C’est au nom de cette éthique également que les armes achetées avec des rançons sont utilisées contre des soldats que les mêmes payeurs de rançons ont contribué à former au nom d’une coopération qui suscite de plus en plus de questionnements.
Il reste encore une dizaine d’otages dans les geôles de l’industrie des enlèvements et cela n’est pas de bon augure pour les armées des pays du G5 Sahel engagées conjointement dans une lutte sans merci contre une entreprise terroriste, désormais renforcée d’au moins 206 combattants aguerris, fraichement sortis des prisons maliennes.
Tous les voies et moyens d’adaptation à la menace terroriste, de mieux équiper nos hommes peuvent s’avérer dérisoires au regard d’une telle donne.
L’évolution actuelle de la situation autorise cependant les pays du Sahel à exiger de leurs partenaires, la fin d’un double jeu à peine voilée. Autrement, nous sommes engagés dans une guerre sans fin.
Par Mahamadi TIEGNA
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