Suspension des sanctions contre le Mali : « Des décisions de juridictions régionales sont restées sans suite », Pr Ousseni Illy

L’enseignant-chercheur en droit public, Pr Ousseni Illy : « C’est une décision surprenante et audacieuse de la part d’un juge communautaire ».

A la suite de la décision de la Cour de justice de l’UEMOA ordonnant le sursis à l’exécution des sanctions économiques prononcées contre le Mali par la Conférence des chefs d’Etat de cette institution, Sidwaya a voulu en savoir davantage en tendant son micro au Pr Ousseni Illy, agrégé en droit public à l’université Thomas-Sankara et spécialiste des questions d’intégration et du droit du commercial international. Dans cette interview, il se prononce sur la portée et les éventuelles implications de cette ordonnance du juge communautaire.

Sidwaya (S) : A la suite d’une requête introduite par l’Etat malien, la Cour de justice de l’UEMOA a ordonné ce 24 mars 2022 le sursis à l’exécution des sanctions économiques prononcées contre le Mali par la Conférence des chefs d’Etat de l’UEMOA le 9 janvier 2022. En tant que spécialiste des questions d’intégration, comment réagissez-vous à cette décision ?

Pr Ousseni Illy (O.I.) : C’est une décision un peu surprenante et audacieuse dans la mesure où, si je ne me trompe pas, c’est une première en Afrique qu’un juge communautaire ordonne le sursis à exécution de sanctions économiques et politiques prises par les chefs d’Etat contre un membre de leur communauté.

Néanmoins, c’est une décision qui laisse un peu perplexe quant à son fondement, d’autant plus que le juge ne distingue pas les sanctions prises par la CEDEAO et l’UEMOA. S’il est compétent pour se prononcer sur les décisions de la Conférence des chefs d’Etat de l’UEMOA, l’est-il pour autant pour les décisions prises par la CEDEAO ? C’est la question que l’on pourrait se poser.

Le fait que les chefs d’Etat de l’UEMOA disent qu’ils endossent les décisions de la CEDEAO ne change rien, puisque, même sans cet endossement, ils sont tenus d’appliquer les sanctions de la CEDEAO en tant que membres à titre individuel de cette organisation. Et à mon avis, seul le juge de la CEDEAO pourrait se prononcer sur ces sanctions, à savoir les sanctions qui relèvent de la Conférence des chefs d’Etat de la CEDEAO.

S : Quelles conséquences de droit et politiques peut-on en tirer ?

O. I. : Je ne pense pas que cette décision va changer grand-chose sur le terrain. Peut-être les sanctions qui relèvent de l’UEMOA, comme le gel des avoirs de l’Etat malien à la BCEAO, pourraient être levées. Mais même là, je ne suis pas certain, il reste à voir si les chefs d’Etat vont donner suite à cette décision.

Vous savez, nous n’avons pas encore de véritables Etats de droit, et je ne vous apprends rien en disant que de nombreuses décisions des juridictions régionales, y compris celles de l’UEMOA et de la CEDEAO, sont restées sans suite en Afrique.

S : Sur le plan économique, en quoi cette donne éventuelle de lever les sanctions profitera aux économies ouest-africaines ?

O. I. : Encore une fois, il faut attendre de voir si la Conférence des chefs d’Etat va déférer à cette décision ; et comme je l’ai dit, personnellement, je suis sceptique ; parce qu’il y a eu des précédents comme je l’ai dit, et cette question, c’est-à-dire la question malienne, est éminemment politique. Si par contre et par miracle, les chefs d’Etat donnent suite à la décision du juge, ce serait une bonne chose pour le Mali qui pourrait par exemple avoir accès à ses ressources au niveau de la BCEAO. Ce sera également une bonne chose pour les populations de l’UEMOA qui entretiennent des relations d’affaires avec le Mali.

S : Peut-on dire que l’institution judiciaire a été plus réaliste que la Conférence des chefs d’Etat de l’UEMOA ?

O. I. : Plus réaliste, je ne sais pas. Dans tous les cas, le juge fonctionne sur la base du droit, alors que les chefs d’Etat sont politiques. Donc, ce n’est pas la même façon de voir les choses.

S : Cette décision ne discrédite-t-elle pas davantage les chefs d’Etat de l’UEMOA ?

O. I. : Il faut relever qu’il ne s’agit que d’une décision provisoire en attendant de se prononcer sur le fond. Donc, rien n’indique que la décision finale sera en faveur du Mali, ce d’autant plus qu’à ce niveau, ce sera un collège de juges.

Mais en tout état de cause, les chefs d’Etat sont déjà discrédités, dans la mesure où on ne les voit que quand il s’agit de sanctionner mais rarement quand il s’agit de venir en aide aux Etats en détresse. Aujourd’hui, le Burkina, le Mali et le Niger sont gravement secoués par le phénomène terroriste mais on attend toujours l’aide de l’UEMOA et de la CEDEAO. Et cela, les populations le vivent de plus en plus mal.

S : Au cas où la décision devenait définitive, l’Etat malien pourrait-il exiger des dommages et intérêts à l’UEMOA ?

O. I. : Comme je l’ai dit, attendons d’abord de voir la décision exécutée. En tout état de cause, la réparation est un principe en droit et si une décision illégale a causé un préjudice à une personne ou à un Etat, celui-ci peut bien demander des dommages-intérêts. Mais je crois qu’ici, on est encore loin de là. Il faut d’abord que le Mali gagne dans le fond et ensuite que les chefs d’Etat acceptent d’exécuter la décision. Et sur ce point, rien n’est gagné d’avance.

Interview réalisée par

Mahamadi SEBOGO

Windmad76@gmail.com

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