
A la repise des plaidoiries du procès de Thomas Sankara et ses douze compagnons, le jeudi 24 mars 2022, à Ouagadougou, les avocats de la défense du général Gilbert Diendéré ont tour à tour pris la parole pour plaider en faveur de leur client. Le premier à intervenir, Me Abdoul Latif Dabo, s’est intéressé à l’infraction de « subornation » de témoin contre l’accusé.
Pour lui, le parquet militaire accuse Diendéré d’avoir envoyé son chauffeur, Pascal Tondé Ninda Pascal dit Manga Naaba, auprès du témoin d’Abderrahmane Zitiyenga, pour l’amener à faire un faux témoignage devant le juge d’instruction. A l’entendre, pour qu’il y ait subornation, il faut qu’une personne mente. Pourtant, a-t-il fait savoir, la suggestion faite par Ninda Tondé ne relève pas du mensonge.
A l’en croire, le parquet militaire ne dispose pas d’élément imputable à son client pour les faits de subornation de témoin. Il a soutenu que la subornation vise une double destination, le fait de déterminer le témoin à mentir et de l’amener à s’abstenir de dire ce qu’il a vu ou entendu. A l’écouter, la subornation de témoin ne se présume pas, elle s’établit et aucun élément dans la bande audio enregistrée ne peut constituer une infraction de subornation de témoin. « Nous devons donner à Gilbert Diendéré un procès équilibré », a souhaité l’avocat qui a demandé l’acquittement de son client pour ce qui concerne ce chef d’accusation.
« L’infraction de recel de cadavre est prescrite »
A la suite de Me Dabo, c’est l’avocat Koffi Saba qui est passé au crachoir pour démontrer la non-constitution de l’infraction de recel de cadavres accusé au général Gilbert Diendéré. Il a articulé sa plaidoirie sur deux points à savoir, la base légale de l’infraction et sur sa non-caractérisation. Pour ce qui est du premier volet, il a précisé qu’il s’agit plutôt d’un délit qu’un crime tout en faisant référence au Code pénal français de 1810 qui stipule qu’au-delà de 3 ans après, l’infraction est prescrite. Me Saba a rappelé que le 3 octobre 1997, les ayants droit de la famille Sankara ont déposé une plainte qui concernait des infractions d’assassinats, faux en écriture administrative.
« C’est seulement en 2015, après 27 ans, que le recel de cadavre a été commis dans les accusations contre Gilbert Diendéré. Donc son client ne doit plus être poursuivi pour cette infraction », a-t-il relevé. De son avis, cette infraction consiste à dissimuler un cadavre en vue d’entraver l’action de justice. « Pour que cette infraction soit constituée, il faut deux éléments constitutifs, légaux et matériels », a-t-il détaillé. Il a également appuyé que parmi les témoignages de ceux qui ont inhumé les corps, aucun témoin n’a cité le général son client comme étant celui qui a donné une quelconque instruction.
Il a expliqué qu’il n’y a pas d’élément matériel ni de dissimulation puisque les noms des personnes assassinées ont été écrits sur les tombes. « Le délit de recel de cadavres est prescrit ainsi que la complicité. L’infraction n’est pas constituée et en conséquence, il faut relaxer Gilbert Diendéré », a-t-il demandé. Me Olivier Yelkouni, l’un des avocats de Dienderé, s’est attaqué à l’infraction de l’attentat à la sûreté de l’Etat. Il a dit avoir l’impression que son client est jugé pour sa fidélité à Blaise Compaoré.
Selon lui, il n’existe aucune preuve qui démontre que son client a participé à la préparation du coup d’Etat du 15 octobre 1987 qui a porté le Front populaire au pouvoir. Les témoignages utilisés par la partie civile pour prouver la présence du général Diendéré au Conseil de l’Entente avant, pendant et après les tirs sont « vertigineux », a-t-il précisé. Le conseil de l’accusé a également souligné qu’aucun des témoins qui étaient présents chez Blaise Compaoré, le 15 octobre 1987 et qui sont passés à la barre, n’a indiqué avoir aperçu son client ce jour-là au domicile de Compaoré.
A l’entendre, Abderrahmane Zétiyenga qui a reconnu avoir participé à la réunion du 15 octobre 1987, n’a pas été capable de citer le nom d’un seul sous-officier présent à cette rencontre. Pour Me Yelkouni, ce procès semble être un « acharnement » contre son client, à cause des liens qu’il avait avec son patron Blaise Compaoré. Il a demandé au tribunal d’apprécier les faits tels qu’ils se présentent et à reconnaître qu’aucune preuve ne sous-tend la culpabilité de Diendéré en ce qui concerne l’attentat à la sûreté de l’Etat.
« Nos adversaires n’ont apporté aucune preuve »
Pour les plaidoiries du jour, Me Aldoul Latif est revenu au crachoir pour plaider cette fois-ci sur la complicité d’assassinats accusée à Diendéré . De son avis, rien de tout ce qui a été exposé par l’accusation ne peut maintenir son client dans les liens de prévention. Pour lui, en droit, il ne suffit pas de dire qu’une personne est coupable, il faut amener des éléments qui prouvent. Il a relevé que c’est cette preuve les avocats ont apportée parce que leurs adversaires n’ont apporté aucune.
« Il a été dit que concernant l’infraction de complicité d’assassinats, il n’a pas posé d’acte. Mais vu qu’il était le chef adjoint et responsable du Centre national d’entraînement commando (CNEC), les faits qui se sont passés, il est au courant et il est forcément complice », a-t-il affirmé. Il a expliqué à la Chambre que la Cour pénale internationale (CPI) lors du procès de Jean-Pierre Bemba (NDLR : homme d’Etat de la République démocratique du Congo) n’a pas hésité de le relaxer parce qu’elle a considéré que les conditions de mise en œuvre de sa responsabilité du supérieur n’était pas réunie.
Si la CPI peut arriver à cela, a-t-il laissé entendre, ce n’est pas au Burkina que l’on va tenter d’inventer ce qui n’est point. Le parquet militaire avait requis 20 ans contre Gilbert Diendéré pour l’ensemble des chefs d’accusation qui pensent sur lui, rappelle-t-on. Le procès reprend aujourd’hui vendredi 25 mars 2022, avec le passage d’autres avocats de Gilbert Diendéré, à savoir les maîtres Paul Kéré et Mathieu Somé.
Aly SAWADOGO