L’international burkinabè, Bertrand Isidore Traoré, évolue depuis trois saisons avec l’Olympique de Lyon (OL), en France. Son club termine 7e du championnat après la décision de la ligue française d’arrêter la Ligue 1 et ne jouera pas de coupe européenne la saison prochaine. Cependant, l’OL est toujours en course pour la Ligue des champions. Comment Bertrand Traoré vit cette situation ? Avec la reprise de la Bundesliga et bientôt la Premier League, la Liga ou encore le Calcio, la France a-t-elle pris une décision hâtive ? Les rumeurs de départ de l’international burkinabè sont-elles fondées ? Ce sont autant de questions que le sociétaire de l’OL a abordées dans l’interview qui suit.

Comment gères-tu la suspension puis l’arrêt du championnat de France ?

Ce n’est pas évident, mais je travaille de mon côté, et m’entretiens pour rester en forme, à 100%, avant le début des entraînements collectifs. C’est très important pour un sportif de haut niveau de ne pas se relâcher et d’être prêt. La crise sanitaire a touché tout le monde, il a fallu gérer cette situation sans précédent. C’est comme ça, mais c’est certain que je suis un joueur, un compétiteur, et le terrain me manque vraiment. On se tient prêt pour reprendre la compétition dès que possible.

La LFP a décidé d’arrêter le championnat de France de Ligue 1 et de Ligue 2 avec un classement figé à la 28e journée. Trouves-tu cette décision juste ?

Honnêtement, dans une situation inédite comme celle-ci, il est très compliqué de dire ce qui est juste ou non. Aucune décision n’était bonne. Dans tous les cas, il y aurait eu des déçus. C’est naturel de se sentir lésé pour les équipes qui souffrent de cette décision. C’est la décision qui a été prise, mais c’est dommage de ne pas pouvoir aller au bout et tenter de remonter au classement car on sait que beaucoup de choses peuvent bouger en dix journées. Ces dernières années, l’OL a toujours fini fort en championnat de France.

Le président Jean Michel Aulas fait partie de ceux qui fustigent depuis lors la décision de la LFP. A-t-il raison de le faire ? 

On connaît le président. S’il faut aller au combat, il y va toujours. Il défend son club, il défend l’intérêt économique car le football emploie beaucoup de monde et de nombreuses personnes peuvent se retrouver au chômage à cause de l’arrêt. L’impact de l’arrêt du championnat ne se limite pas au classement. Mais ce n’est pas à moi de dire ce qu’il faut faire ou non, ça dépasse mon cas personnel en tant que joueur.

Le championnat allemand a repris il y a quelques semaines et les championnats anglais, italien et espagnol reprendront ce mois de juin. Penses-tu comme certains que la LPF a pris une décision hâtive ?

C’est possible, oui. Certains disent que c’est le gouvernement qui a tranché, d’autres estiment que le gouvernement a été influencé par les dirigeants. Au final, c’est flou. Mais on peut effectivement regretter qu’une décision définitive ait été prise aussi vite, alors que cela ne s’imposait pas a priori. De toute façon, nous ne sommes que des joueurs, nous ne sommes ni des dirigeants du football français ni des responsables politiques français.

Vous êtes toujours en course pour la Ligue des champions avec une précieuse victoire au match aller contre l’un des favoris du tournoi, la Juventus. Avec un championnat à l’arrêt, est-ce que l’OL aura les jambes pour aller chercher une qualification pour les quarts de finale en août prochain ?

La compétition est un facteur important. Certains jouent, d’autres non. Donc forcément, des équipes seront plus prêtes et rodées. On aura apparemment des matches amicaux, mais ça ne remplace pas la compétition. Donc ça risque de créer des déséquilibres. Heureusement, sur un match, tout est possible et on sait que l’OL peut rivaliser avec n’importe qui. On l’a vu au match aller, et on abordera le retour avec la même ambition.

Lyon termine à une 7e place, loin de ses ambitions de début de saison et surtout le club ne sera pas européen l’an prochain. Qu’est-ce qui explique votre saison mitigée ?

On avait bien démarré, avec deux succès convaincants. Mais petit à petit, la qualité de jeu a diminué, et les résultats avec. On a cruellement manqué de régularité, le staff a évolué, certaines blessures nous ont aussi compliqué la tâche. On a un bon groupe pourtant. L’OL se doit d’être sur le podium avec cette équipe. Mais on n’a jamais vraiment su trouver de la continuité dans les performances, dans le jeu. Une saison, ça se joue sur la continuité et la régularité, weekend après weekend.

Quel bilan personnel dresses-tu depuis ton arrivée à l’OL en 2017 ?

Il y a eu du bon et du moins bon, c’est sûr. J’ai souvent joué sur une aile, mais je l’ai toujours dit, je me sens plus à l’aise en position axiale. C’est d’ailleurs là que j’ai fait mes meilleurs matches et eu mes meilleures statistiques avec l’OL lorsqu’on jouait avec Memphis et/ou Fekir en position axiale dans un schéma en losange. Mais il n’y a pas que le positionnement sur un terrain qui compte. Il y a aussi l’animation autour, le principe de jeu, les choix tactiques. Ce qui me chagrine aussi, c’est de ne pas avoir gagné de trophée pour l’instant, car on joue pour ça, et l’OL mérite de gagner quelque chose depuis tant d’années sans. J’espère que cela changera bientôt pour le club.

Est-ce que Bertrand Traoré se sent aimé dans son club ?

C’est une question piège ça ! (rires). Les supporters sont très exigeants à l’OL comme dans tous les clubs où je suis passé : Ajax, Chelsea, Vitesse. Ils veulent que leur club gagne et sont mécontents quand ce n’est pas le cas. Et c’est logique en fin de compte. J’ai été sifflé parfois, je le sais, comme d’autres joueurs dans l’équipe d’ailleurs. C’est la vie, ce sont les aléas du métier. Tu fais avec et tu continues de faire ton boulot aussi bien que possible. Dans tous les cas, on ne peut pas plaire à tout le monde même si ça fait du bien à n’importe qui d’entendre des encouragements de son public plutôt que des sifflets. Je sais d’où je viens et ce que je veux. Mon objectif est toujours de donner le meilleur de moi-même sur un terrain de foot, d’honorer le maillot que je porte, faire plaisir à ceux qui viennent nous supporter et même ceux qui nous suivent à la TV.

La presse française te prête des envies de départ depuis l’an passé pour la Premier League ou la Liga. Est-ce vrai ou ce sont des rumeurs ?

Je n’aime pas trop commenter les rumeurs de transfert. On sait que le mercato fait parler et qu’il y a souvent des rumeurs qui sortent parfois justes, parfois totalement fausses. Lyon est l’un des plus grands clubs de France, avec de belles infrastructures, et de grandes ambitions même si la saison a été très difficile pour le club. On ne quitte pas un club de ce standing du jour au lendemain sans réfléchir, sauf si on ne veut plus de vous. J’ai 24 ans, il me reste 2 ans de contrat et je ne suis pas à la rue. Moi, ce que je veux, c’est continuer à grandir, à progresser, à jouer au football et à franchir des palliers dans un projet sportif qui me correspond et dont je suis partie prenante.

Est-ce que tu n’es pas menacé par la signature du Camerounais Toko Ekambi ?

Je ne le prends pas comme ça. Chaque joueur est dans une équipe pour apporter quelque chose. Si on se met à réfléchir à qui arrive et qui peut prendre la place de qui, c’est qu’on n’a pas l’âme d’un compétiteur, d’un guerrier, et qu’on ne passera jamais de cap. Dans tous les clubs du monde, il y a la compétition à tous les postes. C’est une émulation constante. Il faut donner le meilleur de soi à tout instant. Moi je me concentre sur ce que je maîtrise : le travail personnel et collectif, les entraînements et mes performances en compétition. J’ai confiance en mes qualités et en mon potentiel, je sais ce que je vaux. En plus, Karl, c’est un mec sympathique. On peut jouer ensemble avec Karl et on l’a d’ailleurs déjà fait, je ne vois pas où est le problème.

Quelle destination privilégierais-tu si toutefois tu venais à quitter Lyon ?

Encore une fois de plus, on ne parle pas de quitter un club alors qu’il vous reste 2 ans de contrat à moins d’être dans des circonstances exceptionnelles. On ne dit jamais jamais au football. Tout peut aller très vite. Dans tous les cas, beaucoup de joueurs vous diront la même chose : les grands championnats font rêver, ce n’est un secret pour personne. Au-delà du pays, l’important est surtout d’avoir un club et un projet sportif qui vous correspondent le moment venu.

Que penses-tu du groupe des Etalons avec votre nouveau coach, Kamou Malo ?

On a un bon groupe, une équipe de potes qui aspire à faire de belles choses. On sait qu’il y a d’autres grandes nations africaines qui partent avec une longueur d’avance sur le papier. Mais la force de notre sélection c’est l’état d’esprit d’équipe. Chez nous, il n’y a pas de stars. On aime bien cette position d’outsider, et comme on dit en football, tout est possible. Alors à nous de bousculer l’ordre établi. Le sélectionneur Kamou Malo est comme un père pour nous. C’est quelqu’un de très humain, compétent, passionné et chaleureux.

De nombreux cadres de l’équipe sont presque vers la sortie. Le public burkinabè peut-il espérer une relève capable d’engranger les mêmes bons résultats que leurs aînés ?

On l’espère en tout cas. Le football est fait de cycles, des joueurs partent et d’autres doivent leur succéder tout en maintenant un certain niveau. On espère pouvoir compter sur une belle et jeune génération qui saura rendre fier notre peuple avec l’aide des joueurs expérimentés qui, je pense, peuvent toujours apporter beaucoup à la sélection nationale du Burkina Faso.

Tu as porté le brassard de capitaine lors d’un match amical en juin passé en l’absence de Charles Kaboré. Bertrand se sent-il prêt à endosser, dans un avenir proche, le costume de leader ?

Le costume ne se revendique pas, il se mérite. Je suis bien sûr prêt à endosser toutes les responsabilités que le sélectionneur me donnera car j’aime mon pays, je suis fier de nos couleurs, de notre peuple, de notre identité. Mais ce ne sont pas les paroles qui font un leader, ce sont les actes et le comportement au quotidien. J’ai déjà été capitaine en cadets et en juniors sous l’égide du sélectionneur Dargani. Aujourd’hui, notre capitaine c’est Charles Kaboré. Il est là et il joue très bien son rôle de leader. Il faut laisser le temps faire les choses. Au moment voulu, et s’il plaît à Dieu et au sélectionneur, je répondrai favorablement et avec fierté à toutes les sollicitations de mon pays.

Ton club, l’AJEB, est descendu en D2 la saison dernière. Qu’est-ce qui n’a pas marché ?

Vous savez, l’AJEB est un club familial. Quand ma mère fondait le petit club de quartier dans les années 1998 – 2000 autour des amis d’enfance de mes grands frères Alain et David, l’idée première était de rassembler, d’éduquer et de soutenir une bande de gamins pauvres et amis à jouer au football qui était leur passion et leur passe-temps au secteur 21 de Bobo-Dioulasso. Aujourd’hui, le petit club de quartier qui a connu divers noms, s’est mué en association sportive depuis 2010. Le club s’est mieux structuré et compte 4 catégories différentes d’équipes composées de pupilles, de minimes, de cadets et de juniors en plus de l’équipe première dont vous faites allusion.

Les derniers résultats de l’équipe première ne sont pas satisfaisants (relégation en D2 en fin de saison 2018-2019, 4e au classement du championnat de D2 saison 2019- 2020). Eu égard à l’investissement matériel et financier consenti en termes de salaires, de prise en charge sanitaire, de restauration et de matériel sportif, nous pensons que les joueurs de l’équipe A de l’AJEB devraient faire mieux. Les raisons, c’est que l’équipe A est arrivée en fin de cycle avec le départ de la plupart des joueurs de la génération 2010 qui avaient remporté les championnats de D3 et de D2 et nous ont fait accéder en D1 deux années durant (2016-2017, 2017-2018). Nous pensons qu’avec l’arrivée de Mohamed Kaboré « Kouassa », ancien international Burkinabè à la tête de l’encadrement technique de l’équipe A en juillet 2019, il y a de l’espoir pour repartir sur de nouvelles bases, et construire une nouvelle équipe compétitive. Mais il faudra lui donner du temps.

Qu’est-ce qui a poussé Bertrand Traoré à créer une fondation ?

L’envie de venir en aide aux autres, de venir en aide aux enfants, tout simplement. Vous savez que je suis orphelin de père depuis tout petit, alors je sais ce que c’est que d’être enfant et de recevoir de la compassion venant d’autrui. J’ai conscience de ma position de privilégié, de chanceux grâce à ma profession de footballeur. A travers ma fondation, je veux apporter de l’espoir à beaucoup d’enfants du Burkina Faso. Je veux leur dire de croire que tout est possible, je veux mobiliser des ressources humaines, matérielles et financières pour apporter des solutions concrètes aux problèmes d’éducation, de santé et de bien-être des enfants. Je veux apporter des solutions concrètes, pas juste créer une fondation pour créer une fondation. Des actes, des solutions durables, et des améliorations visibles pour la santé et l’éducation des enfants. C’est mon objectif et l’objectif de tous ceux qui travaillent avec moi dans la fondation.

Quelles sont les activités que mène ta fondation ?

Avec mes collaborateurs, nous sommes en train de mettre en place un plan d’activités sur 5 ans à partir de décembre 2020 afin d’identifier, de planifier et de réaliser des solutions durables pour le bien-être des enfants. Actuellement, nous sommes en phase de promotion de la fondation auprès de partenaires nationaux et internationaux. En attendant de s’attaquer à des chantiers d’envergure, dans l’immédiat, nous allons mener des actions ponctuelles faites de dons de matériel scolaire et sanitaire, d’équipements sportifs et de kits d’hygiène en faveur des enfants de Bobo-Dioulasso et de Ouagadougou organisés dans des structures de prise en charge ou des établissements scolaires. Dans un passé récent, avec l’aide de mes collaborateurs et la supervision du ministère de la Femme, de la Solidarité nationale et de la Famille, nous avons essayé d’apporter un peu de bonheur aux enfants des déplacés internes, victimes du terrorisme au Burkina (novembre 2019), aux jeunes du Centre d’éducation et de formation professionnelle de Ouagadougou (juin 2019) et aux écoliers de l’école primaire publique de Colsama (octobre 2018 et juillet 2019). Nous avons de grands projets en tête et nous espérons, par la grâce de Dieu, pouvoir les réaliser un jour pour le bien-être des enfants du Burkina.

Entretien réalisé par Ollo Aimé Césaire HIEN

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