Négociations avec des groupes terroristes au Mali

Le Mali a récemment annoncé avoir entamé des négociations avec des groupes terroristes. Dans cette interview, Laurent Kibora, spécialiste des questions sécuritaires au Sahel, revient sur les implications de cette démarche.

Sidwaya (S) : Le président malien, Ibrahim Boubacar Keita, a annoncé que son pays a entrepris des négociations avec les chefs terroristes. Comment appréciez-vous cette démarche ?

Laurent Kibora (L.K.) : Nous avons accueilli cette information avec beaucoup d’inquiétudes, même si nous reconnaissons au Mali le droit de rechercher des solutions à ses problèmes. Je dirai que cette démarche comporte trois grandes erreurs. La première grande erreur du président IBK est de vouloir négocier une paix séparée avec ces groupes, en faisant cavalier seul. Du moment où le Mali n’est pas le seul pays confronté au terrorisme, il ne devait pas prendre de décision sans consulter les autres pays. Dans notre contexte, une paix séparée ne pourrait jamais être durable. La deuxième, c’est de vouloir négocier avec deux grandes figures, Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa, sans tenir compte de Adnane Abou Walid Al Saraoui. Parce que les forces en présence ne sont pas le GSIM dont Ag Ghali est le patron et le Front de libération du Macina, dirigé par Koufa, il y a aussi l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS) qui est en passe de supplanter les autres. La troisième, c’est le fait que ces négociations ne doivent pas être faites de manière officielle. Le premier critère d’une négociation réussie est sa confidentialité.

S. : A votre avis, le Mali devait-il négocier avec les terroristes ?

L. K. : Les guerres finissent toujours par la négociation. Il faut être mauvais stratège pour écarter cette possibilité. C’est pour cela, que je pense que le dialogue et la négociation sont importants, surtout qu’ils permettront d’épargner des milliers de vies. Mais sur le terrain, le premier critère pour que nous allions vers les groupes armés pour négocier, c’est d’être prêts.

S : Nos pays sont-ils tous prêts ?

L. K. : Oui et non, à la fois. Oui, parce que le Mali a déjà entamé ses négociations. Mais tous les pays sont prêts à négocier avec les groupes armés, sauf le Burkina. Parce que pour y aller, le Burkina doit d’abord laver son linge sale interne, afin de retrouver son union d’antan. Pour ce faire, il faut qu’il y ait une réconciliation.
Sans ce préalable, si le Burkina ose s’engager dans cette dynamique de négociation, ce serait livrer le pays aux groupes terroristes qui profitent des divisions pour mieux s’implanter. De par son passé, le Burkina a acquis de l’expérience dans les négociations à travers les conflits dans la région.

S. : Le Burkina estime qu’il n’est pas question de négocier avec les terroristes. Qu’en pensez-vous ?

L. K. : Cette position tient toujours, parce que certains acteurs martèlent qu’il faut rendre justice, juger les dossiers Norbert Zongo et ceux des anciens dignitaires. Cela est normal dans un système démocratique, si on ne veut pas encourager l’injustice. Mais nous sommes face à une urgence où tout doit être fait pour sauver ce qui peut encore l’être. Il faut donc aller au-delà des politiques politiciennes, parce que nous sommes tous en danger.

S. : Les négociations engagées par le Mali ne compromettent-elles pas l’option militaire ?

L. K. : La solution militaire a été fortement critiquée. Il n’en demeure pas moins qu’elle soit une composante de la solution, parce qu’il faut souvent user de la carotte et du bâton. La seule chose déplorable chez le voisin malien, c’est qu’il veut faire cavalier seul. Les négociations et la réponse militaire sont donc deux choses qui se renforcent mutuellement.

S. : Les chefs terroristes poseraient comme préalables au gouvernement malien, le départ des forces étrangères et l’instauration de la Charia. Y a-t-il une chance pour le dialogue ?

L. K. : Vu sous l’angle des revendications de ces groupes, cela pose problème. Mais, il sera difficile pour les pays sahéliens de rompre leurs relations avec les puissances occidentales. Toutefois, c’est une négociation ouverte et le choix des acteurs est très important.

S. : Au regard du contexte sécuritaire actuel, les élections de novembre 2020 pourront-elles se tenir à votre avis ?

L. K. : Ce que nous voyons déjà sur le terrain nous interpelle sur la tenue de ces élections. En effet, des sites de recensement ont déjà été saccagés dans les Banwa. Ce sont des signes précurseurs de ce que la situation risque d’être dans les mois à venir. Je suis donc très sceptique sur la tenue des élections le 22 novembre 2020, si la situation persiste. Il faut que la question soit abordée avec beaucoup de réalisme.

Interview réalisée par
Jean-Marie TOE

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